Modernisation de la LSF : les projets de loi s’accumulent à Queen’s Park
TORONTO – Pas moins de trois initiatives visant la modernisation de Loi sur les services en français (LSF) ont ou vont être présentées à la législature provinciale ou directement à la ministre. Cette profusion de projets de loi est-elle de nature à presser le gouvernement ou, au contraire, à brouiller les cartes et laisser transparaître des divergences?
Alors que la ministre des Affaires francophones, Caroline Mulroney, laisse planer le doute sur le contenu et le calendrier de la refonte de la Loi sur les services en français, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) et deux partis d’opposition ont élaboré, chacun de leur côté, un projet de loi.
Avec le projet de loi 135, Loi 2019 sur la francophonie, présenté dès le premier jour de la rentrée parlementaire, les libéraux ont été les premiers à décocher une flèche à l’Assemblée législative de l’Ontario. Le texte reprend, à quelques détails près, celui déposé en juin dernier par l’ancienne députée d’Ottawa-Vanier, Nathalie Des Rosiers.
Les néo-démocrates défendent pour leur part un autre texte que le porte-parole de l’opposition aux Affaires francophones, Guy Bourgouin, déposera aujourd’hui. Il avait reçu le soutien des conseils scolaires et de l’Association des communautés francophones de l’
L’AFO, enfin, travaille depuis un an sur un document politique, fondé sur une série de consultations et rédigé par des juristes. Présenté et discuté lors de son congrès, le texte doit faire encore l’objet d’éventuels rajouts, avant d’être remis en mains propres à la ministre.
Indépendance du Commissariat : front commun contre le gouvernement
Quelles sont les chances pour un de ces textes d’être adopté? Assez faibles en réalité. Les libéraux n’ont aucun poids, ni aucun soutien dans leur initiative.
« Ils ont eu quinze ans pour réformer, ils ne l’ont pas fait », ne se prive pas de rappeler M. Bourgouin.
Si l’opposition officielle est dans une position plus légitime pour défendre son texte, il semble tout aussi difficile aux troupes d’Andrea Horwath de dicter leurs conditions sur un dossier que la ministre Mulroney veut elle-même prendre en main, en se basant sur ses propres consultations communautaires.
Mme Mulroney devra cependant prendre en compte les points communs qui ressortent de ces différents travaux et expriment les attentes convergentes des Franco-Ontariens consultés.
Les trois projets sont notamment unanimes sur un retour du Commissariat aux services en français tel qu’il était sous l’ère Boileau, indépendant de l’ombudsman. Tous vont également dans le sens d’une provincialisation des services et d’un abandon des régions désignées.
Tous, enfin, formalisent l’offre active, le mandat du conseil consultatif aux affaires francophones, ainsi que l’usage du français dans les tribunaux judiciaires et administratifs.
Sur ces points précis, le gouvernement doit bien reconnaître un consensus communautaire, même si Mme Mulroney continue de fermer la porte à un retour du Commissariat, martelant qu’il est indépendant.
La députée Amanda Simard a enfoncé le clou en chambre, la semaine dernière, en réclamant ce retour et en demandant quelles économies avaient été vraiment réalisées, sans obtenir de réponse, ni de la ministre Mulroney, ni de son adjointe parlementaire, Gila Martow.
« La totale indépendance du commissariat est définitivement un mandat qu’on a de la communauté et on va continuer d’avancer nos arguments et de rencontrer les politiciens pour l’obtenir », a assuré de son côté le président de l’AFO, Carol Jolin.
Ajouter une définition inclusive francophone ne fait pas l’unanimité
Mais les trois textes comportent aussi leur lot de subtilités et de différences qui démontrent à quel point certains intérêts divergent au sein de la communauté.
« Mon projet de loi est plus complet et tient compte de plus de choses que le commissaire Boileau demandait dans son dernier rapport », prêche le député de Mushkegowuk-Baie James, Guy Bourgouin, en référence à la définition inclusive francophone (DIF).
Défendue par les conseils scolaires, cette notion ne convainc pas tout le monde. Elle n’a, en tout cas, pas été retenue par l’AFO, ni par les libéraux, dans leurs projets.
Adoptée dans une première mouture en 2009 mais pas appliquée systématiquement, sa sanctuarisation dans la loi permettrait d’assouplir l’admission dans les écoles de langue française des enfants d’immigrants dont la langue maternelle des parents n’est ni le français ni l’anglais.
La croissance des effectifs d’élèves non ayants droit dans les salles de classe francophones ces dernières années tend certes à démontrer, dans une certaine mesure, que cette définition n’est plus adaptée à la réalité.
Mais, mal maîtrisée ou trop laxiste, elle fait craindre à certains observateurs une progression rampante de l’anglais qui déjà s’affirme comme la langue des couloirs d’école. Les comités d’admission demeurent, à ce titre, des garde-fous extrêmement importants au sein des écoles.
Le tardif arsenal des libéraux
Les libéraux, eux, soutiennent la création d’un véritable arsenal de protection des droits francophones. Partisan du projet de Mme Des Rosiers, John Fraser veut garantir un Office de la francophonie, un Conseil consultatif sur la francophonie, un programme d’appui aux droits linguistiques et un fonds de promotion de la francophonie.
Dans les couloirs de l’Assemblée législative, nombreux sont ceux qui ironisent sur les bonnes intentions libérales après quinze ans de pouvoir sans modernisation de la LSF.
« C’était très difficile en tant que gouvernement, car on avait un calendrier limité et des capacités limitées », justifie le chef intérimaire du Parti libéral, John Fraser. « On a fait beaucoup de choses et on a travaillé avec un commissaire qui, selon moi, a été le meilleur qu’on ait connu. On a perdu un symbole important dans la communauté. »
Débat autour du leadership francophone
« En tant que francophones, faut arrêter de demander des miettes », tranche tout net le néo-démocrate Guy Bourgouin. « Les libéraux et les conservateurs nous prennent pour acquis. C’est grand temps d’aller chercher notre juste part, comme peuple fondateur. C’est notre droit constitutionnel. »
« Je pense qu’on peut travailler ensemble sur tous les points sur lesquels on est d’accord », avance M. Fraser. « Pour le reste, je ne vois pas ça comme des divisions, mais des points de vue différents. On a deux solutions, soit on avance en capitalisant sur ce qui nous rassemble, soit on se concentre sur ce qui nous divise et on ne fait rien. »
Les trois projets ont le mérite d’offrir « plusieurs options, des pistes de toutes sortes », selon Carol Jolin. « Ça montre l’intérêt de tout le monde sur la refonte de la loi. Ça amène de l’eau au moulin pour que le gouvernement puisse regarder là où il va aller, d’autant qu’on se retrouve sur plusieurs éléments. Ça va donner une idée au gouvernement jusqu’où il est prêt à aller quand il va se lancer dans la refonte. »