Le premier ministre sortant Doug Ford, mardi à Washington. Photo : AP Photo/Mark Schiefelbein

En déplacement à Washington pour défendre les intérêts ontariens contre les tarifs douaniers, le candidat Doug Ford agit comme un premier ministre en exercice. Est-ce contraire à la tradition électorale? Oui, jugent des politologues qui décrivent une situation ambiguë, hors des conventions. Et ses adversaires politiques ne se privent pas de le dénoncer.

En période électorale, le gouvernement a un devoir de retenue. Pour faire court, quasiment tout est « arrêté » et, si une décision importante doit être prise, elle doit l’être en accord avec tous les chefs de partis. C’est ce que stipule la convention de transition qui s’applique entre le jour du déclenchement des élections et le jour de l’assermentation d’un nouveau gouvernement.

Or, Doug Ford est sorti du territoire pour se rendre à Washington avec sa casquette de premier ministre de l’Ontario et de président du Conseil de la fédération (CDF) pour « défendre les intérêts de l’Ontario » face au risque de hausse tarifaire américaine et pour cibler la concurrence chinoise.

Après s’être adressé mardi à la Chambre de commerce des États-Unis, il rencontre ce mercredi des dirigeants américains, accompagné d’un groupe de premiers ministres. Il a précisé que ce déplacement était financé par son parti et non par les contribuables.

« Le gouvernement continue d’agir comme s’il était encore aux affaires, relève Geneviève Tellier, professeur d’études politiques à l’Université d’Ottawa. Ce n’est pas normal, mais en même temps il ne va pas prendre une décision à Washington à laquelle le prochain gouvernement sera lié. Sur les principes, oui, cela aurait été mieux de ne pas le faire, mais cela n’aura pas énormément de conséquences sur le gouvernement. »

Le premier ministre sortant a défendu mardi l’idée que les États-Unis et le Canada pouvaient être autosuffisants en énergie et « vendre le pétrole dans le monde entier sans dépendre des pays qui ne nous aiment pas ». Il a aussi promu l’approvisionnement canadien en minéraux critiques dont dépend l’économie américaine et prévénu que des milliers d’emplois étaient dans la balance d’une hausse de tarifs de 25 % que fait planer le président Donald Trump, après une première hausse sur l’acier et l’aluminium.

« Envoyez le message au président Trump que ce n’est pas une bonne idée », a plaidé Doug Ford devant la Chambre de commerce des États-Unis, au lendemain de sa promesse d’interdire les investissements chinois dans les infrastructures ontariennes s’il était réélu.

« On est en situation de crise, observe Mme Tellier. Ça peut à la limite se justifier même s’il a tout à gagner à y aller. Les États-Unis représentent une plateforme qui lui offre de la visibilité en Ontario. Il veut montrer qu’il est le meilleur pour gérer ce dossier. »

Les opposants politiques à M. Ford critiquent depuis plusieurs jours ce mélange des genres.

Une ferme réprobation de l’opposition

« Je pense qu’il brise la convention de transition, qu’il joue avec les règles », a estimé la cheffe libérale Bonnie Crombie. 

« Ford a applaudi la réélection de Trump, sachant qu’il prévoyait de frapper à nouveau nos travailleurs. Nous ne pouvons pas lui faire confiance pour défendre l’Ontario maintenant », a renchéri Marit Stiles.

« Contrairement à Doug Ford, je ne voulais pas de Donald Trump et d’Elon Musk à la Maison-Blanche parce que je savais que ce serait mauvais pour l’Ontario, a insisté la cheffe du Parti libéral. Nous avons besoin d’un leader qui se tiendra aux côtés de la population de l’Ontario contre les menaces de Trump, et la réalité est que l’approche de Doug Ford a échoué »

La cheffe néodémocrate Marit Stiles n’a pas non plus mâché ses mots, quant aux choix d’association de Doug Ford : « Doug Ford organise une réception avec le sénateur Kevin Cramer, qui a soutenu les tarifs douaniers de Trump sur l’acier canadien en 2018 – des tarifs contre lesquels Ford ne voulait pas lutter. »

D’ajouter que « Cramer a déclaré que les préoccupations tarifaires étaient une « hystérie » et que les tarifs étaient un « levier de négociation » pour « obtenir un meilleur accord » pour l’Amérique. Les reportages locaux de l’époque indiquaient que Kevin Cramer « soutenait fermement Trump et sa politique commerciale ».

Le NPD fait notamment mention de l’opposition du sénateur au mariage homosexuel, aux droits reproductifs et du fait qu’il accepte de l’argent d’organisations contre la communauté LGBTQ+.

« C’est normal de voir un premier ministre vouloir maximiser l’avantage de l’étoffe du chef, analyse Peter Graefe, professeur de science politique à l’Université McMaster, mais c’est contre notre convention de retenue qui veut qu’en période électorale, on ne se lance pas d’une manière publique dans ses fonctions de premier ministre. À ce niveau-là, il va un peu trop loin. Ça l’aide à orienter le débat électoral vers cette thématique (des tarifs américains) qui lui a permis de déclencher les élections. »

Dans le dernier épisode de notre balado, ONvote 2025, on plonge dans les enjeux sous-estimés de la campagne électorale ontarienne jusqu’à présent.