Les tribunaux pour sauver Saint-Jean?
EDMONTON – Un mois et demi après avoir lancé sa campagne « Sauvons Saint-Jean », l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) n’écarte pas l’hypothèse de se saisir des tribunaux pour sauver la seule institution postsecondaire francophone de sa province.
Selon les chiffres de l’ACFA, la Faculté Saint-Jean pourrait couper jusqu’à 44 % des cours prévus en 2020-2021, soit 180 cours sur une possibilité de 409. Mais au-delà de la situation actuelle, c’est le sous-financement chronique de l’institution postsecondaire francophone que voudrait régler une bonne fois pour toutes l’organisme, qui étudie la possibilité d’un recours judiciaire avec la firme Juristes Power.
« On doit explorer toutes les options », justifie la présidente de l’ACFA, Sheila Risbud. « La récente cause en éducation devant la Cour suprême du Canada a rappelé que les provinces ne peuvent invoquer les excuses financières pour ne pas financer adéquatement les écoles de langue française. Est-ce que ça pourrait s’appliquer ici? On veut aussi explorer l’entente de 1976 entre les Pères Oblats, le gouvernement provincial et l’Université de l’Alberta, dans laquelle il y avait un engagement clair à maintenir et à faire croître Saint-Jean. »
Premier doyen du Collège universitaire Saint-Jean, puis de la Faculté Saint-Jean, de 1970 à 1980, Frank McMahon se souvient.
« Quand l’Université de l’Alberta a récupéré la pleine responsabilité du Collège universitaire, devenu faculté, en 1978, il y avait certains engagements prévus. Au départ, quand j’étais doyen, la direction de l’université était très favorable et ça permettait à Saint-Jean d’avoir une autonomie académique et d’offrir ses propres diplômes. Mais à partir des années 90, le ton a changé. L’université a même envisagé de fermer Saint-Jean à l’époque », rappelle-t-il.
M. McMahon juge que la démarche judiciaire pourrait permettre de rappeler à l’université son engagement.
« Aujourd’hui, l’université ne respecte pas ses obligations, alors que ce que demande Saint-Jean, c’est une bagatelle par rapport à son budget. »
L’arrivée d’un nouveau président, Bill Flanagan, à partir du 1er juillet, pourrait faire bouger les choses, espère M. McMahon.
Privilégier le politique
Toujours est-il que l’ACFA privilégie une solution politique pour le moment. Au niveau provincial, l’avenir de Saint-Jean a donné lieu à des questions en chambre et les nombreuses lettres envoyées au gouvernement de Jason Kenney ont fini par avoir un certain effet. Mais à l’approche de la rentrée, aucune solution ne semble avoir encore été trouvée pour septembre.
Joint par ONFR+, le doyen du Campus Saint-Jean Pierre-Yves Mocquais a décliné nos demandes d’entrevue.
Son plan, présenté à l’administration centrale de l’Université de l’Alberta, et qui prévoit notamment de limiter la suspension à 77 cours pour la rentrée d’automne 2020 en puisant dans les fonds de réserve, n’a pas encore été validé. Et si finalement il l’était, il ne saurait constituer une solution à long terme, estime Mme Risbud.
« On sait que la situation économique de la province est difficile, alors puiser dans le fonds de réserve, même si ce n’est pas idéal, ça pourrait servir de bouche-trou. C’est une solution à court terme qui réglera les choses dans l’immédiat. On est optimiste par rapport à ça, mais beaucoup moins à moyen long terme. »
L’ACFA dit entamer des discussions au sein de la communauté franco-albertaine pour étudier les possibles solutions. Parmi celles citées par Mme Risbud, la reconnaissance par la province de la hausse du nombre d’élèves, qui s’accompagnerait alors par plus de financement, et la mise en place d’un statut spécial pour Saint-Jean lui permettant plus d’indépendance administrative et un accès à d’autres sources de financement.
Une porte ouverte au fédéral
Reste également une possible intervention du gouvernement fédéral, dont le financement à Saint-Jean, dans le cadre de l’Entente Canada- Alberta, stagne depuis 2009.
La ministre du Développement économique et des Langues officielles, Mélanie Joly, s’est entretenue, fin mai, avec la ministre de la Culture, du Multiculturalisme et de la Condition féminine, également responsable du Secrétariat francophone, Leela Aheer, et avec le ministre de l’Éducation supérieure, Demetrios Nicolaides. Elle a également eu des rencontres avec des représentants de l’Université de l’Alberta, en juin.
Depuis, c’est le calme plat, même si le bureau de Mme Joly indique que la porte reste ouverte et que le fédéral est prêt à travailler avec la province pour trouver une solution.
Mais comme dans le dossier de l’Université de l’Ontario français (UOF), cela passerait par une demande officielle du gouvernement de l’Alberta qui semble, jusqu’ici, rejeter la responsabilité de la situation actuelle sur l’Université de l’Alberta.