Les histoires de musique oubliées dans le Nord de l’Ontario
SUDBURY – Vendredi dernier se déroulait la 7e édition de La Nuit émergente à Sudbury qui regroupait une douzaine d’artistes de tous horizons. Dans le cadre de l’événement, le réalisateur d’ONFR+ Éric Bachand a profité du passage de Félix B. Desfossés, auteur, journaliste spécialisé en histoire de la musique, et collectionneur de vinyles pour déterrer des histoires oubliées du Nord de l’Ontario.
« Est-ce ta première visite à Sudbury?
Jeune, je suis venu à Sudbury, on venait avec l’école à Science Nord. Aujourd’hui, j’aime faire des « roads trip » et venir voir des amis, voir des spectacles, des festivals comme Up Here. Je viens d’Abitibi–Témiscamingue et même si j’ai habité douze ans à Montréal, je me sens plus à la maison à Sudbury qu’à Montréal. Je sens vraiment une accointance avec les gens d’ici.
Tu aimes fouiller des histoires oubliées à propos de musiciens de ta région natale, l’Abitibi-Témiscamingue. Ces histoires ont parfois un lien avec le Nord de l’Ontario?
Les liens ont déjà été très fermes entre l’Abitibi-Témiscamingue et le Nord de l’Ontario et tout ça part d’un circuit de tournées qui a été en vigueur dans les années 50, 60 et 70. Le circuit passait par plusieurs hôtels qui étaient dans des petites villes du Nord de l’Ontario et ça passait aussi par Noranda. Noranda était une ville anglophone, mais aussi pratiquement ontarienne.
Les musiciens passaient d’un hôtel à l’autre, parce qu’ils étaient engagés et venaient jouer en Abitibi et dans le Nord de l’Ontario. Et ça, ça a fait comme une base commune dans l’histoire de la musique!
Le responsable de ce circuit de tournées-là s’appelait le colonel Harold Kudlets d’Hamilton. Il se faisait surnommer colonel, un peu comme le gérant d’Elvis. Lui avait des connexions partout en Amérique du Nord. Il pouvait envoyer jouer des groupes partout aux États-Unis.
C’était vraiment organisé en circuit de tournées à cette époque-là. Dans nos petites villes minières, vraiment personne ne voulait jouer là… Ça avait la réputation d’être des villes de durs à cuire avec des bagarres qui explosaient dans les bars pendant les spectacles… Les bands ne voulaient pas y jouer, mais Harold Kudlets leur disait : « Je vais vous engager pour faire le circuit du Nord. Si ça va bien, je vais vous envoyer jouer à Las Vegas ». C’était la carotte… C’était du rock ‘n’ roll, du western, du rockabilly, du jazz, des orchestres Motown de Détroit…
Ce circuit-là permettait à des artistes de faire leurs premières armes dans le milieu du showbusiness. Robbie Robertson du célèbre groupe The Band parle dans sa biographie Testimony que les premiers engagements, à la fin des anneés 60, de son groupe The Band, ça a été à Sudbury, Timmins et Rouyn-Noranda.
Il y raconte les batailles dans les bars. C’était rendu que le groupe avait développé une technique pour gérer les batailles dans les bars. Il mentionne que si une bagarre éclatait, il fallait jouer une chanson au tempo assez slow.
La meilleure chanson pour ça était Stormy Monday parce que la rythmique ne convenait pas aux bagarres!
Sudbury connaît bien Stompin’ Tom Connors à cause de sa légendaire chanson Sudbury Saturday Night. Raconte-nous un peu ses débuts.
Il y a très longtemps de ça alors qu’il n’est pas connu, Stompin’ Tom Connors est dans un bar de l’hôtel Maple Leaf à Timmins et se rend compte qu’il lui manque cinq « cennes » pour payer sa bière. Le barman franco-ontarien, Gaétan Lépine, lui dit : « Je vais te payer les cinq cennes qui te manquent, mais prends ta guitare et joue-nous une toune. » La légende dit que ça s’est transformé en contrat de 14 mois… et c’était le début de sa carrière.
Il va finalement à la radio locale à Timmins et va y enregistrer ses deux premières chansons. Et la station locale, pour pouvoir les jouer en ondes, va faire imprimer une dizaine de 45 tours. Dans sa première chanson, il décrit et nomme toutes les petites villes du circuit des villes du Nord, de Kirkland Lake à Rouyn. J’étais tellement content de retrouver ces deux pièces-là en Colombie-Britannique! Il existe seulement une dizaine de 45 tours! Ça ne me dérange de le dire : j’ai payé 300 $!
As-tu des disques franco-ontariens dans ta voûte?
J’en ai plusieurs. Mon préféré, c’est le groupe Konrad d’Earlton des années 70. Trois jeunes hippies francophones essentiellement. Ils vont faire graver eux-mêmes leurs propres 45 tours.
J’ai trouvé ça au marché aux puces de Rouyn. J’ai payé ça 25 cents et j’ai été longtemps à me demander qui étaient les gens derrière Konrad. Ça, c’est une belle histoire de disque redécouvert. Aujourd’hui, dans l’univers des collectionneurs de disques canadiens, tout le monde veut les disques de Konrad. »