On préfère rire que pleurer avec Bado, le caricaturiste de l’Outaouais
[LA RENCONTRE D’ONFR]
OTTAWA – Guy Badeaux, alias Bado, est un dessinateur de presse et caricaturiste québécois qui offre depuis plus de 40 ans un regard aiguisé sur l’actualité, dans divers journaux du Québec et de l’Ontario. Dès 1981, c’est au journal franco-ontarien Le Droit que les dessins de Bado se hissent parmi les meilleurs au pays. Après plus de 10 000 dessins, dont 3000 généreusement offerts aux Archives nationales du Canada, Guy Badeaux est toujours en quête de son prochain gag, avec la même envie, celle de nous faire rire.
« Vous avez commencé votre carrière de dessinateur dans les années 1970. Est-ce que le dessin de presse et la caricature ont toujours été une évidence pour vous?
Au départ, je voulais me lancer dans la bande dessinée, car les postes de dessinateurs de presse étaient limités, ce qui est toujours le cas aujourd’hui. À l’époque, il y avait seulement un dessinateur par journal. Mais ce qui m’a vraiment donné le goût du dessin de presse, c’est lorsque j’ai rencontré le caricaturiste de la Gazette de Montréal, à l’âge d’environ 20 ans. J’ai ensuite proposé mes dessins un peu partout, et c’est ainsi que j’ai commencé. À cette époque, il y avait quand même plus de journaux, ce qui rendait les choses plus faciles.
De nos jours, avec la montée des journaux en ligne, les opportunités sont moins fréquentes, et le fait de payer pour des dessins n’est pas vraiment un réflexe. D’ailleurs, avec le partage sur Facebook ou X (anciennement Twitter) on est un peu victimes de notre propre quête de popularité. Je suis également coupable de cela, car je partage mes dessins après leur publication dans les journaux.
Je me souviens qu’à mes débuts, il y avait des pages entières de bandes dessinées dans les journaux, souvent en dernière page. Maintenant, c’est de plus en plus rare.
Vous avez donc toujours navigué dans le domaine de la bande dessinée. À quoi ressemblait votre expérience de la BD?
En fait, j’ai travaillé au magazine Croc dans mes débuts, un monument de la bande dessinée et de l’humour à l’époque. Et pendant 23 ans, j’étais rédacteur en chef de Portfoolio : The Year’s Best Canadian Editorial Cartoons.
Combien de dessins avez-vous réalisés dans votre carrière?
C’était un peu niaiseux de les compter, mais j’ai réalisé 10 100 dessins au Droit au total. J’ai commencé à les classer pour mieux m’y retrouver. Il peut parfois être difficile de se rappeler qui est représenté dans chaque dessin. Depuis 1970, je tiens un journal dans lequel j’ajoute une brève description, ainsi que le numéro du dessin et si j’ai été payé pour.
Ça me fait rire parce que je crois que mes expériences en tant que trésorier dans plusieurs organismes m’ont aidé là-dedans. J’ai été trésorier pour l’Association des caricaturistes canadiens, puis aux rendez-vous de la BD de Gatineau… enfin, c’est un détail, mais ça me sert.
Puis, je reconnais que cela peut sembler bassement matérialiste, mais je fais des dons aux Archives nationales, et c’est vrai qu’ils possèdent déjà environ 3000 de mes dessins. Mais, il faut savoir que les archives ne peuvent pas accepter les caricatures si la propriété des originaux n’est pas clairement établie. Dans mon cas, étant syndiqué au journal Le Droit, ils soutiennent que le journal est propriétaire de mes œuvres.
Vous avez travaillé en anglais et en français. Est-ce qu’il y a une différente vision de la caricature dans ces deux mondes?
En fait, je ne fais que traduire mes dessins en anglais. Mes dessins dans Portfoolio, par exemple, étaient publiés dans leur version originale et sous-titrés en anglais. Je ne travaille pas, à proprement parler, pour des médias anglophones, sauf à de très rares exceptions. J’ai collaboré au mensuel Canadian Forum pendant quelques années, mais on ne peut pas parler d’une production très importante.
Mais vous savez, moi, dans le fond, je suis une minorité linguistique québécoise, parce que j’habitais à Westmount, un quartier anglophone enclavé dans Montréal. C’est comme ça que je me reconnais dans la situation des francophones en Ontario.
J’ai fait mes premiers dessins pour un journal anglophone, à la Gazette de Montréal, The Gazette. C’est là que j’ai rencontré le caricaturiste Terry Mosher, alias Aislin. S’en est suivi Portfoolio. J’étais le seul dessinateur francophone en Ontario. En fait, j’étais le seul dessinateur francophone qui comprenait l’Ontario, parce que les Québécois ne comprennent pas l’Ontario, puis les Ontariens ne comprenaient pas le Québec.
En 1981, j’ai postulé pour le poste de caricaturiste au Droit, suite au décès de mon ami Daniel McKale qui l’occupait depuis quelques années.
Je n’envisageais pas de m’exiler en région, mais Le Droit m’offrait la possibilité de traiter de sujets nationaux et internationaux, de même qu’ontariens et québécois. Il faut dire que toutes les avenues étaient bloquées à Montréal. J’en avais pour 20 ans avant qu’un poste se libère, alors je me suis installé à Ottawa, dans le coin de la Côte-de-Sable.
Qu’est-ce qui est le plus facile dans votre travail et, à l’inverse, que trouvez-vous difficile?
Ce qui est difficile c’est de trouver l’idée, parce que je ne dessine pas des fleurs, des animaux ou des couchers de soleil. Ce qui est facile, c’est qu’il y a des personnages qui sont plus simples à dessiner que d’autres. Claude Ryan, (ancien éditorialiste et directeur du Devoir et homme politique) c’était mon préféré, lui qui me payait très mal au Devoir. Je me vengeais dans mes dessins (Rires).
J’ai eu l’occasion de le dessiner quand il a appuyé l’Hôpital Montfort. Il avait donné son appui à la lutte contre sa fermeture. Puis, il y a des gens comme Mulroney. Avec son menton, c’est assez facile. Mais des fois, c’est problématique parce que Jean Chrétien, on ne peut que le dessiner de face, du fait de sa bouche si typique. À l’inverse, Bourrassa, qui avait un nez pointu, il était plus intéressant de le dessiner de profil, mais je l’ai réussi avec mon dessin qui a gagné un prix en 1991.
Comment trouvez-vous une idée de dessin?
Généralement, je trouve en lisant un article. D’ailleurs, hier, j’en ai trouvé deux. Évidemment que l’événement de la semaine, c’était le budget fédéral, alors ça m’a donné quelques idées de gags.
C’est l’actualité qui donne le sujet. Après, c’est plus compliqué de trouver une bonne idée pour la représenter.
Vous appelez vos dessins « des gags ». Est-ce que la caricature doit nécessairement être de l’humour ou si, parfois, elle peut être dramatique?
La caricature, c’est la caricature, souvent drôle, parfois dramatique. Et puis, il vaut mieux rire que pleurer.
On peut faire penser, tout en faisant rire. Moi, je crois que la pilule passe plus facilement dans ce sens. Parce que quand on est trop dogmatique, les gens arrêtent, ils n’écoutent plus.
Est-ce qu’aujourd’hui, c’est difficile de représenter et de dessiner ce qui se passe à l’international?
Le problème, c’est qu’il faut que je convainque les gens à qui je vends les dessins de les publier. Là, avec le conflit à Gaza, qui est très polarisant, j’ai fait plein de dessins qui ne seront pas publiés. Ce qui signifie qu’il y aura des dessins inédits dans mon prochain livre (Rires).
Mais effectivement, ce qui n’est pas simple dans les conflits, c’est que la situation change du jour au lendemain. C’est un peu comme faire des dessins sur la météo. Il y a beaucoup de propagande, donc il faut faire attention à ne pas dessiner quelque chose qui n’est pas totalement vérifié.
C’est aussi ce qui se passe avec l’intelligence artificielle, qui me fait très peur d’un point de vue professionnel. La seule chose que je me dis, c’est que les machines ne peuvent pas encore trouver d’idées.
Depuis 10 ans, je suis devenu pigiste et je fais surtout des dessins locaux. Donc, je fais à peu près deux dessins par semaine pour Le Droit et un pour Francopresse. J’en ai fait aussi pour le journal français Le Monde. Quand le caricaturiste Plantu a quitté son poste, le journal Le Monde a confié à Cartooning for Peace le rôle de remplir la une. C’est une organisation dont je fais partie, que Plantu avait créée avec Chappatte et Kofi Annan pour montrer que tout le monde n’était pas raciste. Les dessinateurs membres peuvent publier sur la une. Nous sommes en compétition avec une cinquantaine de dessinateurs, dont Chapatte, qui est une célébrité dans le domaine.
En 2015, il y a eu l’attentat de Charlie Hebdo à Paris. Est-ce que pour vous, il y a eu un avant et un après cet événement?
Je ne sais pas s’il y a eu un avant et un après, car Charlie Hebdo existe depuis longtemps. Mais j’ai quand même perdu un ami dans la fusillade. J’étais très proche de Tignous.
Cet événement a rendu le danger plus immédiat. Des menaces, ils en avaient depuis des années. À partir de ce moment-là, c’est sûr qu’on avait peur que quelqu’un entre dans le bureau.
Cela me fait penser aux risques lorsque l’on dessine les Hells Angels. Quand « Mom » Boucher était le chef des Hells Angels au Québec et qu’il a été condamné, j’ai fait un dessin, mais tout s’est bien passé. Mon seul problème avec les Hells Angels, c’est quand j’ai rencontré un des membres dans un bar et que je lui ai dit que leur logo avait besoin d’être mis à jour… ça, ça n’a pas très bien passé (Rires).
Dans toutes les caricatures que vous avez créées ces quarante dernières années, est-ce qu’il y a un dessin que vous regrettez?
En fait, ça m’arrive assez souvent de regretter un dessin, mais c’est souvent parce que je vois autre chose à faire, que ce soit une perspective incorrecte ou une ressemblance qui ne me satisfait pas. On peut être exigent avec soi-même.
Par contre, je ne regrette pas de heurter, car c’est mon opinion. Je ne vais pas non plus dessiner quelque chose auquel je ne crois pas. Quoi qu’il en soit, je ne pourrais pas dire que je regrette d’avoir dessiné quelque chose pour avoir été trop loin.
Nous connaissons Bado le caricaturiste, mais est-ce que Guy Badeaux a d’autres passions?
Absolument! Je joue de l’harmonica, je suis un peu un musicien de blues. En fait, plus jeune, j’avais même envie d’être musicien. J’ai toujours fait de la musique.
La musique, c’est un travail coopératif, alors que dans le dessin, on est tout seul. Il y a beaucoup de dessinateurs qui sont musiciens. Et vous savez, l’expression « le Violon d’Ingres » vient du peintre Jean-Auguste-Dominique Ingres, qui jouait du violon.
Quand j’allais au Congrès des caricaturistes américains, il y avait toujours un orchestre, des batteurs, des pianistes, des joueurs de saxophones, de trompettes… et c’étaient les dessinateurs.
Le dessin et la musique, c’est comme respirer. Quand on dessine, on inspire, et puis quand on fait de la musique, on expire. »
LES DATES-CLÉS DE GUY BADEAUX (BADO) :
1949 : Naissance à Montréal, Québec
1981 : Obtient le poste de dessinateur éditorial au quotidien Le Droit à Ottawa
1984 : Rédacteur en chef pendant 23 ans de Portfoolio : The Year’s Best Canadian Editorial Cartoons
1985 : Président, puis trésorier de l’Association des caricaturistes canadiens
1991 : Remporte le prix de la meilleure caricature au Concours canadien de journalisme avec son dessin de Robert Bourassa
2000 : Préside le jury du concours international de dessins de Liberté de la presse Canada
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.