Les syndicats d’enseignants à l’unisson, déterminés à faire reculer Ford
Ce vendredi, ils étaient des milliers d’enseignants devant les écoles, ou dans les rues, à crier leur colère contre les réformes en éducation du gouvernement de Doug Ford. Les journalistes d’ONFR+ étaient mobilisés sur le terrain pour cette journée de revendication historique.
Pour la première fois depuis le début du conflit avec le gouvernement, les quatre syndicats d’enseignants de l’Ontario, l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO) et l’Association des enseignants catholiques anglo-ontariens (OECTA), débrayaient le même jour, avec pour conséquence la fermeture de l’ensemble des écoles publiques et catholiques pour les deux millions d’élèves de la province.
FEEO), la Fédération des enseignantes-enseignants des écoles secondaires de l’Ontario (FEESOQuelque 200 000 enseignants étaient concernés par cette grève.
Au total, 86 piquets de grève avaient été mis en place par l’AEFO.
Après une première journée de débrayage le jeudi 13 février, le syndicat aux 12 000 membres avait poursuivi les dernières journées sa grève du zèle.
Les conventions collectives entre le gouvernement et les quatre syndicats d’enseignants de la province sont échues depuis le 31 août.
Depuis cinq mois, les discussions bloquent notamment sur la hausse des salaires des enseignants, l’augmentation de la taille des classes, ou encore la mise en place de l’apprentissage numérique.
Sabourin : « la journée des membres »
Un peu avant 10h, le président de l’AEFO, Rémi Sabourin, présent devant Queen’s Park en compagnie des responsables des trois autres syndicats, s’est adressé aux médias.
« Le gouvernement doit venir à la table, prêt à négocier, et pour le moment ce n’est pas le cas. Nous allons continuer. Aujourd’hui, c’est la journée des membres. M. Ford arrête pas de nous dire que c’est entre le leadership et le membership, mais aujourd’hui, allez sur les lignes de piquetage voir les membres, leur parler de ce qu’ils vivent dans les salles de classe, de ce que l’éducation devrait être, et ce n’est pas ce que MM. Lecce et Ford disent. »
Queen’s Park, c’était le lieu de la grande manifestation contre la réforme du gouvernement progressiste-conservateur. Devant l’édifice de l’Assemblée législative de l’Ontario, des milliers de manifestants étaient présents.
« Enseignant oui, en saignant, non », l’affiche de l’enseignant Jean Tcheuffa était pour pour le moins éloquente.
« Le gouvernement a réduit les service à l’enfance et aux jeunes… On a besoin d’un Canada fort, d’un Canada uni, d’un Canada prospère. On veut que le gouvernement Ford se rende compte que oui, les enseignants sont là, pour les enfants, pour les parents! Si on ne fait rien aujourd’hui, on aura quelque chose de pire dans 10 ou 15 ans! »
D’autres villes concernées, l’exemple de Kitchener
Dans la région de Waterloo, les quatre syndicats se sont donné rendez-vous à Kitchener, point de convergence des enseignants et personnels de soutien de plusieurs dizaines d’écoles de Kitchener, Guelph, Cambridge ou encore Waterloo.
Le parvis de l’hôtel de ville était noir de monde. La foule s’agglutinait autour de la patinoire extérieure et contre le podium où les porte-parole syndicaux se succédaient, haranguant leurs troupes. Auparavant, un immense cortège s’était étiré dans les rues du centre-ville, avant de revenir devant l’hôtel de ville.
Dans une marée de pancartes bleues, rouge et noires, quelques écharpes et bonnets verts… Les enseignants de l’AEFO se sont dispersés mais bien présents.
« L’union fait la force », lance Christine Beaulieu, enseignante en élémentaire à Kitchener. « On est ici pour valoriser les services aux élèves. On ne veut pas avoir plus de coupures. On en a assez eu comme ça. »
« On travaille pour le futur du pays », souligne son collègue Daniel Mbeli. « Si on ne trouve pas des solutions pour les gamins d’aujourd’hui, alors à quoi ressemblera notre futur social. Il faut investir dans nos petits pour que, demain, on soit meilleur. »
Partout, en effet, la même inquiétude : comment bien enseigner avec toujours moins de ressources?
« On doit gérer des écarts de niveaux importants entre élèves », affirme Johanne Leclerc, elle-aussi de Kitchener. « Ils deviennent tellement frustrés qu’ils ont du mal à gérer leurs émotions. Le manque d’aides-enseignants fait qu’on se retrouve de plus en plus à faire de la sécurité plus que l’enseignement. »
« Visiblement, on a un gouvernement qui semble moins valoriser l’éducation que ce que l’on aimerait », regrette David Carrier, enseignant au secondaire à Cambridge. « On voit des choix de cours qui disparaissent, des enseignants mis de côté. On est inquiet pour nos jeunes. Heureusement, les parents et la population sont derrière nous. »
La police, qui quadrillait le secteur, a fermé certaines rues à proximité pour des raisons de sécurité. L’ambiance était festive. Les pétitions de soutien circulaient de mains en mains. Le café coulait à flot pour lutter contre le froid, sur fond de musique rock n’roll, le tempo des grévistes face aux réformes Ford.
Manifestations importantes aussi à Sudbury
À Sudbury, les membres des quatre syndicats sont descendus dans la rue pour manifester aux trois plus importantes intersections des régions : les quatre coins, l’angle des rues Lassalle et Barrydowne ainsi qu’au carrefour de la rue Barrydowne et du Kingsway.
Des centaines d’enseignants, d’éducateurs et d’employés de soutien ont brandi leur pancartes dans les deux langues officielles au son des klaxons des voitures passantes.
La députée néo-démocrate de Nickel Belt, France Gélinas, s’est jointe aux manifestants à Sudbury afin de les appuyer en distribuant des chauffe-mains.
« Cette semaine, on a poussé fort pour faire comprendre au ministre de l’Éducation ainsi qu’au gouvernement Ford que les cours en ligne, c’est dangereux pour les Franco-Ontariens », a laissé entendre celle qui a longtemps officié comme porte-parole aux Affaires francophones pour son parti.
« Si on assoit les francophones tout seul chez eux devant leur ordinateur, on va les perdre. Les francophones ont besoin de la socialisation qui se passe dans nos écoles, ils ont besoin de lieux sécuritaires pour assimiler sa langue et vivre en français. »
Selon Ginette Lefebvre, présidente de l’unité 57 de la FEESO, la situation du personnel de soutien mérite d’être mise plus de l’avant.
« Nous représentons tout le personnel de soutien », explique-t-elle.
« Il y a les orthophonistes, les ergothérapeutes et les psychologues, mais aussi les commis et les secrétaires, les éducatrices de la petite enfance, les techniciens en éducation spécialisée et j’en manque. Nous avons au moins 35 différents genres d’emploi dans notre unité, et ce n’est pas des gens qui font 90 000 $ par année. Il y en a qui ne font même pas la moitié de ça et ils sont renvoyés pour deux mois par année. »
Mme Lefebvre souligne que la grève n’est pas chose facile pour la plupart des membres de son syndicat, qui doivent renoncer à des journées de salaire, mais qui sont dédiés à poursuivre la grève pour « protéger l’éducation en Ontario ».
« En tant que parent, j’ai vu à quel point les classes de 35 élèves et plus ont nui à l’éducation de mon garçon. C’est un enfant qui n’a aucune difficulté en salle de classe, mais lorsqu’il a pris un cours en ligne, il l’a complètement fauché parce qu’il n’avait personne pour l’encadrer. Toute la recherche démontre que ce ne sont pas de bonnes politiques pour nos enfants. »
Elle conclut que les grèves tournantes se poursuivront jusqu’à avis du contraire.
Chaude ambiance à Rockland
L’ambiance est aussi survoltée du côté de Rockland dans l’Est ontarien. Plusieurs piquets de grève sont en place sur la rue Laurier au centre-ville tandis que des klaxons se font aller.
« Ça fait du bien de sentir que c’est pas juste notre syndicat, mais c’est partout en Ontario. Nos élèves sont notre priorité », confie Patrick Bergeron, enseignant à l’École secondaire catholique L’Escale à Rockland.
« J’enseigne des cours d’arts médiatiques, c’est des petits cours, et si on augmente les élèves, je vais perdre ces cours et les élèves veulent l’avoir. »
Un peu plus loin, sa collègue Louise Bouvier de la même école, se montre tout aussi incrédule sur les réformes en éducation.
« C’est toute la famille ensemble en éducation, les éducateurs, les enseignants qui sont là. On se serre les coudes pour dire qu’on ne veut pas que ce qui est proposé aux négociations passées. Il faut vraiment qu’on se prononce et qu’on dise non! »
Selon elle, les besoins se multiplient. Une donnée ignorée par le gouvernement.
« Les enfants de plus en plus ont des besoins énormes en éducation, mais, il y a des coupures de poste au niveau des aides. L’enseignement ne peut affronter tout ça et donner une leçon adéquate. »
Jean-Yves D’amour, suppléant, craint de son côté des tâches qui n’incombent pas aux enseignants.
« On tombe dans les situations on n’a plus de compétences, on n’est pas des psychologues, on n’est pas des travailleurs sociaux. On nous demande de mettre la crème solaire à des jeunes, les changer, mais on est là pour leur apprendre. »
Article écrit conjointement par Sébastien Pierroz, Didier Pilon, Rudy Chabannes, Étienne Fortin-Gauthier et Camille Martel.