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Franco-Ontarien en Acadie : un parcours d’adoption identitaire

La migration interprovinciale peut être un moyen de soutenir le poids démographique des communautés francophones. Photo : Congrès mondial acadien 2024 : Jérôme-Luc Paulin

La migration francophone des Ontariens attirés vers le Canada atlantique joue un rôle clé pour la survie du français dans ce coin de pays, comme à l’Île-du-Prince-Édouard où la langue ne cesse de plonger depuis 50 ans. Pour cette journée de la Fête nationale de l’Acadie, ONFR est allé à la rencontre de trois d’entre eux, installé en pays acadien. Un beau moment pour déceler l’identité acadienne sous toutes ses coutures et son dialogue fraternel avec l’Ontario.

« Vous savez, on est des gens qui n’ont pas de pays ni frontières, mais on a une langue qui nous rassemble, et pourquoi pas avec les francophones d’ailleurs », déclare amicalement Yvon Godin, président de l’Association francophone des municipalités du Nouveau‑Brunswick (AFMNB).

Ce mois-ci marque trois ans que Véronique Prud’homme a fait le grand saut en déménageant à Moncton. « J’avais toujours l’intention de retourner à Ottawa, mais mes études de droit se sont passées tellement vite et je n’étais pas prête à partir », explique la jeune diplômée née à Timmins.

Depuis son arrivée à Moncton il y a 3 ans, Véronique Prud’homme se sent comme une Acadienne adoptée. Photo : Gracieuseté de Véronique Prud’homme

Cette stagiaire en droit se sentait aventureuse de découvrir les provinces maritimes, dit-elle. Aujourd’hui, elle s’y engage à intervenir concrètement face au manque d’avocats francophones dans le coin. « Le droit d’être servi en français ou en anglais c’est l’une de mes valeurs les plus importantes dans mon domaine du droit criminel », exprime la future juriste.

Étant donné que la défense fervente des droits linguistiques continue d’être une voie médiane entre citoyens parlant le français, d’autres empruntent la même route. « J’ai toujours senti une affinité avec les Acadiens parce que je sais qu’on est tout d’abord des francophones minoritaires », aborde l’auteur-compositeur Michel Lalonde.

Cet adepte de la musique folklorique canadienne doit beaucoup à la région, car c’est là qu’il a formé son groupe de rock, Garolou, il y a 50 ans. C’est avec les nombreux allers-retours entre la Saskatchewan et l’Île-du-Prince-Édouard que le chanteur a pris la décision il y a cinq ans de faire de Charlottetown sa résidence permanente.

Originaire d’un petit village sur la frontière Ontario-Québec, Michel Lalonde a vécu en Acadie dans les années 70 avant et s’y installer définitivement en 2019. Photo : Gracieuseté de Michel Lalonde

Mais dans un contexte acadien, ce sentiment d’être une minorité soulève des points de vue mitigés. « C’est sûr que le français va toujours être une minorité au Canada, mais ici, en Acadie, je dirais que non », nuance Véronique Prud’homme. « Ici, c’est presque garanti que tout monde va parler en français. Je sais que si je parle français dans un magasin ou un restaurant, ils vont me comprendre », compare-t-elle.

Il n’empêche pas que ce sentiment d’adoption est largement partagé entre ces immigrés interprovinciaux. « Je commence à apprendre le chiac et j’ai aussi goûté récemment une poutine râpée – un mets exclusivement acadien – donc à force de faire ces choses-là, je me sens un peu une Acadienne adoptée », réaffirme-t-elle.

L’identité acadienne en marche

Lorsque Martin Théberge, président Société Nationale de l’Acadie (SNA), tente de définir l’identité acadienne, il explique que « c’est très compliqué. »

Lui-même fier de pouvoir allier ses racines québécoises à sa posture de président de la SNA, il souligne que l’appartenance à cette nation peut devenir une « identité de destin choisi ».

« L’artiste franco-ontarien et l’artiste néo-brunswickois acadien ont beaucoup à jouer en commun parce qu’il a une compréhension beaucoup plus profonde que ce qu’on peut comprendre en regardant la télé, par exemple », précise-t-il.

« L’identité acadienne est très émotive et individuelle. »
— Martin Théberge

Ayant passé la majorité de sa vie à Ottawa et maintenant résidant à Terre-Neuve, Jean-Luc Matte illustre bien la complexité de l’identité acadienne. « Ma mère est demi-Acadienne et demi-Terre-Neuvienne, puis mon père est Québécois. »

Bien que Terre-Neuve ne peut historiquement prétendre à son appartenance à cette région, les nombreux francophones qui y résident et ses petits villages Acadiens l’ont amenée à la fin des années 1990 à rejoindre la SNA ainsi que le territoire officiel de l’Acadie du Canada atlantique.

« Ça me donne de la fierté d’être un francophone ici à Terre-Neuve », note le jeune homme.

Même si Jean-Luc Matte a vécu plus longtemps à Ottawa qu’à Terre-Neuve, il affirme son côté acadien grâce à sa famille. Photo : Gracieuseté de Jean-Luc Matte

De plus, son métier de guide-interprète à Parcs Canada l’a rendu savant quant à l’histoire des peuples acadiens. « Je trouve que l’histoire française de la côte de Terre-Neuve où j’habite, on n’en parle pas beaucoup », s’inquiète-t-il.

C’est pourquoi il compte offrir son savoir aux touristes qui passeront à l’occasion de la Fête du 15 août. « Je suis excité de jouer des chansons acadiennes, parce que je joue aussi de la guitare. Puis moi, ça me donne beaucoup de fierté d’être capable d’offrir ça en français », avance-t-il.

Naît-on Acadien ou le devient-on?

Selon Yvon Godin, la migration interprovinciale a tout pour plaire aux Acadiens. « C’est important et plus facile pour la reconnaissance des acquis, c’est-à-dire que si on a un médecin de l’Ontario qui vient au Nouveau-Brunswick, ça ne prend pas longtemps pour obtenir son permis de pratiquer », explique l’ancien maire.

La SNA a même créé un passeport acadien pourtant dépourvu d’une valeur légale, mais qui constitue une ressource fondamentale pour les Acadiens de naissance comme pour ceux d’adoption. M. Godin raconte l’avoir offert à un ami qui peinait à retracer ses origines acadiennes. « Je pense que c’est le plus beau cadeau que j’ai pu lui faire », se rappelle-t-il.

Le passeport acadien synthétise l’Acadie d’un point de vue historique et contemporain ainsi que ses grands symboles. Photo : Gracieuseté de Martin Théberge

Il n’est pas rare que l’énergie remarquée des Acadiens lorsqu’il s’agit de faire valoir leur présence, comme lors des grands tintamarres, soit convoitée par les autres populations francophones minoritaires. Par ailleurs, la culture franco-ontarienne, émanant traditionnellement de la migration de Québécois vers l’Ontario, à la différence des Acadiens qui représentent une autre colonie française du 16e siècle, force la comparaison identitaire.

Mais Yvon Godin croit que « l’Ontario n’a rien à envier au Nouveau-Brunswick, c’est juste notre forte concentration qui fait qu’on est reconnu comme une province bilingue ».

Véronique Prud’homme s’accorde avec ce dernier en soulignant la lutte de ses confrères ontariens. « Les Acadiens sont très fiers de leur identité et ici on la reconnaît beaucoup plus. Mais dans le Sud de l’Ontario, même à Sudbury, eux aussi font des efforts pas mal importants », remarque-t-elle.

Reconnaissance rime avec financement

La fête nationale est l’un des symboles les plus importants choisis par les Acadiens. Depuis quelques années, la communauté réclame incessamment le financement permanent des festivités, mais le gouvernement fédéral ne semble pas s’engager sur la requête, déplore la SNA.

« Ce qu’on ne sait pas, c’est qu’est-ce qu’il arrivera par la suite? On n’a toujours pas de confirmation. On a fait une mission politique au printemps pour revendiquer une reconnaissance du peuple acadien au Canada, en commençant par un financement permanent », martèle Martin Théberge.

Le sentiment d’appartenance à l’Acadie demeure une variable propre à chacun, toutefois les nombreuses similitudes entre francophones tendent à créer une solidarité naturelle. « Il y en a qui se demandent : est-ce que j’ai été déporté, moi? Est-ce que j’ai vécu le Grand Dérangement et toutes ces choses-là? Mais moi je pense que c’est dans le cœur, c’est dans l’âme », rassure M. Godin.

« Si tu le veux, tu peux revendiquer une identité acadienne sans aucun problème » rejoint M. Théberge.