Ottawa pourrait interdire aux institutions postsecondaires d’imiter La Laurentienne
OTTAWA – Le gouvernement Trudeau pourrait légiférer afin d’interdire aux établissements postsecondaires de recourir à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies comme l’avait fait l’Université Laurentienne.
En mars 2021, l’établissement a créé une onde de choc dans la communauté de Sudbury en se déclarant en faillite et en se plaçant sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Elle est ainsi devenue la première entité publique à recourir à une telle mesure qui aura résulté en la coupure de 70 programmes – 29 en français- et près de 200 pertes d’emplois au sein du personnel de l’université.
Lundi, le ministre François-Philippe Champagne a annoncé que son ministère lancerait durant le mois de mai des consultations auprès d’experts, de prêteurs et d’autres intervenants quant à la façon de mieux « protéger les fonctions d’intérêt public des établissements d’enseignement postsecondaires publics lorsqu’ils deviennent insolvables ». Ce dernier dit avoir été, « comme beaucoup de gens », mal à l’aise avec la décision de l’institution sudburoise.
« Je pense qu’il y a des enseignements à retirer et c’est pour ça qu’on a des consultations », affirme le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie.
Ce n’est pas la première fois que la question revient au Parlement. L’ancien député et actuel maire de Sudbury, Paul Lefebvre, avait déposé un projet de loi qui allait dans ce sens quelques mois avant qu’il ne meure au feuilleton en raison des élections de 2021.
La sénatrice Lucie Moncion a ensuite pris le relais après les élections avec le projet de loi S-215, qui se retrouve présentement en comité sénatorial. Les deux projets de loi visaient à ajouter les établissements d’enseignement publics dans la catégorie des institutions non éligibles à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité comme les banques et les sociétés d’assurances.
Pourquoi, cette fois-ci, ne pas avoir déposé un projet de loi dans ce cas-là? « Il y a un projet de loi au Sénat, mais la première étape, c’est d’entendre et d’apprendre de ce qui s’est passé là-bas. Il faut éviter de répéter certaines des erreurs commises à l’époque et comprendre quelle est la meilleure façon d’assurer la pérennité », répond le ministre Champagne.
Le ministre ajoute qu’il n’écarte pas la possibilité de modifier la loi à l’avenir, mais soutient qu’il veut « d’abord mieux comprendre » ce qu’ont vécu notamment les professeurs et les étudiants affectés à Sudbury avant de prendre une décision.
La députée de Sudbury Vivianne Lapointe ne cache pas qu’elle souhaite que le processus achève en fin de compte avec un projet de loi. « Ceci (les consultations) va aider à faire avancer le projet de loi de la sénatrice Moncion », avance l’élue, qui serait la parraine de ce projet de loi, si jamais il aboutissait à la Chambre des communes.
Un « recours inapproprié »
La vérificatrice générale de l’Ontario, Bonnie Lysyk, avait sévèrement critiqué l’utilisation d’un tel recours par les hauts dirigeants de l’institution du Nord de l’Ontario. Elle écrivait que dès août 2020, l’ancien recteur Robert Haché considérait d’utiliser la LACC pour régler les problèmes financiers et que l’institution « a stratégiquement planifié et choisi de le faire ».
L’ancienne direction affirmait plutôt qu’elle n’avait que deux choix : fermer l’établissement ou recourir à la LACC. Ce processus a permis à l’établissement « de contourner les dispositions de ses conventions collectives, d’éliminer un arriéré de griefs syndicaux de longue date et de fonctionner avec encore moins de transparence », décrit Mme Lysyk.
« On pourrait faire valoir de manière convaincante que la LACC constitue une voie de recours inappropriée, voire dommageable pour les entités publiques », peut-on lire dans le rapport spécial de la vérificatrice générale.
Le député de Nickel Belt dans le Grand Sudbury, Marc Serré, estime que les consultations constituent une bonne idée puisqu’elles permettront à la communauté sudburoise « d’aller de l’avant ».
« L’Université Laurentienne qui a utilisé la LACC, ça a été un cauchemar. C’était leur décision d’aller vers la LACC, mais même encore aujourd’hui, il y a beaucoup de négatifs. Une autre institution qui veut prendre ces démarches-là devra y penser deux fois, car il y a quand même des répercussions à long terme. »
L’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), qui militait auprès d’Ottawa pour un tel changement, a qualifié les consultations de « pas dans la bonne direction ».
« L’enseignement postsecondaire est un bien public qui permet d’éduquer et de former les étudiants, de promouvoir la démocratie et d’effectuer des recherches essentielles. Ces objectifs sont incompatibles avec les objectifs commerciaux de la LACC », a déclaré son directeur général David Robinson.