Le renvoi de la directrice de La Maison soulève l’indignation
TORONTO – Elle était depuis 11 ans la directrice générale du seul organisme franco-torontois d’hébergement pour les femmes victimes de violence, La Maison. Jeanne Françoise Mouè a été congédiée par son conseil d’administration au début du mois. L’organisme navigue depuis sans direction à sa tête. Redoutant une perte de services et de confiance des usagers, plusieurs soutiens réclament sa réintégration et que toute la transparence soit faite sur ce qui a mené à une telle décision.
Dans une lettre adressée le 13 juin dernier au conseil d’administration de La Maison ainsi qu’au ministère des Services à l’enfance et Services sociaux et communautaires de l’Ontario, plusieurs responsables associatives engagées de longue date dans l’aide aux femmes victimes de violence s’indignent de ce renvoi intervenu le 8 juin.
Leurs craintes? Que ce départ soit source d’instabilité pour la petite organisation, à la fois pour répondre aux besoins des femmes vulnérables hébergées actuellement, et pour le personnel privé de directrice sans garantie d’une embauche rapide dans un contexte de pénurie de talents.
Les signataires redoutent de surcroît un impact sur l’ensemble des services en français en Ontario, car « les opposants à la fois aux services en français et aux services aux femmes ne manqueront pas de prétendre que les femmes francophones ne peuvent gérer leurs propres services ».
Dans leur lettre, elles soulignent que ce renvoi pourrait rejaillir sur « la perception qu’auront les usagères de La Maison (la majorité étant des femmes noires immigrantes) et l’ensemble de la communauté, devant ce renvoi qui nous semble injustifié d’une directrice générale francophone efficace, noire et immigrante. En l’absence de justification, les doutes et la confusion nourriront les questionnements ».
Stupeur devant une feuille de route « impeccable »
« On est estomaqué car c’est une femme qui a une feuille de route impeccable dans la communauté et qui a bâti les fondations de La Maison », réagit Dada Gasirabo, directrice générale d’Oasis Centre des femmes, un organisme qui aide les femmes victimes de violence à devenir autonomes.
Et de s’interroger sur la soudaineté du renvoi : « Lui dire de partir comme ça d’un coup, ça peut perturber toute l’organisation. Il n’y a eu ni préparation ni transition autour de son départ. Le conseil d’administration doit rendre des comptes à la communauté. »
« Je la connais depuis 1999. C’est une personne d’une grande intégrité et qui sait jouer des coudes pour aller chercher des fonds », ajoute Ghislaine Sirois, chercheure communautaire et ex-directrice générale d’Action ontarienne contre la violence faite aux femmes (AOcVF).
Cette dernière qualifie ce congédiement de « décision radicale » et d’« injustice » qui plonge l’organisme dans une situation « très fragile ». « Ça m’inquiète car cette infrastructure est minimale. Je ne suis pas sûre que le conseil d’administration comprenne l’immensité du travail de sa directrice et comment elle serait devenue soudainement incompétente au bout de dix ans de services », soupire-t-elle.
Elle confie avoir parlé au cours du mois de juin à Mme Mouè, une personne « ébranlée » depuis son renvoi.
La sécurité des usagères prioritaire, assure la présidente
De son côté, la présidente du conseil d’administration de La Maison d’hébergement pour femmes francophones, Marianne Goodwin, assure au micro d’ONFR+ que le recrutement d’une nouvelle directrice générale est en cours. « Dans l’intérim, les membres du conseil d’administration travaillent avec les employées dévouées de La Maison pour assurer la continuité des services et des programmes », affirme-t-elle, ne souhaitant pas divulguer d’informations confidentielles liées au motif du renvoi.
Et d’insister : « La sécurité et le bien-être de toutes les femmes et de leur famille ainsi que des employées et des bénévoles restent la priorité de l’organisme. »
Les signataires demandent à son conseil d’administration de reconsidérer sa décision, d’expliquer quelles mesures ont été prises pour assurer la sécurité des usagères et de passer en revue ses pratiques afin d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise à l’avenir.
Engagée depuis de nombreuses années dans l’aide sociale pour les femmes francophones victimes de violence conjugale, Jeanne Françoise Mouè était à la tête de La Maison depuis 2012. Elle a notamment participé en 2001 à la mise sur pied du Mouvement ontarien des femmes immigrantes francophones (MOFIF), puis a dirigé de 2004 à 2006 le Centre espoir Sophie à Ottawa.
Elle est devenue en 2006 la première directrice générale du centre Novas, qui aide les femmes francophones victimes d’agression sexuelle. Elle siège actuellement au conseil d’administration d’Action ontarienne contre la violence faite aux femmes.
Offre d’emploi avec entrée en fonction immédiate
Destinataire de la lettre Services à l’enfance et Services sociaux et communautaires ne commente la situation, indiquant que les fournisseurs de services financés par le ministère, y compris les agences de lutte contre la violence faite aux femmes, sont responsables de leur propre gouvernance et de leurs opérations par l’intermédiaire d’un conseil d’administration et d’un personnel bénévoles, y compris les ressources humaines.
L’organisme a publié une offre d’emploi en date du 13 juin proposant un poste de directrice générale à plein temps avec entrée en fonction immédiate. Ce vendredi était la date limite pour postuler.
Outre Dada Gasirabo et Ghislaine Sirois, la lettre est cosignée par Kathryn Penwill, consultante et ex-directrice fondatrice d’OASIS Centre des femmes, Élisabeth Larsen, ex-directrice de la ligne de soutien Fem’aide, Gaëtane Pharand, directrice générale du Centre Victoria pour femmes, Céline Pelletier, directrice générale Maison Interlude House (Hawkesbury) et Rose Viel, administratrice d’AOcVF.
Figurent aussi parmi les signataires Denyse Culligan, ex-directrice générale fondatrice de Centr’Elles – Centre des femmes francophones du Nord-Ouest de l’Ontario, Andrée Côté, avocate émérite à la retraite, Sandra Weinstein, ancienne vice-présidente du conseil d’administration de La Maison, Louise Allaire, traductrice, et Monique Divert, membre fondatrice du MOFIF.