Le premier ministre Doug Ford accompagné de ses homologues du Conseil de la Fédération, mercredi à Washington. Photo : AP Photo/Ben Curtis

Annoncés, suspendus, appliqués en partie… Les tarifs américains se sont éloignés un temps pour revenir occuper l’espace médiatique de la première moitié de campagne et ce va-et-vient devrait perdurer jusqu’au scrutin du 27 février, voire au-delà, maintenant la province dans l’incertitude économique et la renforçant dans une certitude, à plus long terme, de rendre son économie moins dépendante de son grand voisin.

La crainte de voir s’abattre des droits de douane de 25 % sur les produits canadiens exportés aux États-Unis a servi de détonateur à Doug Ford pour déclencher des élections provinciales un an et demi avant le terme de son deuxième mandat de premier ministre.

À la mi-campagne, la situation reste extrêmement volatile. Suspendue pour une durée d’au moins un mois, l’épée de Damoclès sur l’Ontario et ses 500 000 emplois à risque s’est déplacée, offrant un répis. Ce qui n’a pas empêché le locataire de la Maison-Blanche de signer deux décrets imposant des tarifs sur l’acier et l’aluminium canadien, dont l’Ontario est le principal producteur au pays.

Que Donald Trump change d’avis ou que Doug Ford se rende à Washington pour défendre la province, l’ombre des tarifs continue donc de planer sur la campagne et de teinter diverses annonces, au gré de promesses de nature économique comme le soutien aux emplois ou les mesures de rétorsion contre les États-Unis et la Chine.

« Même si Trump disait ‘‘Non, on ne va pas appliquer les tarifs’’, ça reste le thème dominant de cette campagne, perçoit la politologue Geneviève Tellier. On ne peut pas enlever qu’en toile de fond il existe un problème qui s’appelle les tarifs douaniers qui peut revenir à tout moment, avant ou après les élections et que ça pend au nez des Ontariens. »

Manque d’imagination dans les propositions 

Cette question a centré de facto la course électorale sur l’enjeu de l’économie, étouffant d’autres enjeux qu’à de rares moments mis en évidence. « Le reste ne colle pas, ce n’est pas la préoccupation des gens, d’autant qu’on n’entend aucune proposition solide de la part des autres partis », compare la professeure de science politique de l’Université d’Ottawa.

Et de constater un manque d’imagination dans les propositions : « À part promettre que dans quatre ans ça va mieux aller mieux et qu’on va dépenser plus pour préserver les gens, les partis manquent d’écoute et de propositions précises. ‘‘Faites-nous confiance, on est les meilleurs’’, ce n’est pas assez pour attirer l’attention et se distinguer. »

Dans ces conditions, le premier ministre sortant parvient à manœuvrer avec un coup d’avance sur ses adversaires « en mettant de l’avant le dossier des relations commerciales sur lequel il a peu à perdre », souligne le politologue Peter Graefe à propos de ce qui demeure en fin de compte une prérogative essentiellement fédérale.

C’est pourtant « dans l’intérêt des partis d’opposition d’engager le combat sur d’autres enjeux sur lesquels il y a un peu plus de faiblesses dans l’armature du gouvernement sortant », entrevoit le professeur de l’Université McMaster. D’autant qu’au cours des dernières années, des lignes de fraction très nettes se sont creusées à Queen’s Park sur des enjeux de société, particulièrement dans le secteur de la santé, à vif depuis la pandémie.

« Doug Ford a fait entrer le secteur privé dans le système de santé, prend pour exemple Mme Tellier. Il y aurait là des points à marquer de la part des partis d’opposition, mais ils ne vont pas sur ce terrain-là malgré des slogans qui semblaient l’annoncer. Ça donne un sentiment de non-préparation des opposants qui ont attendu très longtemps avant de dévoiler leur plateforme. »

Les débats des chefs, le moment ou jamais

Mme Tellier estime dès lors que, le seul moment où les chefs pourront faire une différence, ce sera dans les débats à venir. Une première confrontation des chefs aura lieu dans le Nord ce 14 février, avant celle du 17 février à Toronto, à 48 heures du débat des représentants francophones, le 19 février à Ottawa.

« Ça va être l’occasion de cerner Bonnie Crombie qu’on connaît peu, surtout à l’extérieur de Toronto. Marit Stiles, on la connaît, mais pas en débat. Ça devrait être le moment fort de la campagne, car pour l’instant, on s’en va sur une victoire assez convaincante de Doug Ford. »

Deux choses seront à surveiller, selon M. Graefe. Premièrement, « 20 % de l’électorat n’est pas d’accord avec une réélection de M. Ford, mais le préfère à l’offre des autres partis politiques. Une part importante peut donc bouger en fonction des performances des chefs. Deuxièmement, la moitié des Ontariens qui veulent voir un changement se divise à égalité entre Mmes Stiles et Crombie… Or, si l’une ou l’autre convainc en débat, elle pourrait parvenir à se positionner en alternative à M. Ford et bénéficier d’un effet d’entraînement. »