Plafond d’étudiants étrangers : Ottawa a violé la Loi sur les langues officielles
OTTAWA – Le commissaire aux langues officielles du Canada conclu que le fédéral a contrevenu à ses obligations linguistiques en imposant aux établissements postsecondaires un plafond national de permis d’études en 2024.
Le ministère de l’Immigration n’a pas consulté les établissements francophones hors Québec et n’a pas atténué les impacts négatifs qu’aurait un plafond de permis d’étude national sur les francophones, peut-on lire dans le rapport d’enquête du Commissariat aux langues officielles (CLO). Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) admet même au commissaire aux langues officielles « avoir anticipé que sa décision pouvait avoir des incidences négatives à surveiller et à atténuer ».
En janvier 2024, face à la montée du nombre d’étudiants étrangers au pays, l’ancien ministre de l’Immigration, Marc Miller, a imposé un plafond sur les permis d’études au Canada. Cette mesure contrevient à la partie VII de la Loi sur les langues officielles, écrit dans son rapport final le commissaire, en raison de son impact sur les institutions francophones en milieu minoritaire.
22 établissements postsecondaires, avaient porté plainte au CLO dans ce dossier via l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC).
« On est très satisfait du rapport d’enquête. Ça nous rassure de voir que l’interprétation de la Loi sur les langues officielles et la façon dont elle aurait dû être appliquée dans le dossier du plafond des permis d’études correspond à l’interprétation du Commissariat », réagit Martin Normand, président-directeur général de l’ACUFC.
Le commissaire aux langues officielles fait deux recommandations. Il recommande qu’IRCC consulte les établissements francophones d’ici douze mois et que basé sur cela, il devra par la suite prendre « des mesures positives concrètes fondées sur le résultat des activités… afin d’éviter ou d’atténuer les incidences négatives relevées, le cas échéant ».
La portion VII de la Loi, qui n’a pas été respectée selon le CLO, est une nouvelle section, grandement modifiée lors de la modernisation de la législation linguistique en 2022. Elle oblige notamment les institutions fédérales à prendre des mesures positives et à atténuer les impacts lorsqu’il s’agit de mesures négatives. Elle incombe aussi aux instances fédérales de consulter les minorités linguistiques lorsque vient le temps de prendre une décision qui pourrait les impacter.
« Je pense que ça ouvre un nouveau chantier, constate Martin Normand. On n’a pas eu beaucoup de directives claires encore, sur comment il faut interpréter la nouvelle Loi sur des langues officielles. Ça, ça en est une nouvelle. »
Une exemption dès la semaine prochaine?
Au moment d’annoncer un plafond en 2024, les établissements en milieu minoritaire hors Québec avaient demandé à Ottawa une exemption pour la clientèle mondiale francophone, ce qui avait été refusé.
Le plafond des permis d’études a eu un impact négatif sur la réputation du Canada auprès des étudiants étrangers, souligne Martin Normand, ce qui a eu pour effet de faire baisser leur nombre dans les institutions postsecondaires en français. La clientèle internationale représente près de 30 % des étudiants des établissements francophones hors Québec, mais cela ne représente que 1 % à 2 % du nombre total d’étudiants étrangers au Canada.
« On subit les effets du plafond depuis maintenant 18 mois », dénonce Martin Normand, qui estime que la prochaine étape sera de « mesurer les effets du plafond sur notre réseau d’établissement » avec le ministère de l’Immigration et la ministre Lena Metlege Diab.
« L’exemption, c’est ce qu’on a demandé au jour un, rappelle le dirigeant de l’ACUFC. Les choses ont peut-être évolué depuis, mais on pourrait discuter de la suite des choses avec eux. Je pense que ça va être le résultat des consultations. »
Au moment d’écrire ses lignes, le bureau de la ministre Diab n’avait pas répondu à notre demande de commentaires.

La semaine dernière, Mark Carney a annoncé que le budget du 4 novembre comprendra les niveaux d’immigration du Canada pour les trois prochaines années, comme le nombre d’étudiants étrangers. Pourrait-il y avoir des mesures correctives pour les universités et collèges francophones?
« Je pense que c’est tôt, mais en même temps ça fait quelques semaines que le rapport (d’enquête) est entre les mains d’IRCC. Reste à voir s’il se sera gardé une marge de manœuvre pour agir avec nous », soutient M. Normand.
Projet pilote d’exemption du plafond des permis d’études
Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a soutenu aux enquêteurs du Commissariat aux langues officielles qu’elle avait consulté les établissements, avant sa décision en janvier 2024, mais ces consultations ne portaient pas sur la possibilité d’imposer le plafond, précise le rapport d’enquête.
Le lancement d’un projet pilote visant à exempter des étudiants francophones du plafond des permis d’études était aussi une façon d’atténuer les impacts négatifs, a soutenu IRCC. Or, ce programme n’était pas directement lié à la décision du fédéral de freiner le nombre d’étudiants étrangers au pays et la consultation préalable auprès de l’ACUFC, ne portait pas explicitement sur le plafonnement du nombre de permis d’études, juge le Commissariat aux langues officielles (CLO).
« Sans consultations adéquates et sans prise en compte de l’incidence de la décision, l’institution (IRCC) ne peut prétendre qu’une mesure sera suffisante ou appropriée. Cela est particulièrement vrai lorsque cette mesure a été conçue et mise en œuvre au moyen d’un processus décisionnel différent », soutient le rapport de six pages du CLO.
Pour l’ACUFC, « un premier geste évident à poser » serait de renouveler ce projet pilote, conclut M. Normand.