
Les liens souterrains et humains du Théâtre du Nouvel-Ontario

SUDBURY – C’est devant une salle comble que le Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO) a lancé sa programmation 2025-2026 jeudi soir, à la Place des arts du Grand Sudbury. Collaborations, grandes célébrations franco-ontariennes et projets de longue haleine attendent les spectateurs dès septembre.
Le thème de cette saison est Liens souterrains. En entrevue avec ONFR, la directrice artistique Marie-Pierre Proulx explique les raisons enfouies derrière ce choix : « On parle de liens interpersonnels, humains, dans plusieurs des spectacles. (…) Mais on a aussi des spectacles qui se passent littéralement sous terre. »
La référence la plus évidente est la production maison professionnelle de cette année. Giant Mine est une pièce documentaire de Marie-Ève Fontaine, coproduite par le TNO et le Théâtre français du Centre national des arts. Inspirée d’un passage à Yellowknife, la quête de la dramaturge l’a menée jusqu’à Rouyn-Noranda et Fort McMurray, en passant bien sûr par Sudbury.
Dans une Rencontre d’ONFR, celle qui est nouvellement directrice artistique du Théâtre Cercle Molière de Winnipeg commentait son projet : « Je me sers des verbatims d’entrevues et de mes expériences personnelles avec le lieu pour aborder le sujet des enjeux écologiques liés aux industries d’extraction, mais aussi à notre relation avec le territoire et avec nos objets, pour questionner nos habitudes de consommation. »

Giant Mine, toujours en processus de création, fera partie des pièces en chantier présentées aux Zones théâtrales à Ottawa, en septembre. La version finale s’arrêtera au TNO en mars 2026. Le spectateur visitera d’abord une installation immersive, suivie d’une partie théâtrale avec des dialogues sortis tout droit des verbatims des entrevues faites par Marie-Ève Fontaine.
Liens souterrains est aussi un jeu de mots bilingue. « C’est ce qui nous relie, et c’est aussi l’idée du souterrain dans le sens d’underground. On a des propositions théâtrales qui sont un peu différentes, qui sortent des sentiers battus. »
La pièce in situ Le concierge de Vincent Leblanc-Beaudoin en est un bon exemple. Coproduite par le Théâtre français de Toronto en 2023, elle entraîne une poignée de spectateurs à la fois dans les dédales d’une école secondaire (à Sudbury : le Collège Notre-Dame). Sans paroles, la pièce offre une fenêtre sur la solitude, la classe ouvrière et l’importance du contact humain.

Une autre pièce dont on entend parler depuis quelque temps en Ontario français est Le téton tardif, de Caroline Raynaud. La Sudburoise d’origine française y raconte son rapport à la féminité, les pressions sociales de l’adolescence et de l’âge adulte, le patriarcat et les agressions presque nécessaires pour réussir dans le métier de comédienne, particulièrement dans son pays natal. Tout de même alimentée d’humour, la proposition a gagné le prix Audace de Réseau Ontario et le prix Alliance du ROSEQ à Contact ontarois 2025.
Après avoir participé au Cabaret de la cellule d’écriture et au programme d’écriture dramaturgique du TNO en début de projet, Caroline Raynaud « avait vivement envie de le porter elle-même, raconte Marie-Pierre Proulx. On est un peu comme le grand frère ou la grande sœur du projet. On la soutient du point de vue administratif, mais c’est vraiment elle la productrice principale. »
Lendemain de veille franco-ontarien
Alors que Sudbury soulignera en grand le cinquantième anniversaire du drapeau franco-ontarien le 25 septembre, la nouvelle pièce de Créations In Vivo, Mourir de trop gueuler, sera invitée par le TNO et La Slague à se produire un peu partout en ville.
Elle sera présentée dans une version simplifiée en matinées scolaires dans la semaine précédant le Jour des Franco-Ontariens, puis le jour même lors des célébrations, et s’arrêtera ensuite au Lounge 390, un « bar un peu underground de Sudbury », dans une soirée « festive et sociale » qui inclura également d’autres activités, comme des jeux-questionnaires.

Selon Marie-Pierre Proulx, cette représentation du 26 septembre fera office « d’after-party ». À en croire le producteur exécutif artistique de Créations In Vivo, Dillon Orr, elle pourrait aussi faire grincer quelques dents militantes de la première heure.
« Les personnages sont les archétypes des gardiens de la langue française en Ontario. On a les écoles, les institutions culturelles et le gouvernement, explique Dillon Orr à ONFR. On enterre une grenouille, qui est le symbole de la francophonie qui a trop chiâlé. C’est le commentaire qu’on veut faire. On ne peut pas vivre qu’en parlant de nos crises. »
Mourir de trop gueuler a fait partie des présentations éclair de Contact ontarois en janvier 2025, mais le texte, alors un feu roulant de références franco-ontariennes, a été retravaillé depuis. « Je trouvais qu’on était un peu trop dans le party de cuisine en famille, explique Dillon Orr. J’avais vraiment le goût d’inclure un plus grand nombre de spectateurs francophones et francophiles, toutes les personnes qui sont dans nos écoles et fréquentent nos salles. »
Pour lui, les Franco-Ontariens constituent une minorité « avec énormément de privilèges ». Si le spectacle, utilisant le bouffon comme ressort comique, fera nécessairement rire l’assistance, il espère aussi qu’il aura un effet mobilisateur. « Je pense que le spectacle va faire beaucoup plus réfléchir que ce qu’on pensait à la base. »
Les nouveaux spectateurs
Marie-Pierre Proulx croit aussi qu’il faut intéresser les nouveaux arrivants francophones à fréquenter les lieux de diffusion franco-ontariens. C’est le but de la production communautaire multidisciplinaire, Par ici le talent. Cette idée d’abord élaborée dans le cadre de l’initiative Communauté francophone accueillante avec l’agente de liaison culturelle au centre de santé communautaire du Grand Sudbury, Priscilla Mbemba, en est à sa troisième édition.
« Le but premier, c’est de créer des liens entre la communauté d’accueil et les nouveaux arrivants, de permettre aux gens de se découvrir », affirme Marie-Pierre Proulx.
Les résidents de Sudbury peuvent s’inscrire, passer des auditions et recevoir les conseils d’artistes professionnels.

Le TNO s’allie également avec le Centre franco-ontarien de folklore pour présenter un spectacle pendant le festival Les vieux m’ont conté, en octobre. Nzinga est l’histoire autobiographique de Tatiana Zinga Botao et est coproduite par le Théâtre d’aujourd’hui et La Sentinelle, de Montréal. Congolaise ayant grandi en Belgique et vivant maintenant au Québec, Tatiana Zinga Botao, a découvert qu’elle était la descendante d’une reine congolaise.
Une conférence sur l’Afrique précoloniale se tiendra en marge de la représentation, « pour ouvrir nos horizons par rapport à notre perception de l’Afrique. »
Pour le jeune public, la pièce Parole d’eau, de Théâtre Motus et Djarama, se penche sur notre rapport à l’eau potable, qui diffère selon les parties du globe, dans un dialecte entre une Sénégalaise et une Québécoise.

La pièce 45, de la Taupinière du Théâtre des petites âmes vient compléter la programmation jeunesse. « C’est vraiment un spectacle qui invite à la découverte de tout ce qui entoure dans la nature », commente Marie-Pierre Proulx à propos de ce spectacle élaboré avec des finissants du collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse (Québec).
En plus des pièces de théâtre, l’heure du conte (à laquelle les enfants peuvent assister pendant que leurs parents sont au spectacle), les surtitres anglophones sur certaines représentations, les causeries du vendredi avec les artistes et les activités de médiation artistique seront de retour.
D’autres projets récurrents devraient être annoncés prochainement, mais le TNO attend encore le financement nécessaire.