Les journaux francophones durement frappés par la COVID-19
Les conséquences économiques de la pandémie de COVID-19 se font sentir de manière très brutale dans les journaux francophones. Beaucoup auront du mal à s’en relever, estime un expert.
« Nous avons dû faire quatre mises à pied, vendredi. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que quatre. On espère que ce sera temporaire. C’est un peu moins pire pour la radio, mais pour le journal, c’est la catastrophe », raconte Steve McInnis.
Le directeur général des Médias de l’épinette noire ne le cache pas, les temps sont durs pour la radio de Hearst CINN 91,1 et surtout pour l’hebdomadaire Le Nord. Les annulations de publicités ces derniers jours l’ont obligé à prendre des décisions radicales.
« Cette semaine, nous aurons encore un journal papier, mais ensuite, il deviendra temporairement virtuel et gratuit. Ça va nous permettre d’économiser les frais d’imprimerie tout en continuant d’informer les gens. »
Une situation difficile partout
La situation du quotidien Le Droit qui annonçait, ce mardi, 23 mises à pied temporaires n’a donc rien d’exceptionnel.
« Tous les membres à qui nous avons parlé nous le disent : les revenus fondent avec la fermeture des lieux publics, des commerces, mais aussi tous les événements qui sont annulés », explique Francis Sonier, président de l’Association de la presse francophone (APF), qui représente 23 journaux francophones en situation minoritaire. « Certains journaux estiment à 70 % leurs pertes de revenus publicitaires à venir! »
Également éditeur-directeur général du quotidien l’Acadie Nouvelle, M. Sonier indique que son journal a décidé de réduire la semaine de travail de ses employés de 20 % pour faire face à la crise actuelle.
La situation est difficile aussi à La Voix Acadienne, à l’Île-du-Prince-Édouard.
« Cette semaine, on a réussi à faire paraître une version papier, mais la semaine prochaine, on sera seulement sur internet avec un journal virtuel gratuit. On sait que tout le monde n’a pas accès à l’électronique, mais c’est tout ce qu’on peut offrir », explique la directrice de l’hebdomadaire, Marcia Enman.
D’ici une semaine, les cinq employés de La Voix Acadienne se retrouveront au chômage. Le journal continuera à fonctionner avec des pigistes, mais aussi avec la bonne volonté des employés qui « ont accepté de faire du bénévolat ».
Joints par ONFR+, certains médias préfèrent ne pas se prononcer, comme la Compagnie d’édition André Paquette, dans l’Est ontarien, et Altomedia, dans le Centre-Sud-Ouest. Mais Denis Poirier, l’éditeur d’Altomedia qui publie notamment Le Métropolitain, confirme les difficultés actuelles, dans un échange de courriels.
« Nos journaux sont durement touchés tant sur le plan de la publicité que de la production de contenus diversifiés de qualité, spécialement en rapport avec les activités communautaires francophones. La plupart des publicités prévues au mois d’avril non liées à la COVID-19 ont été annulées », explique-t-il, soulignant que ses publications sont toujours disponibles en ligne et en version imprimée pour l’instant.
Quel paysage médiatique après la crise?
La COVID-19 pourrait sonner le glas de plusieurs journaux, estime le professeur au département de communication de l’Université d’Ottawa et spécialiste des médias, Marc-François Bernier.
« Ce sont des médias qui étaient déjà en salle d’urgence. Avec cette crise, c’est comme si on venait de les débrancher », illustre-t-il. « Certains y resteront et d’autres devront être ranimés. »
Steve McInnis n’a aucun doute que Le Nord résistera à la crise.
« Ce qui va nous sauver, c’est sûrement notre activité de financement, le bingo. Les gens jouent de plus en plus, surtout avec la situation actuelle. Alors tant qu’on peut continuer, ça va nous aider. »
Mme Enman juge difficile de faire des projections, mais elle évalue pouvoir tenir encore un mois dans la situation actuelle. La directrice de La Voix Acadienne et le président de l’APF espèrent un coup de pouce des gouvernements, notamment du fédéral.
« Nous travaillons avec le ministère de la Santé et avec Services publics et Approvisionnement pour de la publicité, mais ça ne suffira pas. Nous sommes aussi en contact avec la ministre Joly [ministre des Langues officielles], car on aimerait un fonds d’urgence qui pourrait être pris du Fonds d’appui stratégique aux médias communautaires avec un accès plus facile et rapide. »
M. Bernier se montre critique envers la gestion du gouvernement libéral concernant la crise des médias qui dure depuis bien plus longtemps que la pandémie.
« Jusqu’ici, le fédéral a beaucoup plus parlé qu’il n’a agi. Seul le Québec a vraiment pris des mesures avec une politique fiscale et des crédits d’impôt. »
Même si les journaux prennent des mesures, ils ne parviendront pas à s’en sortir seuls, ajoute-t-il.
« Les journaux ont devancé des stratégies qu’ils auraient prises tôt ou tard, comme la fin de l’impression papier, afin de réduire leurs coûts. Mais ça ne suffira pas. La seule solution, c’est l’aide publique pour passer les semaines à venir. »
Appel aux lecteurs
M. Sonier en appelle aussi aux lecteurs.
« Il faut que les citoyens s’engagent! », dit-il, critiquant le modèle de l’information gratuite.
Un avis que partage M. Bernier.
« Les médias sont très fréquentés et n’ont pas perdu leur pertinence, mais ça ne peut pas fonctionner si personne ne paie! »
Une chose est sûre pour le professeur de l’Université d’Ottawa, le paysage médiatique risque de sortir chamboulé de la crise de la COVID-19.
« Mais les communautés auront besoin de nous pour se reconstruire », insiste M. Sonier.