Les langues officielles reléguées au second plan

La ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, Mélanie Joly. Crédit image: Benjamin Vachet

OTTAWA – Le premier ministre Justin Trudeau a dévoilé, ce mardi, les nouvelles lettres de mandat des ministres nommés en juillet. La ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, Mélanie Joly, aura notamment pour mission de « commencer un examen dans le but de moderniser la Loi sur les langues officielles », mais aussi, et avant tout, d’élaborer la nouvelle stratégie fédérale en matière de tourisme.

BENJAMIN VACHET
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« La lettre de mandat de Mme Joly confirme, comme l’indique son titre, que sa priorité absolue sera le tourisme. C’est la première mission que lui donne le premier ministre et à 14 mois de l’élection fédérale, élaborer une nouvelle stratégie en matière de tourisme paraît un objectif ambitieux qui risque de prendre beaucoup de son temps », analyse le professeur de sciences politiques à l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, Rémi Léger.

Pour le porte-parole aux langues officielles du Parti conservateur du Canada (PCC), Alupa Clarke, cela ne fait que confirmer les craintes nées de la création de ce nouveau ministère.

« Je ne comprends toujours pas qu’on mélange le tourisme avec les langues officielles! Et d’après ce qu’on lit aujourd’hui dans la lettre de mandat de Mme Joly, on voit clairement que les langues officielles sont secondaires dans ce ministère. »

Très attendues, les lettres de mandat des nouveaux ministres devaient tracer les contours de la nouvelle organisation gouvernementale en matière de langues officielles, depuis que le ministère du Patrimoine canadien a été délesté du dossier au profit d’un nouveau ministère hybride regroupant Tourisme, Langues officielles et Francophonie.


« Le gouvernement semble privilégier la continuité. Ça laisse l’impression que pour M. Trudeau, le Parti libéral a déjà fourni la marchandise dans ce domaine. » – Rémi Léger, politologue


En matière de langues officielles, le premier ministre confie à la ministre Joly, en premier lieu, la mission de poursuivre la mise en œuvre du Plan d’action pour les langues officielles.

Peu de nouveautés

Outre l’évocation du Plan d’action pour les langues officielles, déjà dévoilé en mars, le gouvernement répète plusieurs promesses déjà formulées dans la lettre de mandat de Mme Joly.

Comme dans le document de 2015, on y souligne notamment l’importance de « collaborer avec le président du Conseil du Trésor pour veiller à ce que l’ensemble des services fédéraux soient offerts en conformité avec la Loi sur les langues officielles » et aussi, l’objectif d’établir « un service en ligne gratuit d’apprentissage et de maintien du français et de l’anglais comme langue seconde ». Nouveauté toutefois, le premier ministre souligne que ce service, qui faisait partie de la plateforme libérale de la dernière campagne, devra « rendre hommage » à l’ancien député fédéral franco-ontarien, Mauril Bélanger, disparu en 2016, « qui avait mis cette idée de l’avant ».

Le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Jean Johnson se montre pourtant satisfait de l’engagement du gouvernement libéral.

« Je trouve particulièrement positive la mention d’une collaboration entre la ministre Joly et le président du Conseil du Trésor [Scott Brison], car on connaît l’impact qu’a le Conseil du Trésor sur l’appareil fédéral. »

Il se dit en revanche inquiet que le rétablissement du Programme de contestation judiciaire, présent dans la lettre de mandat de Mme Joly en 2015, ait disparu de ses priorités, et ce alors que rien n’a évolué depuis la fin du précédent programme en mars 2017.

« On a perdu presque deux ans d’investissement et ma demande à Mme Joly est de s’assurer que le programme soit remis en place d’ici le plus rapidement possible. »

Pas de modernisation avant 2019

Il faudra encore à la FCFA être patiente quant à la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Malgré la promesse du premier ministre en juin, la ministre Joly aura simplement pour mission, d’ici les prochaines élections, de « commencer un examen dans le but de moderniser la Loi sur les langues officielles ».

Un objectif qui peut être vu comme peu ambitieux alors que plusieurs groupes réclament depuis longtemps une modernisation de la Loi, qui fêtera les 50 ans de sa première version en 2019 et qu’un tel examen a déjà été entamé depuis plusieurs mois par le comité sénatorial des langues officielles.

« Mais pour être honnête, j’aurais été surpris qu’on annonce une modernisation avant les élections [en 2019], car c’est une grosse demande », tempère le président de la FCFA. « J’aurais toutefois aimé un engagement et des directives plus rigoureuses sur le travail qui sera fait. Le gouvernement doit tenir compte du travail entrepris au Sénat. »

Le député conservateur Alupa Clarke à la Chambre des communes. (Crédit photo : gracieuseté)

Même son de cloche du côté de M. Clarke.

« J’aurais aimé lire que la ministre devra « compléter cet examen » et non pas le « commencer ». Les langues officielles ne devraient pas être un enjeu partisan conditionné par une réélection. »

La mention de la modernisation de la Loi sur les langues officielles constitue toutefois une nouveauté. Aucune mention ne faisait partie de la première lettre de mandat de Mme Joly ni de la plateforme libérale, en 2015. Selon le politologue Rémi Léger, l’organisme porte-parole des francophones en milieu minoritaire devra s’assurer d’être à la table dès les premières discussions.

« Il va falloir talonner le gouvernement et tous les partis pour nous assurer que ce soit une priorité de la prochaine campagne », reconnaît M. Johnson, qui rappelle que son organisme proposera son propre projet de loi en novembre.

Le gouvernement fournira l’occasion à la FCFA de mettre de l’avant cet enjeu puisqu’il prévoit des festivités pour célébrer le 50e anniversaire de la Loi, en 2019.


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