Malgré peu de cas, le Nord prudent sur la réouverture de l’économie
Quelque 802 000 km2 pour « seulement » 30 cas actifs de coronavirus. Deux mois après le premier cas déclaré sur son territoire, le Nord de la province reste relativement épargné par l’épidémie de COVID-19. C’est pourtant la prudence qui domine au lendemain de la première phase de déconfinement dévoilée par le gouvernement Ford.
François Nadeau, propriétaire de la Fromagerie Kapuskoise, ronge son frein depuis deux mois. Sur les étagères, le kapuskasing, la mattagami, et l’opasatika, sont moins prisés que d’habitude. En raison de la crise du coronavirus, les fromages se vendent moins.
« On est en mesure de maintenir des opérations de fonctionnement, bien que le rythme soit plus lent. Nos principaux clients sont les restaurants et les festivals, donc évidemment, nous sommes affectés, surtout pour les restaurants du Sud de la province qui représentent 40 à 50 % de nos ventes. »
En dépit des chiffres d’affaires en baisse, pas question pour le propriétaire de s’enthousiasmer d’une réouverture de l’économie. Le déconfinement, on le voit même avec méfiance.
« Je préfère que ça prenne le temps que ça prend, pas que ce soit accéléré. À Kapuskasing, nous n’avons eu qu’un cas, et la personne s’est rétablie. Mais je préfère qu’on mette des limites jusqu’à être sûr que tout puisse aller. Un gros impact sanitaire pourrait avoir un gros impact financier, pire que ce qu’on a maintenant. »
À des centaines de kilomètres de là, à Sudbury, Jean Ngouabe est aussi inquiet. Malgré des chiffres en deçà de la moyenne provinciale pour la ville la plus peuplée du Nord, avec deux morts et 65 cas, le propriétaire du magasin de denrées alimentaires Sudbury Tropical Market refuse de baisser la garde.
« Je prends les statistiques présentes, en prenant connaissance de ce qui s’est passé avec la grippe espagnole, où la deuxième phase a été beaucoup plus mortelle avec 20 millions de morts. En se basant sur ces écrits, j’aimerais bien que les choses soient plus contrôlées afin que l’on puisse ouvrir sur une plus longue durée. »
Une nouvelle menace de fermeture, M. Ngouabe n’en veut pas.
« J’ai perdu deux de mes employés qui sont au chômage partiel, car ils étaient inconfortables à continuer de travailler. En ce moment, la situation économique est difficile. J’achète des produits à des grossistes de Toronto. Du fait de la forte demande, les fournisseurs les vendent plus cher, et je suis contraint de les vendre aussi plus cher. Les clients sont mécontents. Voilà pourquoi je préfère attendre que toutes les conditions soient présentes pour déconfiner. »
Propriétaire par ailleurs d’un salon de coiffure, l’entrepreneur sudburois attend les directives du gouvernement en la matière.
La prudence de Ford saluée
Les premières directives justement, le gouvernement de Doug Ford les a présentées ce jeudi. Une première phase de déconfinement qui s’amorce dès ce long congé de mai.
Parmi les différentes mesures : reprise de la construction dès mardi, des activités pour les détaillants d’automobiles, les vétérinaires et le toilettage pour les animaux. La plupart des commerces de détail situés à l’extérieur des centres commerciaux et ayant une entrée séparée donnant sur la rue pourront rouvrir. Les sports qui peuvent être pratiqués avec distanciation physique seront aussi autorisés.
En revanche, les salles de restaurants, centres commerciaux, ainsi que les écoles restent fermés jusqu’à nouvel ordre.
« Je ne pense pas qu’ils vont trop vite », analyse le maire de Hearst, Roger Sigouin. « Le gouvernement, je vais leur donner un cinq étoiles. Je sais qu’ils ont des pressions, mais ils comprennent les circonstances. »
Le « village gaulois » de Hearst ne compte aucun cas de COVID-19 parmi ses quelque 5 000 résidents. Une situation remarquable, même si M. Sigouin ne pavoise pas.
« On est chanceux, mais si on a un cas, ça peut aller bien plus vite qu’on pense. Des gens de l’extérieur de Hearst viennent parfois faire des livraisons, et je remarque au village que beaucoup de personnes se parlent de prêt. Le problème, ce ne sont pas les gouvernements, mais les gens qui ne respectent pas la distanciation physique. »
Autre ville, autre réalité : Greenstone, dans le Nord-Ouest de l’Ontario. La petite municipalité, qui regroupe notamment les communautés de Geraldton et de Longlac, a compté dès la mi-mars un premier citoyen atteint du coronavirus. Un cas en lien avec une éclosion sur un site minier. Le district de Thunder Bay, dont fait partie Greenstone, est d’ailleurs le secteur du Nord le plus touché avec à ce jour 79 cas.
« Je ne suis pas prêt qu’on dise aux gens de venir de partout et venir s’installer ici, ça peut créer des problèmes », laisse entendre le maire de Greenstone, Renald Beaulieu.
« Il faut être très prudent. Le gouvernement dans son plan de déconfinement nous dit que les parcs privés rouvrent, mais est-ce que les gens vont pouvoir aller camper ou non? Ce n’est encore pas clair. »
Questionné sur la réouverture de l’économie, M. Beaulieu préfère citer les mesures barrières.
« Avant d’aller de l’avant avec quoi que ce soit, je veux être sûr qu’on respecte la distanciation sociale, qu’on se lave les mains, qu’on mette un masque quand on va magasiner. Je ne voudrais pas voir de problèmes plus graves. »
Pas de panique pour les entrepreneurs
Derrière les craintes, le retour à la normale est attendu par tous. À commencer par la brasserie Whiskeyjack, à Temiskaming Shores. Les propriétaires Luc Johnson et Marc-André Therrien ne s’attendaient pas à un défi de cette taille lors de leur ouverture, il y a quelques mois.
« On aimerait que ça revienne à la normale, car là, nous n’avons pas encore beaucoup de ventes. On ne va pas cracher sur ça », affirme M. Therrien.
Avec 18 cas, le district de Timiskaming fait figure d’excellent élève depuis le début de la crise. Assez pour rouvrir l’économie plus vite qu’ailleurs? « On attend les mesures gouvernementales pour savoir comment on va disposer notre salle de restaurant », prévient le co-propriétaire.
Pour l’instant il faut se contenter du take-out et de la bière à emporter.
« L’avantage que je vois à être ici plutôt que dans une ville comme Toronto où le nombre de cas est élevé, c’est que loyer est trois fois plus petit ici. Nous avons eu l’aide financière de la communauté, et ne dépendons pas d’une banque. »
Tout aussi faiblement impacté par la COVID-19 : North Bay. Le propriétaire du restaurant Between the Bun Paul Chaput le reconnaît : « Les gens respectent bien la distanciation sociale, mais sont relaxes avec le coronavirus. »
« Je suis définitivement prudent avec le déconfinement. La salle de restaurant est fermée, mais nous continuons à faire des livraisons et assurer une cueillette de nourriture. J’ai dû laisser aller des employés en chômage partiel. C’est moi qui travaille toutes les heures. Durant les premières semaines de la crise, les ventes ont coupé de 50 %, mais depuis trois semaines, j’ai retrouvé le niveau d’avant. »
M. Chaput attribue ces chiffres positifs au soutien de la communauté.
« D’une, la Ville de North Bay supporte beaucoup les commerces locaux. J’ai senti que les gens venaient au restaurant pour aussi me supporter. Le fait que je sois francophone joue aussi. À cause de ça, j’ai une grosse clientèle francophone. »
Distance agrandie entre les tables, installation de plexiglas, généralisation des règles de distanciation sociale, la salle de restaurant de M. Chaput ne sera plus la même dans quelques semaines quand le déconfinement se précisera.
« Je vais attendre patiemment. J’ai encore toute une vie, et en plus, je viens encore d’être grand-papa. »