Livres en français : « Les coupes menacent toujours si on ne s’implique pas assez »
[ENTREVUE EXPRESS]
QUI :
Férue de littérature francophone et fervente défenseuse de la place des auteurs franco-ontariens, Céline Marcoux-Hamade a été en charge des services en français à la Bibliothèque publique de Toronto (TPL) durant 14 ans.
LE CONTEXTE :
Début 2020, TPL annonçait le retrait de plus de 26 000 livres francophones des étagères torontoises, avant de faire machine arrière face au tollé populaire et politique, promettant des consultations communautaires sur l’avenir de ces collections.
L’ENJEU :
Quatre consultations auront lieu du 14 mai au 11 juin dans le but de discuter, sélectionner et promouvoir ces livres. La réussite et le maintien de la collection dépendra du degré de participation de la communauté à ces consultations.
« Cela fait deux ans et trois mois que les responsables de la TPL avaient promis ces consultations à la communauté francophone. N’est-ce pas un peu long?
Oui, c’est long! Ça aurait été inexcusable si on n’avait pas eu la pandémie qui a bouleversé beaucoup de milieux de travail dont la bibliothèque. Ceci dit, ils auraient pu faire un sondage en ligne l’année passée ou à la fin 2020. Donc ça a été long jusqu’à un certain point.
Cette « lenteur » remet-elle en question leur réelle volonté d’œuvrer pour les livres francophones après le scandale de janvier 2020?
Je suis tentée de répondre non, car il y a tout de même des signes qui me font dire qu’ils nous ont pris au sérieux après le scandale. On a vu par exemple qu’ils ont engagé une personne à temps plein pour s’occuper des collections en français comme on l’a recommandé à l’époque. Par contre, je suis aussi tentée de répondre oui parce qu’ils n’ont pas attendu les résultats des consultations pour se débarrasser de collections au complet dans certaines bibliothèques, comme cela était le cas il y a quelques mois.
Vous avez toujours dit que la vraie raison de la baisse du taux de circulation des livres francophones – principal argument des responsables de la TPL à l’époque – pour retirer des collections en français, est le manque de communication et de promotion. Est-ce que cela a changé depuis?
Aujourd’hui, je n’ai pas l’impression qu’il y a beaucoup de promotion qui est faite, mais encore une fois, la pandémie est passée par là. Quand j’étais là, il y avait beaucoup plus de réseautage et de communications autour des livres en français qu’aujourd’hui. C’est sûr que si on n’est pas en constante communication avec la communauté qui, rappelons-le, change régulièrement, le taux de circulation (qui est le nombre de fois que le livre circule) va diminuer, puisque les gens ne savent pas qu’il existe.
On ne peut pas tout de même tout mettre sur le dos de la pandémie, si?
Tout ce que je peux vous dire c’est qu’à présent, il n’y a plus d’excuses, ils devraient être capables de faire plus de promotion.
Concrètement, qu’est-ce que vous attendez de ces consultations?
Ce que j’attends, c’est que la Bibliothèque de Toronto écoute sérieusement ce que la communauté va avoir à dire et pas juste dire « oui, oui on a fait des consultations » et partent faire ce qu’ils veulent après. Ils doivent discuter et surtout écouter la communauté pour avoir de bonnes collections ciblées dans plusieurs bibliothèques. C’est comme ça que le taux de circulation va augmenter.
Quel message message voulez-vous faire passer à nos lecteurs qui lisent probablement les collections francophones de la bibliothèque torontoise?
Une seule chose : j’espère que la communauté va être présente en nombre à ces consultations et qu’elle prenne le temps de remplir le sondage. C’est extrêmement important, parce que si personne ne se présente à ces consultations, je vous laisse imaginer ce que TPL va penser et faire par la suite.
Est-ce que cela veut dire qu’au cas où « la communauté » ne réponde pas présent, les coupes de 2020 s’abattraient sur les œuvres en français à nouveau?
Malheureusement, j’ai l’impression que oui! C’est pour ça que je le répète, c’est si important que la communauté participe à ces consultations. Ne l’oublions pas, ils n’ont quand même pas hésité à fermer certaines collections sans en parler avec la communauté, il n’y avait même pas de signes dans la Bibliothèque disant que ces livres vont être retirés des rayons. Pour moi, c’est un manque de respect vis-à-vis de la communauté. »