Orléans, banlieue paisible pour lutte électorale difficile
[ONVote2018]
ORLÉANS – La circonscription d’Orléans n’est pas à un paradoxe près. Tout d’abord, un territoire dynamique, en témoigne son incorporation à la communauté urbaine de la Ville d’Ottawa en 2001, et la circulation toujours plus dense de la route 174. De l’autre, une communauté où fleurissent les quartiers résidentiels, bien souvent non loin de la rivière des Outaouais. Dans ces banlieues aisées, on cultive parfois un sentiment d’indépendance fort vis-à-vis d’Ottawa, et des lieux de pouvoir en général.
SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz
Malgré ses paradoxes, l’endroit maintient une réputation impeccable de circonscription baromètre depuis sa création en 1999. Mieux encore, elle a toujours été de la couleur du parti régnant à Queen’s Park. La même chose au fédéral, où Royal Galipeau a occupé les bureaux de la Place centrale d’Orléans pendant les neuf ans de règne de Stephen Harper, avant de s’incliner en 2015 contre le libéral Andrew Leslie.
Petit changement pour ces élections provinciales : une partie de Nepean-Carleton, au Sud de la 417, va s’ajouter à la circonscription qui, pour cette élection, troque son nom d’Ottawa-Orléans pour Orléans.
De quoi s’inquiéter pour la députée Marie-France Lalonde? Depuis plusieurs semaines, les sondages prédisent un raz-de-marée progressiste-conservateur dans l’Est d’Ottawa. Et une lutte serrée dans le territoire d’Orléans.
« Beaucoup de choses ont été faites », avance la députée sortante. Citant la pléthore d’annonces libérales contenues dans le dernier budget provincial, Mme Lalonde évoque aussi le Carrefour santé d’Orléans. Des plans architecturaux plus précis du futur centre de santé, situé à l’angle des chemins Innes et Mer Bleue, viennent d’être dévoilés. Un argument de plus pour la candidate libérale au moment de cogner aux portes.
« C’est un investissement de 60 millions de dollars au total. Mais imaginez ce qui peut arriver si le chef progressiste-conservateur, Doug Ford, arrive au pouvoir. Il a dit qu’il allait couper pour 6 milliards de dollars, tout en restant flou dans ses coupes. »
Conscients du danger représenté par l’aîné de la « Ford Nation », les libéraux n’ont pas attendu le coup d’envoi de la campagne ce mercredi pour leurs annonces. Il y a deux semaines, le Mouvement d’implication francophone d’Orléans (MIFO) s’est ainsi vu promettre un financement de 4,2 millions de dollars.
Du « matériel » pour Lalonde
« Je pense que le Parti libéral travaille beaucoup sur une réélection de Marie-France Lalonde », estime le politologue de l’Université d’Ottawa, Martin Normand. « Ces annonces sont une manière de lui donner en peu de temps beaucoup de matériel. »
Whip en chef du gouvernement, puis ministre des Affaires francophones et enfin de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels, Marie-France Lalonde, quasi inconnue lors de son arrivée à Queen’s Park en 2014, a gravi depuis tous les échelons.
« Elle est très présente dans la communauté et se prononce beaucoup sur les enjeux locaux. Elle accorde beaucoup d’importance à son travail de députée », analyse M. Normand. « Son adversaire progressiste-conservateur va probablement miser sur les pratiques des libéraux, et a besoin de se faire connaître devant une candidate qui en mène large. »
Et cet adversaire, qui n’est autre que Carmeron Montgomery, le reconnaît. « Marie-France Lalonde est très aimée par les gens d’Orléans. Mais son gros problème est le travail de son équipe. »
Et lorsqu’il cogne à son tour aux portes, M. Montgomery, docteur en psychopédagogie avec une spécialisation sur le stress, se rappelle manifestement ses années de recherche. « On voit que les gens sont très stressés. Que ce soit dans le domaine des taxes et du prix de l’essence qui augmentent. Il y a trois problèmes dont les gens me parlent de plus en plus souvent : la santé, les factures d’hydro et les inégalités. »
Économie et transport au commun pour le candidat Montgomery
L’ancien professeur à l’Université d’Ottawa pendant 17 ans possède déjà une batterie de mesures pour dynamiser Orléans. « Marie-France Lalonde parle du Carrefour santé, mais je le ne lui fais pas confiance pour l’ouverture. La date limite pour son ouverture traîne depuis maintenant dix ans. »
M. Montgomery compte faire du transport public et de l’économie locale ses chevaux de bataille. « Il faudrait sonder les gens sur le besoin d’avoir un élargissement de la route 174. L’élargissement du train léger, c’est bien, mais il faut quand même que les gens puissent demeurer à Orléans, et ainsi viser le développement des entreprises. Le fameux salaire minimum à 15 $ de l’heure et les taxes élevées ne sont pas des bonnes garanties pour développer les entreprises. »
Le 7 juin, sera-t-elle la bonne pour les progressistes-conservateurs? Le sujet du train léger avait brisé leurs espoirs de victoire lors des élections de 2014. En cause : les intentions en pleine campagne du chef progressiste-conservateur, Tim Hudak, de ne pas prolonger l’infrastructure jusqu’à Orléans. Des déclarations qui avaient annihilé les derniers espoirs de victoire du candidat du parti, Andrew Lister. En 2011, ce dernier avait échoué pourtant d’un rien contre Phil McNeely.
« Nous avons contribué à 50 % du financement du train léger », se souvient Mme Lalonde, citant au passage les propos de Tim Hudak. « Et oui, c’est de l’argent officiel. »
Un NPD très en retrait
Dans ce duel électoral annoncé entre libéraux et progressistes-conservateurs, le Nouveau Parti démocratique (NPD) cherche sa place. Avec un score record de 10,58 % en 2011, le parti orange sait ses chances minces. C’est même à la dernière minute, samedi, que sa candidate Barbara Zarboni, a été investie par acclamation.
En entrevue pour #ONfr, cette ancienne conseillère financière fait la promotion de la plate-forme néo-démocrate. Les enjeux d’Orléans ne lui viennent pas si facilement. « Lorsque les libéraux ont privatisé Hydro One, j’ai envoyé un courriel à Mme Lalonde pour lequel je n’ai jamais eu de réponses. Aujourd’hui, en vue des élections, les libéraux se réveillent et font beaucoup d’annonces. »
Petit hic : Barbara Zarboni reste la seule des trois candidats principaux à ne pas parler français. Un cas particulier quand on sait que plus de 30 % la population d’Orléans est francophone. La légende dit même que Samuel de Champlain a vogué sur les flots de l’île Petrie le 3 juin 1613, avant d’atteindre Ottawa.
Importance de l’aspect francophone
« Il faudrait tout de même revitaliser la Loi sur les services en français », avance Mme Zarboni. Cette refonte inachevée reste l’un des points manquants de Marie-France Lalonde à titre de ministre des Affaires francophones. Les deux ans à ce poste de la candidate libérale auront été particulièrement riches : autonomie du ministère des Affaires francophones, création de l’Université de l’Ontario français à Toronto et bilinguisme officiel de la Ville d’Ottawa reconnu par la province.
« Au niveau de la francophonie, le Parti libéral comprend qu’il y a un espace à occuper dans les circonscriptions de la région d’Ottawa », souligne Martin Normand. « Le précédent chef, Patrick Brown, avait beaucoup travaillé à cela. Doug Ford l’a pour le moment moins fait. »
Quand on évoque le rapport du chef progressiste-conservateur à la francophonie, M. Montgomery préfère se montrer rassurant. « Doug Ford est tout à fait au courant des enjeux francophones. Les francophones ne sont pas du tout oubliés. C’est juste une question de temps. »
Longtemps collée aux réalisations des libéraux lors de l’entrevue pour #ONfr, Marie-France Lalonde ne brise enfin la glace qu’après plusieurs minutes lorsqu’il faut parler santé… et Doug Ford. Celle qui a commencé sa carrière à la Société de l’aide à l’enfance d’Ottawa, puis au Centre hospitalier pour enfants de l’Est de l’Ontario et l’Hôpital d’Ottawa y va même d’une note personnelle. « Je fais partie d’une génération qui a connu les coupes en santé sous Mike Harris (premier ministre de l’Ontario de 1995 à 2002). À cette époque, je travaillais aux urgences. On se sentait abandonné, vraiment. On devait parfois dire à des familles qu’on n’avait pas de place. »
Si les sondages sont très pessimistes pour le maintien du Parti libéral au pouvoir, les mêmes coups de sonde prévoient une lutte très serrée entre Mme Lalonde et M. Montgomery. Quelques centaines de voix pourraient déterminer le destin politique de la première véritable « ministre des Affaires francophones » de l’Ontario.
PROFIL DE LA CIRCONSCRIPTION* :
Population : 128 281
Revenu total moyen : 56 087 $ (Moyenne provinciale : 47 915 $)
Proportion de francophones : 33,6 %
Historique de circonscription | Gouvernement | Député | Parti |
Carleton-Gloucester | |||
1999-2003 | Harris (PC) | Brian Coburn | PC |
Ottawa-Orléans | |||
2003-2007 | McGuinty (L) | Phil McNeely | L |
2007-2011 | McGunity (L) | Phil McNeely | L |
2011-2014 | McGuinty (L) | Phil McNeely | L |
2014-2018 | Wynne (L) | M-F Lalonde | L |
Notes : L = Parti libéral, NPD = Nouveau Parti démocratique, et PC = Parti progressiste-conservateur
* Informations obtenues selon le recensement de Statistique Canada en 2016