Immigration francophone et étudiants étrangers : Ottawa se contredit-il lui-même?
OTTAWA – Le gouvernement fédéral ne voit pas de contradictions entre sa politique en immigration francophone qui veut maximiser la venue d’étudiants étrangers francophones et son plafond imposé aux établissements postsecondaires au pays. L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) demande à Ottawa d’accorder une exemption aux institutions de langue française dans la province.
Un des objectifs principaux de la politique en immigration francophone dévoilée au début du mois de janvier est de « maximiser la sélection des étudiants internationaux d’expression française », est-il écrit dans celle-ci.
Il est question entre autres de « bonifier les programmes d’immigration temporaire visant les travailleurs et les étudiants internationaux d’expression française, notamment en éliminant les obstacles nuisant à leur acceptation et en élargissant les voies d’accès à la résidence permanente », mentionne un des sous-objectifs de cette politique qui fait partie de la Loi sur les langues officielles.
De plus, l’un des indicateurs de rendement que compte cette politique est que « la proportion et le nombre de permis d’étude pour les étudiants d’expression française (hors Québec) sur le total de permis d’étude » soient en augmentation année après année dès 2024, vise-t-on. Le ministre de l’Immigration Marc Miller n’y voit pas de contradiction entre le plafond imposé et les ambitions de son gouvernement pour attirer de nouveaux arrivants francophones.
« Aucunement », a-t-il répondu lorsque questionné à ce sujet ce mardi matin.
Le cap de 360 000 étudiants étrangers pour 2024 au Canada est là, car « il y a un challenge d’intégrité et c’est ça que je vise particulièrement », insiste le ministre libéral. Il souligne depuis plusieurs semaines que des établissements mauvais joueurs ont visé « le volume et non l’excellence » dans leur recrutement international dans les dernières années.
L’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC), qui représente une vingtaine d’établissements postsecondaires francophones hors Québec, estime que les deux cas démontrent « une contradiction flagrante ».
« Si le fédéral conserve sa responsabilité d’octroyer des permis d’étude aux étudiants francophones hors Québec pour respecter ce qui a été annoncé dans la politique en immigration francophone, on pense que ça pourrait régler beaucoup de soucis dans le système, enlever des acteurs des négociations qui s’en viendront (avec les provinces) et laisser des permis d’études à d’autres établissements », a plaidé le directeur de la recherche stratégique à l’ACUFC, Martin Normand, devant les élus la semaine dernière devant le Comité des langues officielles.
L’AFO réclame une exemption pour les francophones en Ontario
Le plafond de 360 000 nouveaux étudiants étrangers au pays, d’une durée de deux ans, signifiera une réduction de 50 % de l’effectif international dans le système postsecondaire ontarien. Le nombre de personnes ayant un permis d’étude au cours des dernières années a augmenté en flèche dans la plus grosse province du pays, selon les données de Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada :
- 2023 : 539 480 (permis d’études)
- 2022 : 412 460
- 2021 : 291 530
- 2020 : 242 595
- 2019 : 306 070
L’ACUFC estime que le nombre de permis d’études délivrés par ses membres correspondait en septembre 2022 de 1 % à 2 % de l’ensemble du pays.
« On (les établissements francophones) ne suit pas la même trajectoire. On sait qu’en septembre 2022, il y a eu 5 000 nouveaux permis d’études pour notre réseau d’établissements… On s’entend qu’il y a eu une croissance du nombre d’étudiants internationaux, mais ce n’est pas du simple au double en deux ans », explique M. Normand.
L’AFO estime que cette décision d’Ottawa accentuera la pénurie de main-d’œuvre bilingue dans la province et demande donc que les universités et collèges francophones n’en fassent pas partie.
« Le gouvernement fédéral vise même à rétablir notre poids démographique à celui de 1971 dans sa nouvelle Loi sur les langues officielles. Il est donc important d’encourager les institutions qui livrent des programmes en français à accueillir les étudiantes et étudiants internationaux sans leur imposer de nouvelles mesures restrictives », soutient son président Fabien Hébert.
Le fédéral « prêt à regarder plusieurs solutions »
Sur l’exemption, Marc Miller répond « être prêt à regarder plusieurs solutions (…). Mais d’abord, il faut parler de la qualité de ceux qui viennent. Évidemment, le 1%, c’est quelque chose qu’on pourrait rehausser. »
« En faisant une réduction, on ne veut pas préjudicier de façon indue les francophones qui viennent ici, poursuit-il. Mais c’est clair que les institutions elles-mêmes ont un travail à faire pour rehausser l’intégrité du système et ne peuvent pas dépendre uniquement des étudiants internationaux, peu importe la langue. »
Ce dernier aimerait voir un plus grand nombre de pays au sein des demandeurs soulignant que près de 40 % de ceux-ci viennent de l’Inde. « On pourrait avoir un système qui est plus bien diversifié et qui pourrait aller vers la France, le Sénégal, la Belgique, le Maroc pour avoir plus de gens qui parlent français », énumère-t-il.