 
    L’Ontario est-il un eldorado pour les médecins québécois?
 
                      OTTAWA – Alors que le Québec vient d’adopter une loi controversée sur la rémunération des médecins, plusieurs praticiens songent à s’établir en Ontario. Mais entre surcharge de travail, hôpitaux débordés et manque de médecins de famille, la province voisine est loin d’être un paradis.
Depuis le 1ᵉʳ octobre, le Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario (CPSO) affirme avoir reçu 120 demandes de permis de pratique, dont plusieurs en provenance du Québec.
Un chiffre révélateur d’un malaise croissant entre les deux rives de la rivière des Outaouais, dans la foulée de l’adoption de la Loi 2 sur la rémunération des médecins, par le gouvernement Legault dans la nuit du 24 au 25 octobre 2025.
Adoptée sous bâillon, la loi lie désormais une partie du revenu des médecins à des indicateurs de performance. Elle prévoit aussi des pénalités financières et la réduction d’années de pratique en cas d’infractions afin de décourager les praticiens de se « désengager » du régime public.
L’Ontario, un refuge?
La tension créée par cette réforme constitue une opportunité pour l’Ontario, mais la province est-elle pour autant un eldorado médical? Actuellement l’Ontario doit composer avec une pénurie aiguë de médecins, environ 2,3 millions de résidents sont sans médecin de famille.
Le Dr Paul Roumeliotis, pédiatre installé en Ontario depuis plus de 20 ans et directeur général du Bureau de santé de l’Est de l’Ontario, dresse un constat lucide.
« Ce n’est pas le paradis ici. Nous avons aussi nos défis : surcharge de travail, manque de spécialistes, longues listes d’attente, hôpitaux débordés, surtout pendant les périodes de grippe. Certains services d’urgence atteignent 130 % ou 140 % de leur capacité », souligne-t-il.
Le Dr Paul Roumeliotis évoque une pénurie chronique de médecins de famille. « Beaucoup de collègues passent trop de temps sur des tâches administratives au lieu des soins directs aux patients. Et l’Ontario manque de cliniques sans rendez-vous ouvertes le soir ou la fin de semaine, ce qui surcharge les hôpitaux. »

Malgré tout, le directeur général du Bureau de santé de l’Est de l’Ontario constate que le climat ontarien reste plus stable : « La situation est très décourageante pour mes confrères et consœurs du Québec. »
« Ici, l’Association médicale de l’Ontario négocie avec le gouvernement. C’est une approche bilatérale. Au Québec, la Loi 2 impose des tarifs et des conditions sans réelle négociation. À mon avis, c’est inacceptable », déplore-t-il.
Deux modèles opposés
Même constat du côté du Dr Condé, représentant de l’Association médicale canadienne (AMC) : « En Ontario, on recrute. Au Québec, on contrôle. »
Selon ce médecin de famille installé à Laval, la Loi 2 instaure un climat de peur et de méfiance.
« À Ottawa, la Ville a crée un poste d’ambassadeur pour le recrutement médical, tandis qu’au Québec, la Loi 2 crée une « police des docteurs ». On instaure la surveillance et la dénonciation. », estime-t-il.
« Au lieu d’améliorer l’accès aux soins, le gouvernement réduit les revenus des médecins et espère qu’ils travailleront plus fort. C’est le contraire de ce qu’il faut faire », s’indigne-t-il.
Le Dr Condé compare les approches. « En Ontario, le gouvernement Ford investit environ 2 milliards de dollars pour renforcer les équipes multidisciplinaires et améliorer l’accès à la première ligne. Au Québec, on coupe 500 millions dans le budget des médecins de famille. Ce sont deux approches totalement opposées : l’une est incitative, l’autre répressive », explique-t-il.
Un intérêt palpable
Étienne Grandmaître Saint-Pierre est gestionnaire du programme de soins primaires du Centre de santé communautaire de l’Estrie en Ontario. Responsable d’une équipe de 63 employés, dont 14 médecins de famille, 18 infirmières praticiennes et 13 infirmières, il supervise les services offerts à plus de 12 000 clients répartis sur six sites dans l’Est ontarien.
De retour du congrès annuel de médecine francophone à Montréal, il constate un intérêt marqué de la part des médecins québécois pour la pratique en Ontario. « Plusieurs médecins venaient nous rencontrer pour savoir comment ils pourraient travailler ici, surtout dans un environnement francophone. Ils trouvent l’idée séduisante : offrir des soins en français dans un contexte moins tendu et plus accueillant » témoigne-t-il.

Selon lui, la différence entre les deux provinces se joue surtout au niveau de l’organisation du travail. Il rapporte : « Les médecins que j’ai rencontrés disent vouloir exercer dans un milieu où le climat est moins tendu, où ils se sentent soutenus plutôt que surveillés. »
L’attrait financier et la stabilité
Le Dr Roumeliotis rappelle que la rémunération est légèrement plus élevée en Ontario, mais que c’est la stabilité du système qui fait la différence.
« Le système est relativement bien organisé en Ontario. Au Québec, on a vu beaucoup de compressions et de coupures dans les services depuis une quinzaine d’années. »
Il cite les efforts récents du gouvernement Ford, mais aussi de plusieurs communautés en Ontario qui ont lancé des plans pour le recrutement et la rétention des médecins. De nouvelles écoles de médecine ont ouvert leurs portes à la Toronto Metropolitan University et à Brampton, pour former davantage de médecins de famille. « C’est une excellente initiative, parce que d’ici cinq à dix ans, cela va aider à former plus de médecins et à diminuer la pénurie actuelle », se félicite-t-il.
Doug Ford saisit la balle au bond
Dans ce contexte, le premier ministre Doug Ford n’a pas tardé à lancer une perche à ses voisins.
« Appelez 1-800 Doug Ford! Les médecins, venez nous voir, appelez-moi sur mon cellulaire! […] On vous fera travailler très rapidement. J’adorerais voir des médecins, des infirmières, n’importe qui qui travaille dans le réseau de la santé, venez en Ontario, nous avons une communauté en pleine expansion », a-t-il déclaré à Queen’s Park mercredi en mêlée de presse.
De son côté, François Legault a dénoncé l’initiative de son homologue ontarien, l’accusant de « lui tirer dans le dos ».
