Dix ans après les États généraux de la francophonie à Ottawa, qu’en reste-t-il?
OTTAWA – Voilà dix ans déjà que se sont déroulés les États généraux de la francophonie à Ottawa (EGFO). Un événement qui somme toute a posé les jalons d’une francophonie plus inclusive et d’une ville plus connectée à son environnement bilingue. Des lacunes? Oui, mais du chemin accompli aussi.
« Dix ans c’est un bon moment pour réfléchir vers où on va », lance Linda Cardinal au micro d’ONFR+.
La professeure et vice-rectrice adjointe à la recherche de l’Université de l’Ontario français faisait partie du comité d’organisation des États généraux en novembre 2012. Selon elle, le projet n’est pas mort. « L’ACFO a fait son suivi et à même canalisé cette initiative au sein du mouvement Ottawa bilingue », affirme-t-elle.
Il y a dix ans, les cinq priorités des EGFO étaient le bilinguisme, le développement et la vitalité, la représentation, l’inclusion et le rapprochement. Ce grand exercice de réflexion avait été lancé au moment de la prise de fonctions du maire Watson.
L’ancien coordonnateur des États généraux, Luc Léger, rappelle que sur ses cinq thèmes établis en 2012, le bilinguisme d’Ottawa était sans doute la grande priorité. Le volet sur l’inclusion s’est bien amélioré, d’après lui. « À l’époque des EGFO, on pensait inclusion comme le rapprochement avec les nouveaux arrivants exclusivement. »
Aujourd’hui, l’Association des communautés francophones d’Ottawa (ACFO Ottawa) semble avoir réalisé beaucoup plus, explique-t-il.
D’après M. Léger, l’ACFO a apporté l’idée de l’inclusion à un autre niveau en créant des activités pour sensibiliser les gens à la diversité sexuelle. « Il était important d’inclure ces gens aussi, comme on le fait pour les immigrants, surtout que la langue française est genrée et qu’elle peut avoir tendance à les exclure. »
Pour Luc Léger, les initiatives de l’ACFO pour améliorer l’inclusion ont été très intéressantes dans les dernières années. « Je pense qu’il faut souligner que ce critère s’est nettement amélioré et c’est probablement une des conséquences des EGFO. »
Pour le reste, Mme Cardinal explique que le bilan, bien que mitigé, est aussi une réussite si l’on considère les avancées. Le financement fédéral pour améliorer le bilinguisme de la ville d’Ottawa existe et cela découle des impulsions de ce sommet. « S’il y a un succès dont il faut se souvenir, c’est certainement celui-là », estime-t-elle.
Le président de l’ACFO, Éric Barrette, est réaliste sur le bilan des dernières années : « Il va toujours y avoir des évolutions positives et des causes à faire avancer. »
« En même temps », reprend-il, « c’est idéaliste de penser que dans 25 ans, on va atteindre le summum, il y a des nouveaux défis et il reste des lacunes ».
La communauté francophone va continuer à être dynamisée est-il convaincu. Et de citer notamment la nouvelle Loi sur les langues officielles, gage de modernisation.
Ralentir le poids démographique
Pour le président de l’ACFO, l’héritage des États généraux de 2012 fait ressortir de nombreuses pistes, dont un rapport qui pourrait être toujours utile face aux défis actuels.
Le poids démographique des francophones diminue dans tout le pays et il est donc aussi question de ralentir ce déclin.
« Il y a une perte des acquis, mais il faut s’assurer que notre communauté actuelle est future, se sente liée et ait envie de s’investir », affirme le président de l’ACFO. « On ne veut pas perdre notre poids démographique et ça nous inquiète. »
Parmi les lignes directrices des États généraux, l’inclusion s’invite là aussi dans le discours de M. Barrette. C’est vraisemblablement au sein des services pour les nouveaux arrivants que l’emphase doit être mise, selon le président. « L’immigration francophone, tranquillement, se dirige à l’extérieur des centres-villes. Il faut donc offrir plus de services et c’est ça aussi dynamiser la communauté », déclare-t-il.
L’enjeu de l’immigration est plus important que jamais pour la vitalité de la communauté francophone. Il y a beaucoup à faire pour que l’intégration des nouveaux arrivants se fasse de manière plus proactive, martèle M. Barrette.
Dynamiser la communauté, c’est développer sa vitalité
« Si on regarde le développement de la vitalité de la communauté, on voit des lacunes », atteste le président de l’ACFO. « Que ce soit les camps d’été ou les loisirs à développer par la ville, on constate un déséquilibre. »
« On ne réalise pas que la francophonie est étalée dans toute la ville. On est dans une pente descendante par rapport aux services de loisirs. »
Cette initiative d’accroître les services de loisirs en français a d’ailleurs fait partie du programme électoral du maire Sutcliffe et son opposant Catherine McKenney.
Pour Linda Cardinal, le besoin de développement de la vitalité au sein de la communauté francophone est réel : « Il y a les gens de l’Est ontarien et du Québec qui jouent un rôle de vitalité de neuf à cinq dans la ville d’Ottawa. »
« La communauté francophone n’avait pas de revendications très exagérées à l’époque », relate la professeure.
Pourtant, selon elle, pour accroître le dynamisme et la vitalité des francophones, il faudrait aussi revoir le processus d’embauche. « La Ville s’est donné des exigences en matière d’embauche, mais elles ne les respectent pas. »
L’hôtel de ville et le bilinguisme
« Pour les citoyens francophones de la ville d’Ottawa, la relation est une relation de bon voisinage, mais sans plus », estime Linda Cardinal.
La professeure aujourd’hui basée à Toronto considère que le maire d’Ottawa, M. Sutcliffe représente pour l’heure un statu quo par rapport à son prédécesseur M. Watson.
« M. Sutcliffe doit prendre le pouls de la communauté francophone, parce que M. Watson nous a ignoré », affirme-t-elle.
Et de se questionner : « Quel rapport aura-t-il avec l’ACFO? La nouvelle conseillère francophone, Mme Plante (conseillère municipale de Rideau-Vanier) va-t-elle être la courroie de transmission entre la communauté et la ville? »
M. Léger est catégorique : « S’il n’y avait pas eu les EGFO, nous n’aurions pas eu ce mouvement pour le bilinguisme officiel à la ville d’Ottawa. Les États généraux ont propulsé des idées qui se sont concrétisées. »
Une demande similaire aujourd’hui
« Au début, le maire Watson avait reçu froidement notre projet », se souvient Linda Cardinal.
« Si M. Sutcliffe veut faire une action charme auprès des francophones, il pourrait voir quel est le chemin entrepris depuis les dix dernières années et si les revendications sont toujours les mêmes », suggère-t-elle.
« On pourrait faire quelque chose de similaire » aujourd’hui, renchérit M. Léger. « Un sommet était beaucoup de travail, mais je pense qu’il y aurait un besoin. » Un état des lieux, un colloque, des journées de réflexion… « Ça pourrait être pertinent », ose l’enseignant de retour dans sa province natale, le Nouveau-Brunswick.
« On peut se satisfaire, mais il faut toujours rester vigilant », renchérit-il.
« Il y a un désir d’espace de dialogue communautaire avec la ville, celui même dans lequel se sont déroulés les États généraux », ajoute Linda Cardinal, qui se rappelle les différentes intentions derrière les États généraux. L’une d’entre elles était de vouloir une francophonie unie et un rapprochement avec les anglophones.
Les États généraux en 2012 étaient bel et bien une initiative de grande envergure. Plus de 200 participants lors du sommet et la preuve d’une francophonie déterminée. Dix ans après, le constat n’est pas flamboyant et les acteurs de ce mouvement essaient de rendre pérennes les idées qui avaient émergées.