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OTTAWA – L’ensemble des établissements postsecondaires francophones hors Québec ont porté plainte contre le fédéral, estimant qu’il a violé la Loi sur les langues officielles en n’excluant pas les francophones d’un plafond sur le nombre d’étudiants étrangers.

« La loi est là pour être appliquée par tout le monde, y compris par IRCC, par le gouvernement du Canada. Si le gouvernement du Canada n’est pas foutu, d’appliquer sa Loi, je ne sais pas où l’on va », a vivement écorché le recteur de l’Université d’Ottawa, Jacques Frémont, lors d’un comité sénatorial lundi soir.

En janvier, le ministre d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) Marc Miller avait annoncé qu’il instaurerait un plafond de deux ans sur le nombre de nouveaux étudiants étrangers à travers le pays. En Ontario, cela signifie que le nombre de nouveaux étudiants étrangers en 2024 sera de 141 000 alors qu’il était de 239 753 en 2023, soit une chute de 41 %.

À travers le Canada, il s’agit d’une baisse de 28 % soit 291 914 permis qui seront délivrés cette année contre 404 668 en 2023.

Depuis cette annonce, les collèges et universités de la francophonie canadienne demandent au gouvernement fédéral d’exempter les francophones du plafond. Près de 30% des étudiants dans ces universités et collèges proviennent de l’international, selon Association des collèges et universités de la francophonie canadienne. Des institutions francophones de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick et d’ailleurs au pays accusent à l’unisson Ottawa de ne pas respecter la nouvelle version de la Loi sur les langues officielles, modernisée en juin 2023.

« Au nom de ses membres, l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne a déposé une plainte au Commissariat aux langues officielles relativement à la décision d’instaurer un plafond (sur les étudiants étrangers) », a dit son directeur de la recherche stratégique, Martin Normand, devant un comité sénatorial lundi en compagnie de recteurs universitaires du pays.

Le Commissariat aux langues officielles a confirmé à ONFR qu’il avait reçu une plainte en lien avec ce dossier et que « l’analyse de cette plainte est en cours afin d’en déterminer la recevabilité ».

Les 22 établissements postsecondaires blâment le fédéral d’avoir négativement impacté les minorités francophones et « de ne pas avoir pris en compte les besoins particuliers et la réalité distincte des communautés minoritaires linguistiques », comme l’exige la Loi.

« Le plafond a été établi en prenant en compte la moyenne nationale du taux d’acceptation des demandes de permis d’études qui se situe autour de 60 %… Il n’a pas modulé son plafond en fonction du taux d’acceptation des francophones qui se situe à 30 %. Cela s’inscrit en porte-à-faux avec l’égalité réelle », déplore Martin Normand de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne qui comporte 22 membres.

« Je ne pense pas, a répondu le ministre Miller mardi matin lorsque nous lui avons demandé si sa mesure annoncée était en violation à la Loi sur les langues officielles. Les étudiants internationaux sont tout aussi vulnérables que les étudiants anglophones et je dirais même plus, étant donné les pays sources. Donc, il faut les protéger », insiste-t-il, ajoutant être pleinement conscient de ses obligations linguistiques en vertu de la Loi.

Mais les institutions jugent aussi que cette mesure va à l’encontre de la politique en immigration francophone fédérale, qui est incluse dans la Loi sur les langues officielles et qui mentionne l’importance de « maximiser la sélection des étudiants internationaux d’expression française ».

« Le fardeau a été mis encore une fois sur le dos des établissements francophones minoritaires, de défendre leur existence, et j’avoue que c’est extrêmement désappointant au lendemain de l’adoption de la Loi sur les langues officielles », soutient Jacques Frémont.

Marc Miller
Le ministre de l’Immigration Marc Miller. Crédit image : Stéphane Bédard

Le ministre de l’Immigration avance ne pas être d’accord avec les institutions francophones qui demandent des exceptions « dans un contexte où j’essaie de rehausser l’intégrité du système ».

« Je ne veux pas que ça soit un programme qui soit fait à rabais, c’est ce qu’ils veulent, ce n’est pas ça qu’ils vont avoir. (…) Mais là, il n’est pas question d’avoir ça dans un système qui bat de l’aile », tranche-t-il.

« Là, on va voir ce qui se passe, mais c’est clair que je suis prêt à exercer mon rôle de façon responsable comme ministre de l’Immigration pour s’assurer qu’ils y aient des francophones qui viennent au pays », dit Marc Miller, citant des annonces qu’il a effectuées dans les derniers mois.

« On vire les étudiants de bord »

Les établissements s’estiment « chanceux » que les provinces aient pris en compte leur réalité et ainsi protégé leur aspect francophone distinct. En Ontario, le gouvernement Ford a annoncé qu’il ferait des francophones une cohorte prioritaire parmi sa clientèle internationale dans la province.

« Dans un contexte où le gouvernement fédéral a des obligations linguistiques à l’égard de l’épanouissement des communautés francophones, on ne devrait pas être dans une situation où on compte sur la chance et la bonne foi des provinces pour s’assurer de la survie et de la vitalité de nos établissements postsecondaires », a dénoncé M. Normand.

Le recteur Jacques Frémont a affirmé que cette annonce donne comme résultat, « qu’à l’Université d’Ottawa, on n’a aucune idée de combien de francophones vont être là au mois de septembre ».

« Là, le message qui a été reçu après l’annonce est que le Canada n’est plus ouvert, avance la tête dirigeante de l’institution bilingue. Il y a des ambitions de IRCC de passer de 4 % d’immigration francophone à 6 %, mais sur le terrain, les gens ne comprennent pas. Les messages sont contradictoires. On vire les étudiants de bord qui nous fournissent une immigration de qualité », reproche-t-il.

Jacques Frémont, recteur de l'Université d'Ottawa.
Le recteur de l’Université d’Ottawa, Jacques Frémont. Archives ONFR