Moonfruits est un duo bilingue d'Ottawa, connu pour ses albums Ste-Quequepart et Salt. Photo: Curtis Perry

OTTAWA – Grâce à un projet pilote de l’organisme Ontario Presents, le duo ottavien Moonfruits a testé la tournée lente, ou slow touring. Minimiser son impact environnemental tout en maximisant le lien avec les communautés visitées, sans oublier de s’offrir de bonnes conditions de travail et sans négliger la famille… Utopie ou réelle possibilité? ONFR s’est entretenu avec Kaitlin Milroy et Alex Millaire sur les réussites et les embûches de l’initiative.

Le slow touring, qu’on pourrait traduire par tournée lente, s’inspire d’autres mouvements comme le slow food ou le slow tourism. L’idée globale est d’adopter un rythme de tournée profitable au bien-être de l’artiste, des communautés et de l’environnement. Ontario Presents chapeaute un large projet pilote qui comprend plusieurs étapes, dont une recherche complétée et l’appui à différents artistes, qui ont élaboré leur propre projet.

Moonfruits fait équipe avec un autre duo ontarien, Tragedy Ann. Ils ont entre autres passé une semaine complète à Uxbridge plus tôt cette année pour le festival Springtide, qui participe au projet pilote en tant que diffuseur. L’idée était de se rapprocher de la communauté et d’en profiter pour se produire dans d’autres lieux, comme une résidence pour personnes âgées et un marché public.

Moonfruits en concert au Uxbridge Seniors Centre. Photo : Justyne Edgell

Plus récemment, Kaitlin Milroy et Alex Millaire ont choisi de se rendre à vélo à l’un de leurs concerts, un rêve qu’ils caressaient depuis longtemps. Mais il fallait y penser à deux fois. Également couple dans la vie, ils sont parents d’un garçon de deux ans et demie. Ils ont donc choisi le Festival Blue Skies, qui se déroule à environ 115 km d’Ottawa. De cette façon, il était possible d’obtenir de l’aide de leur entourage en cas de nécessité.

Pas toujours facile

En vélo avec assistance électrique, un chariot derrière Kaitlin pour transporter l’enfant et une remorque derrière Alex pour les instruments, le départ était donné pour deux jours d’aventures dans la canicule.

La petite famille a apprécié le fait d’être plus près de la nature, de pouvoir observer les arbres, sentir les fleurs et croiser de petits animaux sauvages. Positive aussi, l’expérience d’arrêter dans des parcs pour se ravitailler et permettre au petit Benoît de se dégourdir.

Moonfruits, prêts pour le départ vers le festival Blue Skies. Photo : Gracieuseté de Moonfruits

Par contre, le poids de l’équipement usait la batterie rapidement, et l’itinéraire proposé dans Google Maps ne tenait pas compte de la qualité des routes.

« Ma bicyclette pesait entre 300 et 350 lbs, raconte Alex Millaire. J’ai dû la pousser manuellement entre 30 et 40 fois en haut des collines, dans des endroits de gravier où mes pieds dérapaient autant que la bicyclette. »

La recharge des batteries à l’énergie solaire, pendant le festival, n’a pas donné des résultats optimaux. De plus, la tempête s’est ajoutée aux éléments perturbateurs du voyage de retour. Et puisqu’un malheur n’arrive jamais seul, l’un des vélos a subi une crevaison.

« Majoritairement, c’était assez magique. Mais il y avait des parties qui étaient un peu infernales. »
— Alex Millaire

Les trois voyageurs avaient prévu dormir chez des amis à Almonte, à mi-chemin. Ces derniers sont venus les chercher alors qu’un responsable de l’entreprise où ils avaient loué les vélos se rendait sur place pour changer le pneu et rapporter les montures chez les amis en question. Car l’enjeu du temps s’imposait, d’autres spectacles devaient avoir lieu les jours suivants.

« C’est un mode de transport avec une grande vulnérabilité », résume Alex Millaire.

Leçons et inspirations

L’expérience globale s’est avérée positive. Et leur passage a fait parler. Les organisateurs du festival Blue Skies veulent maintenant offrir de meilleures infrastructures pour les gens qui voudraient pédaler jusqu’à la prochaine édition.

L’initiative pourrait avoir un bel impact, puisque la grande majorité des émissions de l’industrie provient du public et non de l’artiste.

En ce sens, l’idée de rester plus longtemps dans une même région et de donner plus de concerts dans des plus petites salles fait son chemin. Les spectateurs n’ont donc pas à se déplacer dans les grands centres, ce qui constitue un avantage à la fois environnemental et au niveau de la vitalité de la communauté, en plus de réduire les frais de tournée.

Les paroles des chansons de Moonfruits parlent également d’environnement et de responsabilité humaine. Photo : Curtis Perry

 « C’est important de pouvoir rêver et imaginer des choses qui sont peut-être des fois un peu farfelues pour plusieurs raisons, ou qui sont super normales, mais qui ne sont pas la norme dans l’industrie. Par exemple, avoir un soutien à la garde des enfants pour les artistes qui sont aussi parents », lance Kaitlin Milroy.

Les diffuseurs peuvent aussi faire leur part pour encourager les tournées lentes.  Lorsque Benoît avait huit mois, le Festival de la route 11, à l’île-du-Prince-Edward, avait dépêché une bénévole pour s’occuper de lui le jour où ses parents donnaient un concert. Kaitlin Milroy se rappelle : « C’est inestimable, le montant de stress que ça peut enlever sur les épaules des artistes, de savoir que ton diffuseur est un partenaire dans le succès du spectacle, au point où ils veulent vraiment savoir quels sont tes besoins à toi ».

D’autres initiatives

Une autre formation qui fait partie du projet pilote est celle d’Erin Ball et Maxime Beauregard, un duo de cirque qui mise sur l’inclusion et l’accessibilité. Les deux artistes queer, neurodivergents et handicapés passent l’été et l’automne à conduire entre l’Ontario et la Colombie-Britannique pour se produire à différents endroits le long de la route. Leur objectif est de « prioriser les connections, apprendre sur le territoire et ceux qui y habitent, miser sur la durabilité et l’intention derrière nos actions », comme on peut le lire sur leur compte Instagram.

L’an dernier, Erin Ball et Maxime Beauregard avaient déjà lancé un appel aux diffuseurs, leur demandant de collaborer entre eux afin de leur permettre de rester deux ou trois semaines à chaque endroit visité plutôt que de miser sur des tournées éreintantes.

« Ça nous encourage à mettre de côté les marqueurs de succès de l’industrie pour forger un sentier qui nous ressemble. »
— Kaitlin Milroy

Sans que ce soit toujours nommé ainsi, des principes pouvant s’inscrire dans le slow touring sont aussi au cœur des démarches d’autres artistes comme Beau Nectar, Mimi O’Bonsawin et Twin Flames.

Au Québec, les Cowboys fringants sont reconnus pour leurs actions environnementales concrètes. À l’international, Coldplay avait annoncé, en 2019, renoncer à la tournée le temps de trouver les façons de rendre les voyagements carboneutres.

Amis dans la vie, les couples de Moonfruits et Tragedy Ann ont l’habitude de s’entraider, entre autres au niveau administratif. Photo : Gracieuseté de Moonfruits

Pour ce qui est de Moonfruits, le duo se prépare pour une tournée européenne en septembre, en tandem avec Tragedy Ann. Alex Millaire a passé une année entière à comparer les options pour diminuer les émissions d’un tel voyage outre-mer. Entre autres, la route de la tournée a été conçue d’une façon linéaire. Les artistes comptent aussi cuisiner et manger des aliments locaux sur place.