Le succès réside dans le collectif selon Ethel Côté
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
OTTAWA – Fondatrice de mécènESS, une entreprise citoyenne en innovation sociale et en développement, Ethel Côté s’intéresse aux diverses stratégies financières qui pourraient soutenir le développement des communautés. Ancienne présidente et fondatrice de la Nouvelle Scène, impliquée auprès de producteurs et productrices agricoles, des arts, mais aussi à l’international, à la cause des femmes et à l’enseignement, Ethel Côté est praticienne en économie sociale solidaire, coopératrice, entrepreneure sociale, agente de changement et d’innovation sociale et enfin, professeure associée à l’Université de l’Ontario français (UOF). Après trente ans d’expertise, elle travaille toujours auprès de la communauté franco-ontarienne et s’assure de sa vitalité.
« Vous avez un curriculum très impressionnant, des missions à l’étranger, des conférences, des tas de prix et de projets, qu’est-ce qui vous motive autant?
Je pense que je me suis posé la question beaucoup plus jeune, dans la trentaine, puis un peu plus tard dans la quarantaine, je suis comme une abeille qui butine d’un sujet à l’autre, d’un secteur d’activité à l’autre. Je me suis vraiment rendu compte qu’il y avait un fil conducteur. Je crois fondamentalement dans la communauté, dans les personnes, leur individualité, mais dans la collectivité aussi. Le fil conducteur, c’est réellement le développement. Donc pour le bien commun, pour le bien de la communauté, le bien des personnes, l’amélioration des conditions de vie et la justice sociale. C’est ça qui me motive.
Quand tu veux travailler sur le développement, tous les aspects de la vie humaine sont importants.
Ce n’est pas juste l’économie, ce n’est pas juste la culture, la langue ou l’identité. C’est tout ça.
Vous êtes impliquée dans le développement des communautés, notamment en économie sociale et solidaire, mais votre expertise résonne surtout dans le monde de l’entrepreneuriat, n’est-ce pas?
En fait, le développement s’applique sous toutes les formes et auprès de gens qui ont le goût d’avancer, le goût de construire ou de faire une différence. C’est certain, qu’une organisation va vivre pleine de défis, pleins de réussites, pleins de joies, pleins de peines. S’il te manque des cordes à ton arc – puis il nous en manque toujours – tu ne peux pas intervenir, tu ne peux pas accompagner avec toute la bonne compréhension qu’il faut.
Ma fille à l’école avait un jour dit : « Ma mère a la meilleure job de la planète, parce qu’elle accompagne les gens qui ont un rêve, pour le réaliser. »
Accompagner des gens ou des organismes pour réaliser leurs rêves, est-ce que ça demande beaucoup de dons de soi?
J’ai autant reçu que j’ai donné. J’adore ce que je fais et je n’avais jamais vu ça comme une mission, sauf la fois où j’ai accompagné une congrégation religieuse. Oh wow! Là, je leur avais demandé « mais êtes-vous certain que je suis la meilleure personne pour vous accompagner? ». Puis, ils m’ont répondu, « oui, tu embrasses la mission, tu es une femme de cause, tu nous ressembles ». Je me suis dit qu’en même temps, tout le monde vit des défis dans sa vie et les projets collectifs m’ont toujours amené du baume. En gang, on est capable de surmonter, de monter cette montagne, puis d’enlever les rochers sur le sentier. Le mérite que j’ai, c’est qu’on a réussi tellement d’affaires ensemble.
Cela fait plus de 30 ans que vous œuvrez pour la communauté et vous prônez le succès de la collectivité et du projet collectif, pourquoi êtes-vous si certaine que le « collectif » est la bonne façon de faire?
Je t’avoue que j’ai vécu la pauvreté comme plusieurs personnes dans leur vie, mais soutenue par un centre d’accès pour femmes, avec des voisins, c’était vivre dans une petite coop d’habitation. Là, tu te rends compte qu’il y a peut-être quelque chose qui peut m’affecter, mais que bien entourée, j’ai vu les marches, les marches que je devais gravir pour aller plus loin, pour m’en sortir.
Donc, ayant vécu ça, très tôt, j’avais 18 ans, je me disais : « C’est toujours plus facile de rebondir quand tu es bien entourée. » La logique du collectif, c’est la logique de croire que la force du groupe peut surmonter n’importe quoi.
C’est une chose qu’on oublie dans notre communauté, mais notre force collective a bougé les montagnes, surtout en Ontario. Nous n’aurions aucune limite, si on assumait notre force collective au quotidien. On verra si cette force va se rallier pour l’Université de Sudbury.
Pour ceux qui ne le savent pas, concrètement, qu’est-ce que l’économie sociale et solidaire?
C’est de croire que l’économie, ce n’est pas l’apanage des riches. C’est croire que l’économie, ça fait partie de notre quotidien, puisque chacun et chacune, quel que soit notre contexte, notre réalité, on y joue un rôle. La journée où vous sortez un dollar de votre poche, vous faites partie de l’économie. Donc l’économie sociale et solidaire, c’est croire qu’on peut entreprendre autrement, c’est croire qu’on peut dépenser autrement, qu’on peut consommer autrement et qu’on peut produire autrement.
Puis croire aussi dans le collectif économique, qu’on peut soutenir le développement de notre communauté, qu’on peut mobiliser des partenaires privés, publics, sociaux pour vraiment créer de la richesse, mais pas pour enrichir le 2 % de la population qui est déjà riche, mais enrichir l’autre 98 % laissé pour compte. L’économie sociale et solidaire, c’est créer des coopératives qui nous appartiennent, et qu’on gère ensemble. Les organisations communautaires, ça fait partie de l’économie sociale et solidaire.
C’est l’épicerie du coin de la rue qui est devenue un dépanneur coopératif. Puis, c’est une économie qui s’interroge réellement sur l’inclusion.
Nous avons de bons exemples de coopératives en Ontario français, mais est-ce un modèle viable?
Écoute, c’est difficile d’être en affaires. C’est là où il faut comprendre à gérer ensemble et à se donner les bons outils.
Tu amènes plus de cerveau, tu amènes plus d’énergie à la table avec une coop. La Fromagerie St-Albert est un bon exemple d’une coopérative qui a vécu des hauts et des bas. Ils ont vraiment écouté leur communauté. Ils investissent toujours dans les membres, les membres réinvestissent dans leur coop, ils donnent de bonnes conditions de travail à leurs employés. Ils se sont donné toutes les bonnes pratiques qu’on trouve dans le privé, social et public, mais sous la même coopérative. Cette fromagerie est extraordinaire, une alchimie pareille, j’ai rarement vu ça.
Dans le domaine agricole, c’est très inspirant, elle est belle l’agriculture en Ontario. Des producteurs agricoles indépendants, des fermes indépendantes, privées, ont choisi ensemble des solutions collectives.
Moi, j’ai toujours dit, il y a 150 ans, 165 ans de coopératives francophones, anglophones confondues en Ontario, c’est le cas de Desjardins, mais on ne sait pas non plus qu’à Ottawa, il existe une quinzaine de coop francophone. Elles ne s’affichent pas, puis on ne sait pas, mais ce sont des milieux de vie extraordinaires.
Il y a de toutes sortes de coop en Ontario, anglo, franco, mixte, multiculturelle, etcetera. On en a trouvé 3 000 à l’UOF, nous sommes en train de faire une cartographie.
Sommes-nous en retard en termes de pratiques sociales et d’innovations sociales au Canada?
Oui, c’est assez impressionnant. Près d’une centaine de pays sont en avance. Il y a des pays qui se rendent très loin dans leurs pratiques collectives. Le Maroc a un budget d’équité de genre par exemple.
Votre travail pour le leadership féminin a aussi résonné à l’international. Comment avez-vous intégré ces réseaux?
J’ai souvent été invitée et j’ai souvent amené la perspective du genre dans mes conférences. Je fais ça depuis trente ans, puis en 2005 je me suis retrouvée au Réseau intercontinental de promotion de l’économie sociale solidaire (RIPESS). Puis par exemple à une conférence au Luxembourg, l’ONG française, Quartier du monde, qui a un siège à Paris et à Rabat au Maroc m’a vu et m’a invité pour être la référente en économie sociale et solidaire.
Donc là, pendant 10 ans, chaque année, on avait un forum international en personne, plusieurs forums virtuels et on a co-créé un guide d’accompagnement de l’entreprise en économie sociale et solidaire avec la perspective de genre. Pour toutes les étapes de développement d’une entreprise collective, on s’est questionné sur « qu’est-ce qu’il nous faut de plus ou adapté aux femmes pour vraiment qu’elles passent à l’action? ».
À des moments donnés, on est arrivé face à un mur parce qu’il faut travailler aussi avec les hommes. Donc, on a créé aussi des espaces, des exercices, des ateliers. Puis là, les femmes de tous les pays amenaient des contributions. On testait ce guide au Mali, au Sénégal, au Maroc, en France, en Belgique, au Brésil, en Syrie, en Colombie et en Bolivie.
Vous avez aussi été la présidente et fondatrice de la Nouvelle Scène à Ottawa et vous avez des liens forts avec la culture, est-ce une autre corde à votre arc?
J’adore la culture. Pour moi, c’est fondamental pour construire l’identité d’une personne. Il faut que tu connaisses ta langue, tu connaisses ton identité, il faut que tu saches d’où tu viens. Indépendamment où tu te retrouves sur la planète à un moment donné, c’est quelque chose qui va rester avec toi. C’est pour ça que c’est intéressant les gens qui arrivent de partout avec plein de richesse et leur culture. Quand on fait place à cette diversité culturelle, c’est juste tellement plus riche.
Alors oui j’ai aussi une petite carrière dans la culture. D’ailleurs, La Nouvelle Scène, c’est une entreprise d’économie sociale. Il y a une douzaine ou une quinzaine d’emplois directs, mais 120 emplois indirects. Je me suis impliquée cinq ans à La Nouvelle Scène, puis ça n’a pas était facile parce qu’après trois ans de démarchage, on s’est fait dire à un moment donné : « Vos pires ennemis, c’est votre communauté », ou encore, « ne donnez jamais des millions à des artistes, ça ne va pas gérer ».
Le pire, c’est que c’était quelqu’un de notre communauté, mais on s’est dit qu’on allait travailler à convaincre notre communauté qu’on était capable. On les a impliqués et ça s’est réalisé.
Un autre beau projet aussi, c’est la Place des Arts de Sudbury, j’ai été impliqué au niveau de la gouvernance et de la planification stratégique. Mais mon vrai premier job en culture, ça a été un job de coordonnatrice dans un festival de théâtre en Saskatchewan. Puis, j’ai travaillé à Théâtre Action, jusqu’à la Commission de la Capitale nationale, j’étais à la direction artistique de tout ce qui est programmation d’événements spéciaux, la fête du Canada, le Bal de neige, l’arrivée de Champlain.
Votre premier combat en Ontario français est arrivé tôt dans votre jeunesse, lorsque vous étiez élève à l’école Charlebois, à Ottawa. Que s’était-il passé?
Je suis née au Québec, j’avais quinze ans quand je suis arrivée en Ontario et mon école était encore sous les conseils scolaires anglophones. Je n’étais pas bilingue en ce temps-là et un groupe d’étudiants et de parents souhaitaient transformer l’école Charlebois en école d’immersion. Mais je voulais sauver mon école, déjà que je me sentais déraciné, on n’allait quand même pas m’enlever mon école française. Elle n’est peut-être pas parfaite, mais c’était mon école. Finalement, on l’a sauvée, mais aujourd’hui, elle n’existe plus. Donc oui, j’ai compris très tôt l’enjeu de nos communautés. Mais j’ai assisté à la création de la Fédération De La Jeunesse Franco-Ontarienne (FESFO) à l’élévation de nos voix. »
LES DATES-CLÉS D’ETHEL CÔTÉ :
1958 : Naissance à Dummondville (Québec)
1977 : Première lutte pour sauver l’école Charlebois à Ottawa
1994 : Directrice générale du Conseil de la Coopération de l’Ontario
2003 : Grade de Chevalier de la Pléiade – Ordre de la francophonie – Dialogue des cultures
2016 : Reçoit l’Ordre de l’Ontario
2017 : Ethel Côté fait partie des 100 modèles franco-ontariens publiés par la FESFO
2021 : Planification stratégique de plusieurs organisations : Place des Arts,
ACFOMI, ACFO SDG, ACFO WECK, Réseau Affaires Femmes, Association du
patrimoine familial, Centre d’emploi de Prescott-Russell, etc.
2022 : Reçoit l’Ordre du Canada
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.