Les élections au Nouveau-Brunswick vues depuis Ottawa
[TÉMOIGNAGES]
OTTAWA – Ils étaient plusieurs, lundi 24 septembre, les yeux rivés sur leur écran pour suivre le résultat des élections provinciales au Nouveau-Brunswick. Aujourd’hui, l’incertitude se mêle à l’inquiétude pour les Acadiens installés dans la région de la capitale nationale.
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet
Comme plusieurs Acadiens installés dans la région, Jasmin Cyr a suivi avec attention la récente campagne électorale dans sa province natale.
« Je ne m’attendais pas à ce résultat. La province est vraiment divisée avec le sud progressiste-conservateur et le nord libéral. »
Le Parti progressiste-conservateur (Parti PC) du Nouveau-Brunswick de Blaine Higgs y a remporté le plus grand nombre de sièges, soit 22 sur les 49 que compte l’assemblée provinciale. Insuffisant toutefois pour former un gouvernement majoritaire, alors que les libéraux du premier ministre sortant, Brian Gallant, ont remporté 22 sièges.
Installé dans la région depuis neuf ans, M. Cyr se présente volontiers comme un militant libéral. Il a fait du bénévolat pour M. Gallant et se montre critique quant à la stratégie de son chef.
« La province est en difficulté financière et je pense que de promettre beaucoup pour tout le monde, ce n’était pas le bon temps. »
Inquiétude
Sans majorité, les trois sièges occupés par l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick (l’Alliance) pourraient permettre au Parti PC d’entrevoir diriger la province, même s’il lui faudrait alors régler la question de la nomination de la présidence de l’assemblée.
Dans la seule province bilingue du Canada, l’Alliance et son chef Kris Austin ont fait campagne sur plusieurs mesures hostiles au bilinguisme, comme la fusion des réseaux francophone et anglophone de santé, l’abolition du Commissariat aux langues officielles et la limitation des exigences bilingues dans la fonction publique.
« Même à distance, je me sens encore très concernée par ce qui se passe au Nouveau-Brunswick en ce moment » – Marie-Hélène Eddie
« Les grands perdants, ce sont les francophones, et ce dès la campagne, lorsque Radio-Canada a décidé de ne pas tenir de débat des chefs parce que M. Higgs ne parle pas le français. Ça marginalise la langue française et crée une hiérarchie des langues officielles », juge Guillaume Deschênes-Thériault, étudiant au doctorat en science politique à Ottawa depuis deux ans.
Celui-ci avoue sa surprise au soir des élections.
« Je me doutais que l’Alliance remporterait un siège, celui de leur chef, car le parti a beaucoup investi et que M. Austin sait faire des discours flamboyants et possède un certain charisme. Mais je ne pensais pas qu’ils arriveraient à en remporter trois au total. »
Pour Marie-Hélène Eddie, originaire de Dieppe et installée dans la région depuis dix ans, c’est moins la percée de l’Alliance que celle du chef du Parti PC qui est inquiétante.
« Le chef du Parti PC est un ancien membre du Parti CoR [Le Confederation of Regions Party, un parti des années 80-90 connu pour ses positions contre le bilinguisme] et n’a rien vraiment fait pour se défaire de son image hostile au bilinguisme. »
Comme bien des Acadiens depuis lundi soir, celles et ceux interrogés par #ONfr s’avouent inquiets.
« Je suis très stressé et ma famille au Nouveau-Brunswick aussi », lance M. Cyr. « Je crains pour les régions rurales qui doivent se battre pour maintenir leurs écoles qui sont si importantes pour maintenir la langue et la culture acadienne, pour les services de santé en français qui risquent aussi d’être affectés par des coupures… »
Les Acadiens peuvent toutefois compter sur un certain nombre de droits garantis par la constitution, rappelle Mme Eddie.
« Les partis ne peuvent pas faire tout ce qu’ils veulent en matière de droits linguistiques. »
M. Deschênes-Thériault se montre moins confiant.
« C’est sûr qu’il y a des droits qui sont protégés. Mais regardez ce qui s’est passé en Nouvelle-Écosse avec les circonscriptions protégées. Même si le processus qui a conduit à leur disparition a finalement été remis en cause par les tribunaux, six ans plus tard, elles n’ont toujours pas été rétablies. C’est plus rapide de couper des droits que de les récupérer ensuite! »
Une réponse au climat économique
La percée de l’Alliance, tous l’expliquent par le climat économique.
« Le Nouveau-Brunswick est l’une des provinces les plus pauvres du Canada. Sa population diminue ce qui affecte sa capacité à prélever des revenus de taxes », explique M. Cyr.
Dans ces conditions, le bilinguisme devient une cible facile, ajoute Mme Eddie.
« Ce n’est pas nouveau de blâmer une minorité quand il y a des difficultés. Pourtant, si on regarde les régies de la santé, par exemple, il y en avait huit avant, aujourd’hui, il y en a juste une anglophone et une francophone ce qui a permis d’économiser de l’argent. »
Soutenue par la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, la communauté acadienne devra se montrer vigilante.
« Quand j’entends M. Austin parler d’une ‘politique juste’ en disant que les francophones pourront avoir des services par téléphone, je ne pense pas que ce soit juste! Mais je suis rassuré de voir que la communauté acadienne se mobilise. J’ai confiance qu’elle montera aux barricades si les droits linguistiques sont attaqués », dit M. Deschênes-Thériault qui compte retourner dans sa province natale pour, à plus ou moins long terme, se lancer en politique.