Nomination de Mary Simon : le commissaire aux langues officielles forcé d’enquêter
OTTAWA – Le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, juge recevables les quelque 430 plaintes acheminées jusqu’à maintenant à son bureau au sujet de la nomination de Mary Simon, une Inuk qui ne peut s’exprimer en français, au poste de gouverneure générale du Canada. Il devra donc mener une enquête.
« Je comprends que nous sommes à un tournant important dans l’histoire de notre pays et que la nomination d’une gouverneure générale autochtone est un pas important vers la réconciliation », souligne le commissaire.
Reprenant les propos qu’il a tenu lors de la nomination de Mme Simon, M. Théberge se dit convaincu qu’elle saura, grâce à « sa perspective et à son expérience », contribuer à la protection et à l’essor des langues autochtones et des langues officielles.
Mais le commissaire constate que le volume de plaintes généré par cette nomination est le plus élevé qu’il ait reçu pour un cas en particulier, depuis qu’il est en poste.
« Nous avons reçu jusqu’à date au-delà de 400 plaintes. Oui, je dirais que c’est exceptionnel. Il y a d’autres évènements qui ont suscité un nombre important de plaintes, mais pas durant mon mandat. Par exemple en 2010, on a généré environ 493 plaintes à l’égard d’Air Canada, et ensuite en 2011, au-delà de 875 plaintes par rapport à CBC/Radio-Canada lors de la fermeture de la station CBEF à Windsor. Mais ce que je peux vous dire, c’est que durant mon séjour, c’est le volume le plus important de plaintes et je pense que ça démontre à quel point la dualité linguistique est importante pour les canadiens et les canadiennes. »
Le nombre de plaintes est de 430 en ce moment et le commissaire s’attend à en recevoir davantage, mais pas au même rythme qu’au cours des deux dernières semaines. Il explique que son bureau émettra d’abord un rapport préliminaire auxquels les parties concernées pourront réagir. Ce n’est qu’après avoir reçu les commentaires soumis que le commissaire produira son rapport final.
« L’enquête porte sur le rôle du Bureau du conseil privé (BCP) dans le processus de nomination de la gouverneure générale. Donc l’enquête visera à établir si le BCP a manqué ou non à ses obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles », résume M. Théberge.
« Si les plaintes sont fondées, je fais des recommandations à l’institution fédérale (en l’occurrence le BCP) qui sera chargée de les mettre en œuvre », précise le commissaire.
La présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), Liane Roy, appuie la démarche du commissaire aux langues officielles.
« L’approche du commissaire Théberge en réponse aux plaintes est la bonne. C’est important de faire la lumière sur la place que le Bureau du Conseil privé fait aux langues officielles lorsqu’il dirige des processus de nomination de hauts dirigeants. Ça nous aidera à voir s’il y a un glissement au niveau de la prise en compte du français », a-t-elle expliqué.
Toutefois, à la lumière d’un entretien téléphonique qu’elle a eu avec le premier ministre Justin Trudeau la semaine dernière, Mme Roy estime qu’il ne faut pas s’inquiéter de la place qui sera réservée au français lors de nominations futures.
« Le premier ministre nous a assuré la semaine dernière, lorsque nous l’avons rencontré, que le français n’est pas devenu optionnel pour les nominations. Nous sommes confiants que les prochaines nominations, en particulier à la Cour suprême, seront effectivement faites dans les normes établies. »
De son côté, la présidente de la Société nationale de l’Acadie, Louise Imbeault, a, comme tous les leaders francophones du pays, « applaudi la nomination d’une personne issue des premiers peuples ». Elle considère qu’il s’agit là d’un pas important vers la réconciliation. Toutefois, elle aussi déplore que Mme Simon ne parle pas français, surtout en raison de sa carrière de diplomate.
« Je pense que la nomination d’une personne qui a fait carrière dans la diplomatie canadienne et qui n’a pas appris le français démontre non pas les compétences de Mme Simon, mais bien la façon dont le gouvernement canadien, depuis 50 ans, a pas su faire respecter sa propre loi sur les langues officielles. Qu’on puisse faire carrière dans la diplomatie canadienne sans parler les deux langues officielles du pays, je pense que c’est l’illustration par excellence de ce que les communautés francophones disent depuis plusieurs années : il faut moderniser la Loi sur les langues officielles, et il faut aussi une agence centrale qui va s’occuper de la faire respecter », insiste Louise Imbeault.
Pour sa part, le président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) Alexandre-Cédric Doucet, s’est limité à un bref commentaire envoyé par courriel.
« Nous encourageons constamment nos membres de faire des plaintes auprès du commissaire aux langues officielles s’ils pensent que leurs droits ont été brimés. Effectivement, nous voyons de grandes similarités dans les processus menant aux nominations de la gouverneure générale du Canada et de la Lieutenante gouverneure au Nouveau-Brunswick. Cependant, puisque nous sommes devant les tribunaux concernant la lieutenante-gouverneure, nos avocats ont recommandé de ne pas commenter en profondeur le dossier », écrit M. Doucet.