Les invisibles essentiels
[CHRONIQUE]
Jouons un jeu. Je vais vous partager ce qu’un de mes amis a dit récemment sur le développement de l’enseignement du français dans sa région, et je vous laisse deviner d’où il vient…
CÉLESTE GODIN
Chroniqueuse invitée
@haligeenne
« Le français revient en (___) après 20 ans d’absence. C’est un moment fondamental pour la francophonie ici et une opportunité pour que l’(___) prenne un rôle exemplaire au sein de la francophonie des Amériques. J’espère que cette initiative perdurera et rendra les liens entre l’(___) et le monde francophone encore plus durables et étroits! Il y a pas mal de défis car on n’a pas suffisamment d’enseignants et les politiques linguistiques ont été faibles jusqu’à aujourd’hui. »
C’est où, selon vous? Ça aurait pu être chez moi, en Nouvelle-Écosse, il n’y a pas si longtemps. Ça pourrait être en Louisiane, peut-être? Pensez plus grand.
Cette citation vient d’un ami, Juan Ignacio Mazzoni, qui habite Montevideo, en Uruguay. Grâce à un partenariat tout nouveau avec la France, le français redevient une option de langue étrangère dans les lycées uruguayens. Cette langue leur permettra, comme à nous, d’être connectés à la famille des francophones et au monde.
Et oui, il y a des francophonies en Amérique du sud! Il y a des francophonies dans les Antilles! Il y a 11 millions de francophones aux États-Unis! C’est plus qu’au Canada, d’un océan à l’autre à l’autre. Ces francophonies invisibles sont tout autour de nous. Et nous commençons tout juste à les connaître.
Dépasser les frontières
Nous travaillons en francophonie canadienne de façon assez hermétiquement cloisonnée. On découpe tout géographiquement en provinces et en région, et on redécoupe les actions sur le terrain en secteurs : culture, aînés, parents, femmes, jeunes.
La conséquence, c’est que nous nous comportons ensuite comme dans un jeu de Twister où il faut essayer de ne pas marcher sur les orteils des autres, tout en faisant des demandes de financement au même bailleur de fonds.
Ceux qui sont en haut de la pyramide géographique ou sectorielle voient le paysage, parce qu’ils ont beaucoup de contacts les uns avec les autres. Ceux qui sont au bas de la pyramide, ou qui ne sont même pas au courant qu’il y a des pyramides dans ce pays ou ailleurs, ne voient que leur petit coin du monde, et peuvent facilement croire que leur expérience francophone leur est complètement unique.
Ce sentiment de solitude est une expérience commune chez tous les francophones que j’ai croisés. On se sent tous méconnus et incompris.
Différents mais semblables
Et pourtant, nous nous ressemblons tous tellement. Je ne me suis jamais si bien sentie représentée que lorsque des jeunes franco-manitobains ont partagé leur réalité dans « Ceci c’est notre message », une production du Conseil Jeunesse Provincial (Manitoba) réalisée par Gabriel Tougas.
J’ai vu qu’on n’était pas les premiers à trouver que des choses se diraient franchement mieux en anglais, et que ce n’était pas la fin du monde.
Mes amis haïtiens ont eux aussi des relations compliquées avec les langues qui les entourent : le français, langue du colonisateur, de l’école, et de la bourgeoisie, et le créole, langue de la maison, des amis et de 90% du peuple, qui n’a pourtant pas l’occasion d’être vraiment écrite ou enseignée.
J’ai vu que je n’étais ni la première, ni la seule à avoir mal à ma langue. Je me sentais moins coupable. Je me sentais moins petite.
Voir plus grand
Nous avons intérêt à regarder plus vers l’autre et moins vers nos propres nombrils. Nous avons la chance de vivre dans l’ère du numérique où nous pouvons maintenant nous voir et nous parler de francophones à francophones.
Nous pouvons nous rassembler avec des mots-clics comme #AMfr. Nous avons maintenant gratuitement accès à notre propre littérature dans la Bibliothèque numérique des Amériques. YouTube porte nos messages beaucoup plus loin que nos communiqués de presse peuvent espérer le faire.
Justement, c’est vers YouTube que je vous envoie pour une première leçon en francophonie d’ailleurs, avec des vidéos faites par des enfants de tout le continent pour le concours « @nime ta francophonie », du Centre de la francophonie des Amériques.
Défaisons les barrières que nous avons construites avec les fonds du fédéral et retrouvons nous dans une même francophonie citoyenne et inclusive. On sera moins minoritaires ou du moins, on le sera ensemble.
Céleste Godin est une écrivaine et militante acadienne de la Nouvelle-Écosse.
*Note de la rédaction de #ONfr : L’auteure est membre du conseil d’administration du Centre de la francophonie des Amériques, à titre de représentante de l’Acadie.
Note : Les opinions exprimées dans les chroniques publiées sur #ONfr n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.