L'AFO s'inquiète de la façon dont le gouvernement québécois traite sa minorité, ayant crainte qu'il influence les autres provinces du pays face à leur minorité francophone. Photo : Montage ONFR/ Canva

QUÉBECLe ministère de la Santé du Québec a publié une directive de 31 pages définissant les circonstances exceptionnelles dans lesquelles l’anglais peut être utilisé dans les hôpitaux et autres établissements médicaux. Jugées dangereuses par la communauté anglophone du Québec, ces mesures suscitent des inquiétudes aussi en Ontario. L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) exhorte le premier ministre du Québec, François Legault, à ne pas donner un mauvais exemple en matière de soins dans la langue maternelle, soulignant le risque que cela pourrait représenter pour la minorité francophone à travers le Canada.

Dans une lettre envoyée au premier ministre québécois, l’AFO écrit : « Nous craignons que cette directive, bien que motivée par de bonnes intentions, ne crée un précédent susceptible de nuire aux minorités francophones hors Québec, en imposant des barrières à l’accès aux services de santé et aux services sociaux dans la langue minoritaire : le français. »

Dans cette missive, l’association porte-parole des Franco-Ontariens tente de sensibiliser le premier ministre à la pratique ontarienne en matière de droit linguistique dans le milieu de la santé, indiquant qu’« en Ontario, nous avons récemment obtenu une avancée significative avec la Loi modernisée sur les services en français, dont le règlement sur l’offre active est entré en vigueur en avril 2023 et impose aux organismes assujettis de faire de l’offre active de services en français. »

L’organisme ajoute : « Cela va au-delà de simplement donner des services en français lorsque la compréhension est impossible en anglais (…). Cela signifie que les fournisseurs de services doivent offrir au client le choix de se faire servir en anglais ou en français. »

Dans la directive du ministère de la Santé du Québec, c’est l’inverse qui est proposé. Par exemple, « l’intervenant (en santé) doit d’abord communiquer avec l’usager en français. En effet, l’existence de la faculté d’utiliser une autre langue ne doit pas entraîner une utilisation systématique d’une autre langue que le français. »

Des directives qui touchent les droits de la minorité

C’est un sujet qui résonne en Ontario. Depuis longtemps, les organismes francophones de la province rappellent l’importance de recevoir des soins dans la langue maternelle.

C’est aussi ce que plusieurs députés dénoncent, comme le ministre des Langues officielles, Randy Boissonnault, via une publication sur le réseau social X.

Le ministre des Langues officielles, Randy Boissonnault a partagé son opinion concernant la nouvelle directive la semaine dernière sur la plateforme X. Photo : capture d’écran/ X

La députée de Notre-Dame-de-Grâce-Westmount, à Montréal, Anna Gainey, a de son côté fait appel au ministre fédéral de la Santé, Mark Holland, pour qu’il intervienne en vertu de la Loi canadienne sur la santé.

Dans une déclaration officielle publiée sur X mercredi soir, la députée libérale a exprimé ses « préoccupations sérieuses » au sujet de la directive, qui restreint l’utilisation des langues autres que le français dans le secteur de la santé.

Cette directive de 31 pages du ministère de la Santé exige notamment que les « anglophones historiques » obtiennent un certificat d’admissibilité du ministère de l’Éducation pour pouvoir demander et recevoir des services médicaux uniquement en anglais.

La députée Anna Gainey a partagé sur X l’inquiétude de ses commettants dans sa circonscription de Montréal, en grande partie anglophone. Photo : capture d’écran/ X

Bris de confiance entre la communauté et le gouvernement

La directrice générale du Quebec Community Groups Network QCGN (équivalent de l’AFO au Québec), Sylvia Martin-Laforge, au micro d’ONFR, admet que « bien avant l’adoption du projet de loi 96, qui a renforcé le projet de loi 101, nous étions inquiets des impacts sur la communauté d’expression anglaise. »

« Le certificat d’admissibilité qui est demandé existe déjà dans le système de l’Éducation pour les ayants droit, mais d’utiliser ce certificat pour d’autres services du gouvernement est un terrain glissant », exprime-t-elle.

Parmi les circonstances exceptionnelles dans lesquelles il sera autorisé de parler anglais, nous pouvons lire que si un opérateur de la ligne de santé 811 reçoit un appel d’un adolescent en état de psychose qui parle en anglais, l’opérateur pourra également communiquer en anglais.

De plus, si un patient présente des signes indiquant que sa santé et sa sécurité pourraient être compromises à court terme « en raison de signes suicidaires, d’attitudes ou de comportements inquiétants ou menaçants », le personnel pourra utiliser l’anglais « pour assurer des soins rapides et appropriés. »

Sylvia Martin-Laforge est la directrice générale du QCGN, un organisme qui se bat pour les droits et la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire du Québec. Photo : Gracieuseté de Sylvia Martin-Laforge

Pour Sylvia Martin-Laforge, « lorsque vous allez à l’hôpital, vous cherchez à faire une prise de sang, pas un test de langue. »

Si les groupes anglo-québécois se sentent trahis par cette nouvelle directive, c’est aussi parce que le premier ministre François Legault, en mai 2022, affirmait qu’il n’y avait pas de raisons de s’inquiéter quant à l’accès aux services de santé en anglais pour les Québécois, précisant que la loi ne modifierait pas les garanties inscrites à l’article 15 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux du Québec, qui stipule que « les personnes d’expression anglaise ont droit de recevoir des services de santé et des services sociaux en anglais. »

« Maintenant, on se méfie de tout ce que le gouvernement nous dit, affirme Mme Martin-Laforge. Ce n’est pas une question d’aménagement linguistique, mais de santé. Il est inacceptable que les politiques linguistiques influent sur l’accès aux services de santé et aux services sociaux. C’est inconcevable. »

Et l’AFO d’espérer de son côté « une mise à jour de cette directive, avec une stratégie pour soutenir une approche qui vise l’équité d’accès, la sécurité et la qualité des services », ce qui représenterait « une aide précieuse pour les communautés francophones en situation minoritaire à travers le pays ».