Les derniers jours de Conrad Lamadeleine comme maire
[LA RENCONTRE D’ONFR]
CASSELMAN – Impulsif pour les uns, dévoué et passionné pour les autres, Conrad Lamadeleine ne laisse personne indifférent. À 77 ans, le maire sortant de Casselman a décidé de passer le flambeau. Et ce sera à Daniel Lafleur, seul candidat en lice, et donc élu par acclamation. Au soir de sa carrière politique démarrée par une première élection victorieuse en 1985, retour sur une vie politique riche en rebondissements, avec à la clé quelques révélations.
SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz
« Début décembre, vous ne serez officiellement plus maire de Casselman, 33 ans après votre première élection. On peut comprendre que cette fois, c’est bien fini! On se souvient qu’après votre défaite électorale contre Claude Levac en 2010, on vous pensait à la retraite, mais vous l’aviez de nouveau emporté lors des dernières élections en 2014. Quel bilan faites-vous de ces quatre dernières années?
Avant 2014, sous le mandat de Claude Levac, il ne s’était rien passé en quatre ans. Depuis 2014, le développement résidentiel et commercial a été extraordinaire. On a été chercher pour 2,4 millions de dollars de frais de développement et de permis. On a fait aussi des économies d’administration, et dans l’opération de bâtisses, comme l’aréna, les pompiers, les services de voiries. On a réduit de 300 000 $ les dépenses administratives avec des postes non remplacés.
Moi, j’ai l’expérience (Il lève la voix), je savais ce qu’il y avait à faire il y a quatre ans, je savais comment le faire et je l’ai fait!
Pourquoi ne pas vous représenter cette année alors que dans un premier temps, vous vous étiez déclaré candidat?
Cet été, j’ai eu un petit avertissement sur ma santé. J’ai eu une tumeur à la vessie, on me l’a enlevée, en me disant qu’elle ne reviendrait pas. L’avertissement pour moi a été que ça serait peut-être le temps de prendre ma retraite, de profiter de mes amis, de mon épouse et de ma famille.
Puis, Claude Levac, candidat de nouveau pour être maire, a retiré sa candidature à la dernière minute. Il ne restait donc que Daniel Lafleur et moi. Daniel Lafleur m’a dit qu’il aimerait bien être maire, alors je lui ai laissé ma place. Je vais continuer à lui donner des conseils quand il aura besoin de moi, je vais l’aider, mais je ne me mêlerai pas de politique.
Comment jugez-vous Daniel Lafleur qui, on le rappelle, a été conseiller municipal durant ce dernier mandat?
M. Lafleur, c’est certain, sera un gars travaillant! Il a des bonnes intentions, et il est persistant. Tout dépend maintenant du conseil municipal qu’il va avoir. Si le conseil dirige comme moi j’ai dirigé, il n’y aura pas de problème, et l’argent va être là.
Quelles sont, selon vous, les qualités que doit avoir un maire dans une ville comme Casselman de 3 500 résidents, à majorité francophone en Ontario?
Il faut avoir une vision avec 25 ans d’avance. Quand on prend une décision, il faut voir l’impact dans deux ans, cinq ans ou dix ans, et ça peut être très négatif comme positif dans le développement futur. Il faut aussi regarder l’administration, c’est à dire où l’on a des dépenses justifiées et pas justifiées, et faire l’analyse des coûts d’ingénieurs, d’avocats, d’assurances.
Qu’est-ce qui a changé à Casselman depuis 1985, date de votre première élection?
Quand je suis rentré alors, on était 1 000 ou 1 020 personnes. Il n’y avait aucun développement commercial qui avait été figuré. Au conseil municipal de l’époque, j’avais proposé que l’on développe le tour de l’entrée de l’autoroute 417 pour faire venir du fast-food comme McDonald’s ou Tim Hortons. On avait ri de moi.
Ma décision était finalement passée de justesse. J’étais alors aussi président de la Chambre de commerce, je sortais de Casselman voir ce qui se passait, alors que le conseil que j’avais, les gens ne sortaient pas du village. Ils s’en allaient travailler, ils revenaient chez eux, et ils restaient là. Leur vision n’était pas la mienne. Pour attirer les compagnies, j’ai alors commencé à envoyer trois lettres par semaine. C’est alors que Canadian Tire et Jean Coutu sont venus s’établir chez nous! C’était une approche fondamentale pour attirer les gens!
Comment expliquez-vous votre défaite électorale en 2010 face à Claude Levac?
C’est simple, les gens voulaient avoir du changement. Ils étaient devenus confortables avec le maire Lamadeleine. Ils se sont dit que peut-être si on changeait, ça irait encore mieux. Des gens n’ont pas été voter parce qu’ils pensaient que j’allais rentrer. Les gens se sont vite rendu compte qu’ils ont fait une maudite erreur! Il n’y a eu aucun développement de 2010 à 2014!
Humainement, ce n’était pas difficile pour vous?
Le soir de l’élection, j’ai offert à M. Levac que l’on s’assoit ensemble pour consulter les 15 feuillets de développement déjà en marche. Il m’a dit qu’il n’avait pas besoin de moi, qu’il savait comment faire et que ce n’était pas plus dur d’être maire que d’être principal d’école!
En 2010, j’étais président des Comtés unis de Prescott et Russell. Je devais mettre beaucoup de temps à voyager pour les Comtés à travers la province, alors que M. Levac n’avait juste qu’à cogner aux portes, dire « Je suis beau, je suis fin et votez pour moi! ». Depuis que suis revenu en 2014, on voit le succès du tonnerre et les gens réalisent que j’étais fait pour être maire!
Vous êtes devenu maire à 44 ans en 1985. Les nouvelles générations connaissent moins votre parcours avant. Pouvez-vous nous en dire plus?
J’ai fait une carrière dans l’assurance, mais je suis arrivé à Casselman à deux ans et demi parce que j’avais été adopté par des gens de Casselman. Je m’appelais alors Conrad St-Amour. On m’a mis à l’essai en fait, et au bout d’un an, la Société d’aide à l’enfance a demandé aux gens si on voulait m’adopter. Ils ont accepté.
J’ai eu de la chance parce que j’ai pogné des parents adoptifs assez spéciaux! Mon père était handicapé, du fait de la polio qu’il avait eue jeune, et ma mère était souvent malade, mais ils ont gardé sept enfants de la Société d’aide à l’enfance. Mes parents étaient pauvres financièrement, mais riches de cœur. Lorsque j’avais 37 ans, après que mes parents adoptifs aient décédé, j’ai rencontré mes vrais parents. Ça a été une très belle rencontre. Le bon dieu m’a béni!
Qu’est-ce que vos parents adoptifs vont ont transmis?
Mon père m’a toujours dit qu’il fallait aimer et partager avec les gens. Mon père me disait : « Si tu es pas capable de payer tes dettes, dis-le, mais respecte ta parole que tu vas les payer ». Je n’ai pas de talent plus qu’un autre aujourd’hui, je suis proche des gens, et j’aime aider quand je peux le faire!
Avez-vous été tenté un moment de vous lancer en politique provinciale?
(Il réfléchit). Je vais être franc avec vous, dans les années 90, je me souviens plus de la date exacte, on m’a offert cela. Je n’étais pas intéressé. Être député provincial, c’est partir le lundi et revenir le jeudi, et n’être pas chez soi de la semaine, puis encore les réunions et inaugurations en fin de semaine. Je voulais être proche de ma femme et de mes enfants. J’avais une éducation à donner à mes enfants, je voulais qu’ils soient des chrétiens, pas qu’ils traînent les rues. Aujourd’hui, mes quatre garçons sont respectables. Je n’ai pas manqué mon coup, j’ai choisi la bonne option (Rires).
Vous avez connu bon nombre de gouvernements, quel a été celui avec lequel vous vous êtes le mieux entendu?
Je ne serai pas capable de répondre. J’écris à tous les gouvernements des lettres aux différents ministres depuis 25 ans. J’envoie une lettre au moins une fois par semaine. Quand j’écris des lettres à Doug Ford, il me répond personnellement! Si on veut des octrois, il faut une bonne relation avec les gouvernements, car les gens dans les bureaux des ministères, eux, ne changent pas.
Mais j’avais un secret. Un ministre m’avait dit de faire mes lettres avec ma photo dans le coin à droite en haut, parce que Lamadeleine était un nom difficile à oublier et dur à prononcer pour les anglophones. Souvent les ministres m’appelaient en disant qu’ils m’accordaient l’octroi, car il y avait tellement de lettres sur leurs bureaux qu’ils voyaient ma photo partout!
De quoi vous parlez lorsque vous écrivez à Doug Ford?
Je lui avais écrit, par exemple, après le Congrès de l’Association des municipalités de l’Ontario (AMO) pour lui dire que je voulais que la documentation de l’événement soit en français et que les gens parlent en français. C’est important que ce soit bilingue!
Qu’est-ce que vous allez faire de cette retraite?
(Rires). Je vais vous dire une chose, les premiers six mois qui s’en viennent, je ne fais rien du tout! Je vais faire ce que je veux, me lever à l’heure que je veux. C’est juste une période de réflexion. J’ai beaucoup de projets, mais je ne veux m’engager dans rien! Je veux prendre le temps de vivre. Après, je voyagerai peut-être, j’irai peut-être visiter ou revoir des places au Canada, mais aux États-Unis, j’irai le moins possible. Les coûts d’argent et avec M. Trump, le moins possible! Aujourd’hui, je n’aime plus l’avion, ni l’idée d’attendre trois heures pour embarquer! »
LES DATES-CLÉS DE CONRAD LAMADELEINE
1941 : Naissance à Hawkesbury
1943 : Arrivée à Casselman sous le nom de Conrad St-Amour
1985 : Élu pour la première fois maire de Casselman (en poste jusqu’en 1998).
2003 : Redevient maire de Casselman, position qu’il occupe jusqu’à sa défaite contre Claude Levac en 2010.
2014 : Fait son retour en politique municipale et l’emporte contre Claude Levac.
Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.