« Notre place » intronisée : souvenirs et fierté chez les Franco-Ontariens
OTTAWA – Le Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens (PACC) a annoncé lundi l’intronisation prochaine de l’hymne franco-ontarien, Notre place. Créée en 1989 par François Dubé et Paul Demers, cette chanson est devenue un symbole de fierté et de résistance. Elle fera son entrée officielle au PACC lors du gala Trille Or de l’Association des professionnels de la chanson et de la musique (APCM). ONFR+ a recueilli des réactions d’artistes qui ont contribué, de près ou de loin, à construire cette légende musicale.
François Dubé explique qu’il a toujours du mal à y croire, même s’il avait eu vent des discussions en cours au PACC. « Il y a une part de moi qui ne réalise pas. Je pense que ça va être le 9 septembre, lors de la présentation, que ça va nous frapper. Je suis fier, je suis content, mais il y a des journées où je me dis : ben voyons donc, ça ne se peut pas qu’une chose comme ça m’arrive! »
Le compositeur pense évidemment à son ami Paul Demers, décédé en 2016 d’une récidive de cancer. « Je peux juste imaginer Paul. Il doit sauter de joie, en ce moment. C’est triste qu’il ne soit pas là. »
François Dubé souligne l’implication de Sylvie Chalifoux-Demers. La veuve de Paul Demers a toujours été engagée dans l’administration de l’héritage de la pièce, les demandes de droits de diffusion, etc. Elle montera sur scène avec François Dubé pour recevoir le prix des mains du vice-président francophone du PACC, Robert Paquette.
Ce dernier était présent lors de la première interprétation publique de Notre place, en 1989. « C’était vraiment important, car Paul sortait d’une opération et il était encore assez fragile. Il m’a demandé de venir la chanter avec lui. C’était le fun de l’encourager autant émotivement que vocalement. »
Mehdi Cayenne interprètera la chanson lors de son intronisation. Celui qu’on connaît pour ses performances endiablées prévoit user de sobriété. En entrevue avec ONFR+, il précise : « La version initiale est grandiose. J’aimerais la livrer de manière très dénudée, très épurée. Vraiment mettre de l’avant la beauté et la clarté de la ligne vocale et du texte (…) pour qu’on puisse la chanter tous ensemble. »
Une commande grandiose
C’est pour célébrer la mise en place de la Loi 8, sur les services en français en Ontario, que la productrice Hélène Fournier demande à François Dubé de créer une musique de la trempe d’un thème olympique. Le directeur musical pense plutôt qu’il faudrait une chanson, pour célébrer la parole francophone.
Il appelle Paul Demers, alors en traitement pour un cancer. « Il était dans un moment très difficile. Sa voix était fatiguée. Je lui ai dit : « Paul, c’est toi que je veux ». »
Les deux amis se sont réunis et François Dubé ne se souvient plus précisément de qui sont provenues quelles idées. Il parle d’une discussion en symbiose, d’un rêve de créer une chanson simple et rassembleuse, un We Are The World franco-ontarien. Notre place a été écrite rapidement, dans un élan d’inspiration ludique. « À partir du moment où il a mis les pieds chez nous, on a travaillé en collaboration totale. On riait de bonheur. » La création et le succès de la chanson ont apporté un regain d’énergie à Paul Demers.
Notre place a été interprétée en 1989 au théâtre Queen Elizabeth de Toronto, lors d’une soirée organisée par la Fondation franco-ontarienne et la chaîne française de TVOntario, aujourd’hui TFO. La formation Hart Rouge et Robert Paquette accompagnaient le duo Dubé-Demers.
François Dubé explique avoir été dépassé par le succès de Notre place. Elle a été utilisée dans de nombreuses écoles, puis comme chant de ralliement du mouvement SOS Montfort. La chanson a donné son nom à une école primaire en 2016. Elle a été officialisée comme hymne franco-ontarien l’année suivante, à l’initiative du député Grant Crack.
Un hymne à la communauté
François Dubé croit que le succès de Notre Place vient du contexte social dans lequel elle a évolué. « On a fait ça pour la communauté franco-ontarienne. Si elle n’avait pas été aussi présente dans ses demandes, ses insistances, Montfort, Gisèle Lalonde… S’il n’y avait pas eu ça, je pense que ça n’aurait pas été pareil. Je pense que c’est pour ça que cette chanson a touché une corde sensible. Parce qu’elle représentait les gens. »
Les mots « pour ne plus avoir notre langue dans nos poches » viennent d’un poème de Jean Marc Dalpé. Dans un échange de courriels avec ONFR+, ce dernier refuse de prendre le crédit. « Je crois qu’il serait plus vrai de dire que nous, les artistes de notre génération, nous sommes inspirés les uns les autres. Nous étions tous portés par un élan de solidarité et de contestation en réaction à une culture dominante qui voulait nous ignorer, voire nous faire disparaître. »
Cette fierté identitaire est toujours bien ancrée chez François Dubé. Même s’il a habité une bonne partie de sa vie à Montréal et Gatineau, il n’aime pas que les médias le qualifient de « pianiste québécois ». « Je suis Franco-Ontarien. Je suis né à Ottawa, j’ai étudié là. Mes parents ont acheté une maison à Hull parce que les terrains étaient deux à trois fois moins chers, mais j’étais tout le temps rendu à Ottawa. »
Mehdi Cayenne explique à quel point Notre place est ancrée dans la communauté. « C’est une chanson qui me fait penser à Paul Demers, aux multiples fois où l’on a eu la chance de se croiser, et aussi à tous les endroits qui représentent notre place justement, l’Ontario francophone. Ça m’évoque des lieux, des territoires, des gens. »
L’ami Paul
L’intronisation de la chanson Notre place est encore plus significative pour les gens qui ont côtoyé Paul Demers.
Jean Marc Dalpé exprime : « Très content pour mon ami qui n’est plus ici. (…) Paul était une des voix importantes de la lutte. Il était de toutes les fêtes. »
François Dubé parle de jovialité. « Il n’y avait jamais de problème, avec Paul. Je ne l’ai jamais vu fâché. Il y avait quelque chose de pacifique en lui. »
Robert Paquette souligne l’importance de donner le crédit aux deux créateurs. Il se rappelle de Paul comme d’un « être extraordinaire. C’était un très bon auteur-compositeur. D’être intronisé au PACC, c’est un honneur. On n’est pas 100 000 là-dedans », souligne celui dont la chanson Bleu et blanc a été intronisée en 2018. François Dubé souligne que la présence de cette chanson au PACC la fera voyager à travers le Canada, dont au Québec, ce qui contribuera à mettre en lumière la communauté franco-ontarienne.
La logique du Trille Or
François Dubé et Paul Demers ont fait partie des fondateurs de l’APCM. Le directeur actuel, Thomas Kriner, est heureux d’introniser la chanson lors du gala Trille Or. « Ça tombe sous le sens. C’est un hymne connu et reconnu en Ontario, qui vient célébrer des artistes membres ou anciennement membres de l’APCM. Ça amène un prestige supplémentaire. »
En 2021, les chansons Baie Sainte-Marie et Dimanche après-midi du groupe CANO avaient été intronisées pendant le gala Trille Or. L’édition 2023 se tiendra du 7 au 9 septembre.