Le ministre de l'Immigration Marc Miller. Crédit image: Stéphane Bédard.
Le ministre de l'Immigration Marc Miller. Crédit image: Stéphane Bédard.

OTTAWA – Près de huit mois après sa modernisation, le fédéral serait déjà en train de violer la nouvelle version de sa Loi sur les langues officielles, estiment deux juristes, avec l’imposition d’un plafond sur le nombre d’étudiants étrangers au pays.

L’impact négatif d’un tel cap sur les universités et collèges francophones hors Québec fait dire à deux avocats en droits linguistiques que cette mesure d’Ottawa contreviendrait à des sections de la nouvelle Loi sur les langues officielles (LLO), adoptée en juin.

« Il y a une obligation maintenant de faire en sorte de tenter d’éviter les impacts négatifs ou, à tout le moins, les atténuer d’une politique publique sur les communautés linguistiques en milieu minoritaire; alors, il s’agit d’une violation », explique l’avocat Darius Bossé.

« Si les faits sont tels qu’on nous les rapporte, c’est clair comme de l’eau de roche (que c’est une violation) », juge, de son côté, le juriste en droit linguistique Mark Power.

Le fait que plusieurs établissements francophones hors Québec ont indiqué que cette mesure impacterait négativement leurs institutions serait à la racine de cette entorse. L’Université d’Ottawa affirmait, au lendemain de l’annonce du ministre de l’Immigration Marc Miller, que « l’impact du plafond sur les visas risque d’être majeur ». En Ontario, il s’agirait d’une baisse de 50 % du nombre de places allouées à la clientèle internationale.

L’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC), qui représente la vingtaine d’établissements francophones hors Québec, indiquait qu’une telle mesure aurait des impacts financiers importants. Son directeur de la recherche stratégique Martin Normand évoquait, devant un comité parlementaire à Ottawa, que des institutions étaient incertaines qu’« une cohorte (d’étudiants) entre à la session de printemps ».

« Du jour au lendemain, une perte de revenus aussi importante pourrait entraîner, sans nécessairement aller jusqu’à la fermeture d’un établissement, à court terme, l’abolition de postes, la réduction de programmes, la réduction de places dans des programmes et la réduction de services sur les campus », évoquait-il.

Le ministre Miller se défend depuis plusieurs semaines qu’il « ne veut pas préjudicier de façon indue les francophones », mais vise plutôt les institutions qui abuse du système.

« Il y a un challenge d’intégrité et c’est ça que je vise particulièrement », dit-il.

Marc Miller n’a pas voulu répondre à nos questions jeudi avant de faire son entrée à la période des questions au Parlement.

Le campus de l'Université d'Ottawa. Archives ONFR+
L’Université d’Ottawa pourrait être l’une des nombreuses institutions de l’Ontario à se voir imposer un plafond sur son nombre d’étudiants. Archives ONFR

Pour Darius Bossé, la Loi sur les langues officielles ne fait pas cette distinction, comme le fait le ministre.

« Sa décision a un impact sur les communautés d’expression française en milieu minoritaire. Cet impact négatif là et la façon dont la politique a été élaborée constituent des violations d’obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles. S’il veut aller de l’avant avec sa politique générale, il doit repenser à comment la moduler, pour éviter d’écorcher les communautés francophones », estime-t-il.

Théberge a des doutes sur le geste d’Ottawa

Le commissaire aux langues officielles Raymond Théberge n’hésite pas à dire qu’il doute que le gouvernement fédéral ait consulté les communautés francophones avant cette décision comme l’exige la nouvelle Loi sur les langues officielles.

« On peut certainement se questionner si le gouvernement a pris une décision en bonne connaissance de cause », s’interroge-t-il en entrevue.

Ne pouvant se prononcer à savoir s’il s’agit d’une violation à la Loi sur les langues officielles à ses yeux, Raymond Théberge ne cache pas qu’une enquête auprès de son bureau pourrait donner une réponse claire.

« Je pense que c’est important, sans avoir toutes les facettes de la situation, que cette analyse et que cet examen approfondi devrait se faire dans le cadre d’une enquête, qui serait nécessaire pour tirer des conclusions. On ne peut pas simplement se prononcer sans avoir un fait », avance-t-il.

C’est pour contrer ce genre de scénario que les parlementaires ont adopté une nouvelle version de la Loi sur les langues officielles, en juin dernier, souffle Mark Power.

« La Loi sur les langues officielles exige désormais qu’on affûte les politiques publiques avec plus de doigté, pour épargner le Canada français et quand cela s’avère impossible, atténuer et compenser. Ici, c’est très possible d’épargner le Canada français, c’est exigé par la Loi. »

À l’instar des deux juristes, l’opposition conservatrice estime qu’une exemption pour les établissements francophones hors Québec réglerait le problème, en plus de favoriser les communautés.

« On est en train de créer un autre problème. Le ministre de l’Immigration fait une erreur, selon moi, de la faire de façon symétrique cette coupe-là », lance le député Joël Godin, qui estime que c’est un exemple d’annonce « improvisée, réactionnelle et sans vision ».

Sans se prononcer sur le cas des étudiants étrangers francophones, le chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet estime que le processus autour de la Loi sur les langues officielles a été un exercice absolument politique, estimant que les décisions du gouvernement Trudeau « vont à l’encontre de ce qui se dit publiquement ».

« Ce qui se dit publiquement, c’est : Oh, que nous aimons le français! Ce qu’ils font en privé, c’est nuire systématiquement au français », juge-t-il.