Hélène Gravel est à l'origine de la troupe de théâtre Les Draveurs à l'école secondaire Macdonald Cartier, à Sudbury. Crédit image: Cédéric Michaud

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine,  la blogueuse et activiste du Nord de l’Ontario, Isabelle Bougeault-Tassé.

SUDBURY – Éducatrice et femme de théâtre, Hélène Gravel était, comme la décrivait autrefois sa grande complice Madeleine Azzola, « l’âme soeur » de générations de jeunes théâtreux franco-ontariens. Cette bête de scène, qui aurait eu 76 ans ce mois-ci, allait nous donner le courage de monter sur les planches, sous le feu des lumières, et de se dire – en français. 

Hélène Gravel allait tirer une profonde inspiration de sa smoke. Fière, féroce, franco. Une furie. Et de sa voix grave, entre les puffs de sa cigarette, l’interrogatoire.

« Pourquoi y’a pas de français dans c’te show là? » 

J’avais 16 ans – c’était l’été 1995. Je travaillais une création collective avec Brigitte L., une jeune Franco-Ontarienne de Hanmer comme moi, et deux autres artistes, des unilingues-et-fiers-de-l’être qui venaient d’la gran’ ville de Sudbury.

Nous faisions de la scène dans les communautés les plus vulnérables du Grand Sudbury – en anglais seulement, contraintes à faire abstraction de notre langue, du désir de se dire comme jeunes femmes francos.

Oui, Hélène. Oui. Pourquoi y’a pas de français dans c’te show là? Cette question avait germé en moi. Parce qu’Hélène l’avait posée. 

Je ne suis pas la seule à avoir été nourrie de sa profonde sagesse. Les artistes Robert Marinier et Yves Doyon, autrefois ses étudiants, m’ont récemment raconté Hélène Gravel. Ils m’ont parlé de son impact sur des générations de la jeunesse franco-ontarienne.

Hélène selon Robert Marinier

« Hélène a été beaucoup de choses pour moi à travers ma vie – c’est elle qui m’a fait croire qu’il était possible de faire carrière en théâtre », confie Robert Marinier. 

Dramaturge et homme de théâtre franco-ontarien, il signe une dizaine de pièces, notamment À la gauche de Dieu et L’insomnie. Il a côtoyé Hélène Gravel chez les Draveurs, troupe iconique qui, dans les années 1970s, naissait à l’École secondaire Macdonald-Cartier à Sudbury. Ils ont également été collègues lors de leur passage au Théâtre du Nouvel Ontario quelques années plus tard. 

Crédit image : Jacques Gravel

« À Sudbury, juste le fait de faire du théâtre en français, c’est un acte politique », souligne Robert Marinier. « On n’est pas juste en train d’affirmer qu’on est francophones, mais qu’on est une culture vivante ». 

« Pour moi, Hélène Gravel est à la source de tout ça ». 

Selon lui, elle allait donner à la jeunesse franco-ontarienne l’inspiration de s’écrire un théâtre à son image, dans sa langue et son parlé.

« Ce qu’elle a donné à l’Ontario français, au théâtre, au milieu scolaire l’inspiration, c’est  la possibilité de dire que le théâtre étudiant, ça veut dire quelque chose – puis, on va commencer à écrire nos propres shows, on ne va pas juste monter les shows des autres », explique Robert Marinier.

« Je me souviens, moi je revenais de l’école, puis j’allais voir ses shows. J’étais toujours émerveillé – par l’invention, mais aussi par le fait qu’elle laissait les jeunes écrire leur propre spectacle ». 

« Et c’est ça qui est à la beauté de la chose ».

Yves Doyon raconte Gravel

Yves Doyon était parmi ces jeunes qui souhaitaient se dire.

« Gravel, c’était pour moi une force – une disruptor », me lance l’artiste, musicien et la voix du groupe musical En Bref. Il allait connaître Hélène Gravel lors de son passage chez les Draveurs à l’École secondaire Macdonald-Cartier.

« C’est quelqu’un qui dérangeait assez pour faire bouger l’aiguille dans son environnement, qui provoque, qui déstabilise juste assez pour que les gens soient sur leur X. Qu’ils trouvent leur place, toute leur place ».

Y compris dans notre francophonie.

Les membres de la distribution de la pièce Par osmose, une création collective des Draveurs. Archives

Yves Doyon a été membre de la distribution de la pièce Par osmose en 1990, une création collective des Draveurs, un texte à l’image d’une jeunesse franco-ontarienne habitée par une situation identitaire précaire. Hélène allait permettre à cette jeunesse de prendre son envol.

« Ça a toujours été ben francophone à la maison », dit Yves Doyon de son cheminement linguistique. « Il y avait quand même une prise de conscience et une décision consciente à prendre à un moment donné. Voir, est-ce que je perds mon français? » 

« Par osmose – il y avait le trajet du projet, puis de créer ça collectivement. Et là, t’avais en parallèle le trajet, le parcours du jeune ado qui a des décisions à prendre par rapport à qui il veut être et comment il veut être avec les autres ».

« Vraiment, c’est vraiment remarquable. Je suis reconnaissant », conclut Yves Doyon. « Hélène – c’était une femme hyper forte, hyper sensible, pleine d’empathie. Elle savait nous pousser et s’occuper de nous autres et d’encourager notre prise en main ». 

Les enfants d’Hélène Gravel

Hélène s’est éteinte en novembre 2000. Elle avait 53 ans. 

En une ovation rugissante, accompagnée de cris de « Bravo Hélène! », nous – les générations de jeunes théâtreux qu’elle avait nourris de sa flamme  – l’avons arrosé de nos larmes lors de bouleversantes funérailles à l’église Sainte-Anne des Pins à Sudbury. 

Un an plus tard, en guise de témoignage à cette complice, amie et âme sœur, l’École publique Hélène-Gravel ouvrait ses portes à une nouvelle génération d’enfants franco-ontariens.

Archives

« On va se souvenir d’Hélène. Elle sera toujours ce qu’elle a fait pour ses étudiants » affirme Robert Marinier.

Quand à lui, Yves Doyon dit : « On est les enfants de Gravel. C’était la mère à tout le monde. Je ne sais pas s’il y en a qui le disent, ça, même si on le ressent tous ».

Orphelins de cette magnifique bête de scène, nous étions aussi conscients d’être sa relève. 

En nous, Hélène Gravel reste immortelle. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.