Les Franco-Manitobains laissent un an au fédéral

Gracieuseté: Société de la francophonie manitobaine (SFM)

WINNIPEG – Satisfaite de l’annonce du nouveau règlement sur l’offre de services fédéraux bilingues, la Société de la francophonie manitobaine (SFM) est prête à laisser tomber sa cause devant les tribunaux, mais se donne encore un an de réflexion. Mais des critiques apparaissent quant aux changements annoncés par le gouvernement.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

« De prime abord, l’annonce du nouveau règlement est très positive et répond à beaucoup de nos préoccupations. Ce n’est pas parfait, mais un grand bout de chemin a été fait. En utilisant une définition plus inclusive, on tient compte de la francophonie d’aujourd’hui qui, au Manitoba, compte une population croissante de nouveaux arrivants. On aurait aimé que soit retiré le critère du pourcentage, mais il faut accepter le compromis », estime le président-directeur général de la SFM, Daniel Boucher.

Pour autant, la SFM maintient la pression sur le gouvernement fédéral.

« On va voir le processus parlementaire, regarder comment  ce règlement sera adopté. Si on voit qu’au bout du compte, il a été dilué ou modifié, alors on aura toujours l’option de poursuivre notre cause devant les tribunaux. »

La SFM avait décidé, en 2016, de contester devant les tribunaux la manière dont Ottawa calcule le nombre de francophones pour décider d’offrir ou non des services fédéraux bilingues à travers le pays. La cause avait été suspendue à la suite de l’annonce d’Ottawa de son intention de revoir ses critères. À travers le pays, ces dernières années, les francophones en situation minoritaire ont souvent déploré la fermeture de bureaux fédéraux bilingues, faute de remplir les conditions fixées par le fédéral.

Le président-directeur général de la SFM justifie sa décision de patienter par le délai accordé par la cour fédérale à son organisme jusqu’en septembre 2019.

« Nous déciderons d’ici là, mais on veut encore laisser une chance au gouvernement. »

Les critiques de Michel Bastarache

La satisfaction de la SFM rejoint celle de nombreux organismes, après l’annonce du 25 octobre. Mais dans ce concert d’éloges, quelques voix discordantes commencent à se faire entendre.

Devant le comité permanent des langues officielles, l’ancien juge à la Cour suprême du Canada, Michel Bastarache, s’est montré critique à l’endroit du nouveau règlement annoncé par le président du Conseil du Trésor, Scott Brison et la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, Mélanie Joly.

« Je n’ai pas eu l’occasion d’étudier toutes les modifications, mais j’ai lu les cinq pages sur le calcul de la population, et l’on continue de parler des membres de la minorité et de la demande de services. On présume donc que seuls les membres de la minorité linguistique vont demander des services en français à l’extérieur du Québec, et l’on ne tient pas compte du fait que la demande est toujours faible quand le gouvernement ne fait pas une offre active. (…) On va dire que, dans une communauté qui compte moins de 500 personnes, on va offrir les services en français si au moins 5 % de la population demande des services dans la langue minoritaire. Or, comment faire une demande si le service n’est pas offert? »

Pour l’ancien juge, les communautés francophones en situation minoritaire n’ont pas été totalement entendues, notamment sur le fait de tenir compte des critères de vitalité d’une communauté pour déterminer la pertinence d’offrir des services en français.

« Les minorités demandaient qu’on se défasse des critères objectifs pour les remplacer par des critères qui tiennent compte de la vitalité de la communauté. Elles voulaient qu’on détermine s’il y a, par exemple, des services sociaux offerts en français, des maisons pour personnes âgées francophones, des églises qui desservent la population francophone ou encore, bien évidemment, des écoles francophones. »

Le nouveau règlement devrait tenir compte de la présence d’une école comme d’un facteur, mais ne parle pas des autres institutions.


« Veut-on vraiment définir le Canada comme un pays dont les institutions fédérales sont bilingues? Si c’est le cas, pourquoi essaie-t-on de rendre tout si difficile et si compliqué? (…) Est-ce juste pour économiser de l’argent? » – Michel Bastarache, ex-juge à la Cour suprême


Ces critiques sont également celles du commissaire aux langues officielles. Dans un communiqué de presse diffusé le 5 décembre, Raymond Théberge juge que le gouvernement n’est pas allé assez loin.

« Le règlement proposé comprend encore des lacunes. (…) Les droits de la minorité ne devraient pas être fondés sur sa taille relative à la population majoritaire. Cependant, le nouveau règlement provisoire continue d’utiliser le seuil de 5 % comme ligne de référence. Le règlement comprend une clause de droits acquis. (…) Cependant, cette clause de protection ne s’applique pas dans les régions urbaines où d’autres facteurs, comme l’immigration et la migration des régions rurales, ont des incidences. »

Il demande qu’outre la présence d’écoles, le gouvernement tienne compte d’autres indicateurs, comme la présence d’institutions à vocation sociale, économique, culturelle ou médiatique de langue officielle en situation minoritaire.

Trop complexe

MM. Théberge et Bastarache fustigent également la complexité du nouveau règlement, estimant que la population devrait pouvoir savoir à quels services elle a droit.

« S’il faut que les gens consultent chaque fois un spécialiste pour savoir s’ils ont droit à un service donné, je ne sais pas comment cela pourra jamais fonctionner », estime l’ancien juge à la Cour suprême du Canada.

Le commissaire aux langues officielles a écrit au gouvernement pour qu’il porte ces améliorations. Le nouveau règlement devrait être voté en 2019, mais n’entrera en vigueur qu’en 2023.


POUR EN SAVOIR PLUS :

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