Société

London, une communauté francophone accueillante entre initiatives et défis

London a officiellement obtenu le statut de Communauté francophone accueillante le en août 2024. Photo : Jean-François Morissette

LONDON – Il y a un peu plus d’un an, la ville de London rejoignait le cercle des Communautés francophones accueillantes (CFA) du Canada. L’initiative fédérale, portée par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), vise à attirer, accueillir et intégrer les nouveaux arrivants francophones en contexte minoritaire. Trois acteurs de premier plan, le Réseau en immigration francophone du Centre-Sud-Ouest, le Collège Boréal et le Carrefour des femmes du Sud-Ouest de l’Ontario, reviennent sur les retombées concrètes de cette désignation.

Pour Alain Dobi, directeur du Réseau en immigration francophone (RIF) du Centre-Sud-Ouest, l’arrivée de London dans le projet CFA était une étape naturelle.

« Le principe des communautés francophones accueillantes est simple : ce sont les communautés elles-mêmes qui définissent leurs priorités, explique-t-il. C’est un processus purement communautaire. On ne parachute pas des programmes, on travaille avec les forces locales pour bâtir un plan d’action. »

Selon lui, si London a été retenue, c’est parce que la ville présentait déjà un socle solide. « Il y avait déjà un écosystème francophone dynamique, des services d’établissement existants, et surtout une volonté municipale et communautaire d’accueillir des immigrants francophones, poursuit-il. Les autorités locales se sont montrées prêtes à collaborer avec le fédéral et la communauté pour créer un environnement plus accueillant. C’est cette combinaison qui a fait la différence. »

Des actions visibles dès la première année

Dès août 2024, plusieurs projets ont été lancés pour donner corps à la vision de la CFA. Une campagne de visibilité a d’abord permis d’afficher l’initiative dans la ville, jusque sur les autobus. Mais l’essentiel s’est joué sur le terrain. Le Carrefour communautaire francophone de London (CCFL) a commencé à offrir des cours de conversation en anglais, essentiels pour des nouveaux arrivants francophones qui doivent composer avec un environnement majoritairement anglophone.

Des ateliers d’information civique ont également été mis en place pour les initier au fonctionnement des institutions canadiennes et ontariennes, avec des visites dans les conseils municipaux, à Queen’s Park et, à terme, au Parlement d’Ottawa.

« On ne peut pas développer un sentiment d’appartenance si on ne comprend pas comment fonctionne la société dans laquelle on vit, souligne M. Dobi. Ces activités permettent aux jeunes et aux adultes de découvrir les règles du jeu et de se sentir partie prenante de leur municipalité. »

L’intégration par la langue et l’emploi

Le Collège Boréal a aussi pris une place centrale dans la mise en œuvre du projet. À London, l’établissement postsecondaire ne propose pas encore de formation complète, mais il compense par une offre de services ciblés pour les nouveaux arrivants. Pour Abdoulaye Sako, directeur du campus londonien, l’emploi reste le levier principal d’intégration.

 « Nous voulons permettre aux nouveaux arrivants de s’installer durablement, et cela passe d’abord par l’intégration socio-économique. Le travail est la clé, mais pour y accéder, il faut lever les barrières, notamment celle de la langue », insiste-t-il.

Le Collège a ainsi lancé des cours d’anglais orientés vers l’emploi, en commençant par le secteur du service à la clientèle, où la demande est forte à London.

« Nous avons formé une vingtaine de personnes dans une première cohorte. À la fin, 16 ont obtenu leur certificat et les retours étaient très positifs. Ils se sentaient plus confiants, plus à l’aise pour s’exprimer et répondre à un client en anglais. Ce n’est qu’un début, mais c’est encourageant », note M. Sako.

L’institution prépare déjà l’élargissement du programme à d’autres secteurs comme la santé et la petite enfance. En parallèle, un programme de mentorat met en contact les nouveaux arrivants avec des professionnels établis, afin de faciliter leur insertion sur le marché du travail et de leur donner des repères.

« La langue, l’éducation canadienne et l’expérience professionnelle locale sont les trois barrières majeures. Si nous les transformons en accélérateurs, alors l’intégration devient beaucoup plus rapide », ajoute le directeur régional.

Soutenir les femmes francophones

Au-delà de l’emploi et de la langue, l’un des volets les plus sensibles de la CFA concerne les femmes nouvellement arrivées. Pour Cornélie Mwenyi Mbaya, directrice générale du Carrefour des femmes du Sud-Ouest de l’Ontario, les besoins sont urgents et multiples.

« Le premier besoin est l’autonomie, affirme-t-elle. Cela commence par le logement, surtout pour les femmes qui veulent quitter un milieu de violence. Mais avec la crise du logement, trouver un toit est très difficile. »

L’organisme accompagne ces femmes à travers du counseling individuel et de groupe, des activités favorisant l’estime de soi et des services d’accompagnement vers les institutions policières, juridiques ou médicales.

 « Nous travaillons en collaboration avec nos partenaires francophones et anglophones. Dépendamment des besoins que nous ne pouvons pas combler, les femmes sont référées auprès d’e nos partenaires d’eux. Il arrive que certaines femmes soient envoyées à la maison d’hébergement francophone pour femmes à Toronto par exemple, si celles-ci sont d’accord pour déménager », explique-t-elle.

Dans le cadre de la CFA, le Carrefour a organisé une session d’information sur l’entrepreneuriat féminin, en partenariat avec la Société économique de l’Ontario. Mais Mme Mwenyi Mbaya reste lucide : « Beaucoup de femmes voudraient lancer leur propre entreprise, mais l’accès au financement demeure un obstacle majeur. Malgré cela, leur participation à nos activités renforce leur estime d’elles-mêmes et leur donne le courage de se projeter dans l’avenir. »

Des défis persistants

Le bilan après une année et demi demeure positif, mais les défis restent considérables. Pour Alain Dobi, la barrière linguistique reste la plus lourde à surmonter.

« Même si l’on peut vivre et travailler en français, il faut un minimum d’anglais pour s’intégrer pleinement, surtout dans un milieu majoritairement anglophone », insiste-t-il.

La reconnaissance des diplômes étrangers constitue un autre frein, obligeant nombre de nouveaux arrivants à accepter des emplois en deçà de leurs qualifications.

Abdoulaye Sako abonde dans le même sens : « Le bassin d’emplois francophones à London est limité. On trouve des postes dans l’éducation, dans certains services communautaires ou de santé, mais il faut aussi inciter les employeurs anglophones à donner leur chance aux francophones, même si leur anglais n’est pas parfait. »

Selon Cornélie Mwenyi Mbaya, la pénurie de logements sécuritaires et abordables est une urgence qui dépasse le cadre de la francophonie, mais qui frappe de plein fouet les femmes vulnérables.

Un avenir à construire

Malgré les embûches, l’enthousiasme reste intact chez les trois acteurs. Les priorités des prochaines années sont claires : multiplier les partenariats, diversifier les formations, soutenir davantage les initiatives locales et renforcer la participation des immigrants francophones à la vie civique.

« Nous espérons voir un jour des personnes issues de l’immigration siéger dans les conseils municipaux, voire briguer des postes de maire, confie M. Dobi. L’engagement civique est essentiel pour créer un véritable sentiment d’appartenance. »

Un an après sa désignation, London peut déjà se targuer d’avoir fait bouger les lignes. La route est encore longue, mais la Communauté francophone accueillante a posé des bases solides. Toutefois, ce programme pilote n’est prévu que pour une durée initiale de trois ans. L’avenir de la CFA à London dépendra donc de la capacité des acteurs locaux à démontrer la pertinence de leurs initiatives et à convaincre le fédéral de prolonger l’expérience. Dans cette ville du Sud-Ouest ontarien, l’intégration des nouveaux arrivants francophones a trouvé un tremplin. Reste maintenant à s’assurer que cet élan ne soit pas qu’une parenthèse, mais bien un projet durable.