Les positions du fédéral et de l’Ontario difficilement conciliables sur l’UOF

La ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, Mélanie Joly, à gauche, et la ministre des Affaires francophones de l'Ontario, Caroline Mulroney, à droite. Montage: Rudy Chabannes

OTTAWA – Les modifications demandées par l’Ontario à l’entente de principe du gouvernement fédéral sur le financement de l’Université de l’Ontario français (UOF) rendraient peu probable une issue favorable en l’état. L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) leur lance un ultimatum.

Jeudi matin, l’optimisme semblait de mise. Dans une déclaration commune, les ministres de la Formation et des Collèges et Universités, Ross Romano, et des Affaires francophones, Caroline Mulroney, accueillaient favorablement la proposition fédérale, soumise en début de semaine, prévoyant, sous conditions, un financement partagé pour la création de l’université.

Mais dans les rangs franco-ontariens, la prudence restait de mise. Le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO) se disait heureux des discussions, mais prenait soin d’attendre une annonce officielle conjointe.

Car en politique, le diable est dans les détails. Et les modifications souhaitées par la province rendent aujourd’hui difficile d’imaginer l’accord du fédéral.

Des modifications majeures

Non signée contrairement à la version soumise par la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, Mélanie Joly, l’entente modifiée par la province, dont ONFR+ a obtenu copie, contient des changements loin d’être anodins.

« C’était sûr que la province n’allait pas accepter cette entente sans négocier. Mais c’est difficile de comprendre le jeu de l’Ontario aujourd’hui. Son engagement n’est plus aussi clair », analyse le politologue de l’Université d’Ottawa, Martin Normand.

La province supprime plusieurs des conditions fixées par Ottawa, notamment celle mentionnant la volonté du fédéral de retrancher de son engagement financier les 1,9 million de dollars déjà dépensés en janvier pour maintenir l’UOF.

« Le gouvernement provincial a sûrement pris de travers cet investissement décidé de manière unilatérale. C’est une manière de renvoyer Ottawa à ses responsabilités et de dire qu’il doit assumer sa décision », juge M. Normand.

Entente impossible

D’autres modifications, soumises à l’analyse du politologue, pourraient être encore plus problématiques, comme de supprimer la partie indiquant que la province devra rembourser le fédéral si elle ne paie pas sa part et celle que la contribution du fédéral ne dépassera pas 50 % des coûts énoncés.

« Qu’arrivera-t-il s’il y a des coûts supplémentaires, notamment si les admissions ne sont pas au niveau ou que le local est plus cher? Le fédéral voulait préciser que ce serait à la province d’en assumer la responsabilité. »


« On dirait que la province essaie de se garder une porte de sortie si le projet ne fonctionne pas » – Martin Normand, politologue


Mais ce qui inquiète encore davantage M. Normand, c’est la volonté du gouvernement progressiste-conservateur de retirer toute mention de la responsabilité provinciale du projet.

« Pour moi, c’est un deal breaker. Je m’explique mal que la province retire qu’elle a sa part de responsabilité dans la survie du projet et que oui, il faudra bien continuer à ce que quelqu’un finance l’université après les huit années de démarrage. Le fédéral pourra encore contribuer, mais certainement pas à hauteur de 50 % et la province doit accepter cette responsabilité. Ça remet en cause la durabilité de son engagement », estime le politologue, pour qui le document fédéral comportait beaucoup moins d’obstacles.

La bonne foi de la province écornée

Pour M. Normand, la crédibilité du gouvernement ontarien, déjà responsable de la crise, est remise en cause.

« Dans les derniers jours, on pouvait dire que la province avait gagné un certain capital sympathie, notamment après que la ministre Joly ait jugé sa première proposition irrecevable. Mais aujourd’hui, on peut un peu douter de la bonne foi du gouvernement de Doug Ford, même s’il a fait des pas. »

Pour le politologue de l’Université McMaster, Peter Graefe, le changement soudain de position de l’Ontario dans le dossier pourrait s’expliquer autant par l’approche des élections fédérales et la volonté du gouvernement Ford d’aider le Parti conservateur du Canada, que par une volonté réelle de corriger la situation après le tollé de l’automne dernier.

« C’est difficile de faire confiance au gouvernement ontarien, d’autant que les ministres manquent d’engouement quand ils parlent du projet. Mais peut-être qu’ils voient la perspective de réparer les relations avec la communauté franco-ontarienne sans avoir à ne débourser aucun sou pendant leur mandat, puisque c’est le fédéral qui paie. C’est d’autant plus important que dans la région d’Ottawa, le vote francophone peut permettre des gains dans trois ans. »

L’AFO lance un ultimatum

Officiellement, les deux parties semblent encore décidées à conclure une entente avant les élections, qui pourraient être déclenchées cette fin de semaine. La ministre Mulroney a toutefois pris soin de préciser que même si ce n’est pas le cas, « l’engagement du gouvernement provincial ne va pas changer ». Selon M. Graefe, il n’y a pas forcément urgence pour les conservateurs.

« Ils pourront toujours dire que les négociations se poursuivent, ce qui protègera les conservateurs fédéraux des attaques et réduira le risque qu’on les accuse d’être contre les francophones. Le gouvernement ontarien pourrait se montrer ouvert jusqu’aux élections, puis revenir en arrière. C’est une hypothèse. »

Le président de l’AFO, Carol Jolin. Archives ONFR+

Un risque que l’AFO ne veut certainement pas prendre. Dans une lettre diffusée hier soir, l’organisme exhorte les gouvernements à s’entendre avant le déclenchement des élections fédérales.

« Il serait catastrophique et impardonnable que tous vos efforts, si près du but, tombent à l’eau! (…) Vous avez tous les trois fait un travail remarquable dans votre tentative de sauver l’Université de l’Ontario français. Il est maintenant temps de conclure! », écrit le président de l’AFO, Carol Jolin, ajoutant qu’en cas d’échec les deux paliers de gouvernements seraient imputables « pour ce retour à la case départ ».