Modernisation de la LLO : les organismes satisfaits, l’opposition grince des dents
OTTAWA – « Un jour historique ». Au téléphone, le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) est plus dithyrambique que jamais. Longtemps frustré de la longueur du processus de modernisation de la Loi sur les langues officielles (LLO), Jean Johnson savoure ce vendredi.
« Aujourd’hui, le rêve se rapproche de la réalité. Je pense que la ministre des Langues officielles, Mélanie Joly, nous a entendus, mais aussi compris. C’est le moment de célébrer cette victoire pour l’ensemble des communautés. »
Parmi les grands projets avancés, on retrouve l’officialisation du bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada, le renforcement des pouvoirs du commissaire aux langues officielles, l’engagement d’une révision fréquente de la LLO, mais aussi le renforcement de la partie VII de la Loi, des mesures visant à solidifier « l’apprentissage, l’acceptation et l’appréciation » des deux langues officielles.
Autant de protections qu’avait exigée la FCFA au cours des trois dernières années.
« C’est vraiment un gros morceau qu’on est allé chercher. On souhaite maintenant que cela renforce nos institutions. Dans le moyen terme, on souhaite que ce message encourageant permette à la communauté de travailler de façon différente avec les provinces et les territoires afin d’obtenir des fonds directs pour nos institutions. »
Depuis ce matin, la diffusion des communiqués des organismes francophones en milieu minoritaire se multiplie. Le plus souvent, les commentaires sont élogieux envers ce livre blanc.
L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) salue des initiatives « très intéressantes », citant trois d’entre elles : la centralisation de la mise en œuvre de la Loi au Conseil du Trésor, l’enchâssement du programme de contestation judiciaire, et la proposition d’enlever l’exception à la loi touchant le bilinguisme des juges de la Cour suprême.
Du côté de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF), on se félicite de l’engagement du gouvernement d’inclure des clauses linguistiques dans les ententes fédérales-provinciales et territoriales pour encourager l’utilisation des outils existants de reddition de compte.
Louis Arseneault, son président, s’explique par voie de communiqué.
« Notre fédération réclame depuis longtemps une grande imputabilité des sommes versées par le fédéral aux provinces et territoires pour les coûts supplémentaires en éducation et la proposition d’inclure des clauses linguistiques dans les ententes bilatérales devrait aider à une meilleure reddition de compte. »
Manifestement satisfaite elle aussi, la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF) salue « la reconnaissance de l’importance des mesures et stratégies visant la jeunesse, notamment au niveau de la sécurité linguistique ainsi que des échanges linguistiques et culturels, dans ce document de réforme ».
Mais tout ne se fera pas en une nuit. Le projet devra dans un second temps être déposé à la Chambre des communes, avant d’être débattu. Mélanie Joly vise toujours les dix prochains mois de 2021 pour ce dépôt.
« Il va falloir encourager les partis d’opposition à se rallier autour du projet », lance Jean Johnson. « Tout le monde doit être enligné, afin que le travail s’amorce. »
Une longueur de processus dénoncée
Du côté des partis politiques justement, on appuie très modérmenent le document de réforme de Mme Joly. À commencer par Alexandre Boulerice, le porte-parole aux langues officielles pour le Nouveau Parti démocratique (NPD), en entrevue pour ONFR+.
« D’emblée, on ne peut pas être contre la vertu, puisqu’on défend les droits linguistiques des francophones. Sur les énoncés, il y a de bonnes mesures. »
Mais les bonnes notes s’arrêtent là.
« Sur le fond, on aurait souhaité tout de même plus de pouvoirs renforcés pour le commissaire aux langues officielles, avec un pouvoir de sanctions pécuniaires et financières. Nous regrettons le fait qu’aucun tribunal administratif ne soit mis en place. »
Un brin cynique, M. Boulerice concède que les libéraux « ont peut-être entendu raison », sur l’officialisation du bilinguisme à la Cour suprême du Canada. Une référence au dépôt de la part de son parti de quatre projets de loi dans ce sens au cours des 12 dernières années. Tous furent rejetés.
« Le problème avec ce document de réforme, c’est que nous sommes encore dans le processus. Ce document va aboutir sur un comité qui aboutira sur un rapport et éventuellement sur un projet de loi. Il faut que l’on passe vraiment l’étape des consultations! C’est comme si on voulait pelleter l’enjeu en avant. Mélanie Joly dit que c’est le temps d’agir, alors il faut agir immédiatement! »
Le Parti conservateur va même plus loin.
Dans un communiqué de presse, le porte-parole du parti pour les langues officielles, Alain Rayes, tire à boulets rouges sur le gouvernement.
« Certaines propositions de la ministre sont louables et vont de soi, mais malgré de belles promesses, elle ne s’engage qu’à investir pour réduire les listes d’attentes pour les cours d’immersion en français pour des élèves anglophones. Elle ne propose rien de nouveau pour soutenir les institutions scolaires francophones en milieu minoritaire qui sont en difficulté. Les libéraux renoncent aussi à la demande qui fait l’unanimité auprès des intervenants de créer un tribunal administratif spécialisé des langues officielles pour permettre aux minorités de mieux faire valoir leurs droits. Les libéraux continuent d’ignorer la demande du gouvernement Legault et de tous les membres de l’Assemblée nationale du Québec de protéger le français au Québec en appliquant la Loi 101 aux entreprises à charte fédérale. »
Comme son homologue néo-démocrate, M. Rayes pointe aussi la forme de l’annonce.
« Le gouvernement choisit encore de pelleter par en avant en déposant, non pas un livre blanc comme elle l’avait annoncé, mais un simple document de bonnes intentions, un plan d’inaction libéral, plutôt qu’un vrai projet de loi. Si elle fait cette annonce aujourd’hui, c’est seulement en raison des pressions faites des conservateurs et des associations défendant le français au pays. »
Déception du Bloc Québécois
Ce constat de déception est le même pour Mario Beaulieu, porte-parole aux langues officielles pour le Bloc Québécois lorque questionné par ONFR+.
« Pour le Québec, c’est très décevant, car la LLO vise à soutenir ladite minorité anglophone, alors que la minorité francophone est menacée au Canada. Nous aurions aimé voir par exemple la Loi 101 appliquée aux entreprises à charte fédérale. »
Si M. Beaulieu reconnaît « des mesures intéressantes » à l’extérieur du Québec, par exemple le bilinguisme des juges à la Cour suprême, les bloquistes regrettent « des déclarations d’intention qui arrivent trop tard ».
« C’est une lenteur qui dure depuis des années et des années. Il aurait fallu bouger bien avant avec des actions concrètes significatives (…). À l’extérieur du Québec, la Loi sur les langues officielles a amélioré les choses de manière très insuffisante. On a juste saupoudré plus de services en français. On nous dit par exemple qu’il va y avoir un effort pour les écoles d’immersion, mais celles-ci ne sont même pas gérées par les francophones. »
Et de conclure : « On aurait préféré que le gouvernement s’engage pour que tous les francophones aient accès à des écoles de langue française et à l’enseignement supérieur en français. »