Loi 41 : jargon compliqué et oubli des francophones
[ANALYSE]
TORONTO – Après le gain précieux de l’adhésion à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), le retour à la réalité est plus difficile pour les Franco-Ontariens.
SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz
Mercredi dernier, les députés de Queen’s Park ont voté la Loi 41. L’enjeu? Donner davantage la « priorité aux patients ». Une mesure noble sur le papier, sauf que les francophones, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) en tête, reprochent au gouvernement libéral de n’avoir pas tenu compte d’eux dans les recommandations.
Présentées dans les différents comités parlementaires, les recommandations des francophones ont été écoutées, mais non entendues par le gouvernement libéral. Trois semaines après le trentième anniversaire sur la Loi sur les services en français (Loi 8), c’est aussi la preuve que les troupes de Kathleen Wynne n’ont pas toujours le fameux « réflexe franco » cher à Denis Vaillancourt.
En gros, les francophones réclamaient depuis plusieurs semaines que les Réseaux locaux d’intégration des services de santé (RLISS), l’étape intermédiaire entre le gouvernement et les fournisseurs de santé (hôpitaux, centres communautaires), soient assujettis à la Loi 8 quand ils font appel à des tierces parties.
Autre souhait : Que ces 14 RLISS crées en 2006 pour justement déterminer les priorités locales en matière de services de santé de la région comportent plus de francophones sur leur conseil d’administration afin de mieux cerner les demandes. Dix ans après, ce n’est pas encore le cas.
À l’enjeu de la lecture de ce qui n’était encore qu’un projet de loi voilà un mois s’est ajoutée la forme. L’AFO mais aussi d’autres associations francophones, comme la Fédération des aînés et des retraités francophones de l’Ontario (FARFO), ont haussé le ton contre le manque de considération affichés à leur égard lors de ces consultations.
Toujours avare de déclarations fracassantes contre le gouvernement, l’AFO est même sortie de ses gonds en dénonçant « un manque de respect » de la part du gouvernement libéral.
On pourra toujours débattre effectivement sur la francophilie de Kathleen Wynne ou encore du ministère de la Santé, Éric Hoskins, de la capacité d’écoute de la ministre déléguée aux Affaires francophones, Marie-France Lalonde, mais la Loi 41 reste symptomatique d’un autre grand défi : rendre pertinent aux yeux des Franco-Ontariens un enjeu crucial concernant la santé.
Deux écueils importants : le manque d’offres en français au niveau de la santé concerne bien souvent des populations vulnérables. La plupart ne vont pas revendiquer ces services. Certains ne savent tout simplement pas qu’ils existent.
Aussi, les termes RLISS, fournisseurs de santé ou encore Entités de planification n’ont pas la même résonnance que « Université franco-ontarienne » ou « bilinguisme officiel ». Pour les Franco-Ontariens, même les plus militants, ces définitions sont souvent trop nébuleuses.
Pour le commissaire aux services en français, François Boileau, ou encore l’AFO, le défi est bien souvent immense pour simplifier ces termes et sensibiliser le public à l’importance de ces enjeux. L’organisme porte-parole des 611 500 Franco-Ontariens a cette fois-ci été plus audible que lors de la publication du Livre blanc sur les assises de la santé en français en Ontario en 2014. Le document « administratif » n’avait pas provoqué vraiment l’attention du public.
En mars 2017, l’Ontario célébrera le 20e anniversaire de la manifestation pour la survie de l’Hôpital Montfort. Un événement unificateur pour les Franco-Ontariens. Nul doute que le gouvernement libéral et autres acteurs célébreront alors la « fierté ». Réduire le défi des services de santé en français à la symbolique de Montfort n’est pas assez. Derrière le jargon compliqué se cache des objectifs incontournables.
Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit le 10 décembre