Parité homme-femme en politique : une utopie ontarienne?
TORONTO – Les femmes représentent 51 % de la population mais seulement 20 % des élues au Canada. En Ontario elles constituent 29 % des conseillers municipaux et 39,5 % des députés provinciaux. Le chemin vers la parité en politique est encore long, tellement long qu’il n’est pas un objectif unanimement affiché. Entre confidences d’élues et initiatives citoyennes pour inverser la tendance, ONFR+ décortique, en cette Journée internationale des droits des femmes, les raisons qui les éloignent de la sphère politique et, quand elles y entrent, les coups bas qu’elles encaissent et qui bien souvent les rendent plus fortes.
Commentaires déplacés sur les réseaux sociaux, courriels d’insultes, piques douteuses d’élus… Les femmes politiques essuient sans cesse des coups bas jusque sur les bancs de l’Assemblée législative de l’Ontario. La députée libérale Amanda Simard, qui subit régulièrement ce genre d’assauts verbaux, décrit « de petites agressions multiples », une confrontation constante » dans « un environnement négatif et toxique » qui rend la profession peu attirante.
« Je vis des journées difficiles mais ce qui me fait tenir c’est de garder en tête que je représente les gens et que je suis là pour faire une différence », poursuit-elle.
Les propos sexistes à l’égard des femmes ne sont pas des actes isolés à Queen’s Park. « Ce sont des commentaires sur ta coupe de cheveux ou tes vêtements, le genre de remarques qu’on n’entend pas pour les hommes », rapporte France Gélinas, députée de Nickel Belt. « Si ce n’est pas tous les jours, c’est toutes les semaines : dans les couloirs, dans les comités et parfois même en chambre quand on se crie dessus d’un bord à l’autre. Ça n’arrête pas. »
« Quand je suis entrée à Queen’s, les gens me demandaient pour qui je travaillais, pensant que j’étais une assistante car j’étais jeune et inconnue », confie Natalia Kusendova. Élue pour la toute première fois en 2018, la députée progressiste-conservatrice de Mississauga-Centre a dû affronter des stéréotypes bien ancrés et, si les temps ont changé, elle dit se retrouver régulièrement dans des comités où elle est la seule femme et doit « faire plus que les hommes » pour faire valoir ses arguments.
Dans un tel climat, difficile de susciter des vocations chez les femmes. Les hommes sont, sans surprise, largement majoritaires à tous les échelons de la politique canadienne : municipal, provincial et fédéral. Dans une année d’élections majeures (provinciales en juin et municipales en octobre), des associations tentent pourtant de convaincre les femmes de se lancer en politique.
« Plus il y aura de femmes et plus les gens se retrouveront dans leurs élus » – Marie-Noëlle Lanthier, présidente de LFPR
C’est le cas de Leadership féminin Prescott-Russell (LFPR), une organisation qui milite pour la parité homme-femme dans les municipalités de l’Est ontarien par le biais de son comité Politique au féminin, elle les informe sur les tâches requises et les prépare à mener une campagne électorale.
« On les encourage à s’investir car on croit que plus il y aura de femmes et plus les gens se retrouveront dans leurs élus », est convaincue sa présidente Marie-Noëlle Lanthier. « Si on veut que les entités gouvernementales prennent des décisions équilibrées qui tiennent compte de toutes les perspectives et de la diversité de la communauté, il faut retrouver ce même équilibre dans la représentation. »
Et d’ajouter : « On aide les femmes dans leur réflexion car ce n’est pas quelque chose à laquelle elles pensent ni même pour laquelle elles ont été approchées. Quand on demande à un homme s’il veut se présenter, il dit tout de suite oui car il est flatté qu’on pense à lui. Quand on approche une femme, elle dit non en général et il faut revenir sept fois pour la convaincre. »
L’idée même de se présenter à une élection est en effet loin d’être naturel dans l’esprit de bien des femmes qui, vont avant tout mesurer les implications que cela engendre au niveau familial et professionnel. C’est ce que constate Mme Gélinas. « Il faut revenir plusieurs fois, car elle mesure les conséquences pour son foyer, son conjoint, ses enfants, son travail. Pour un homme, rien de tout ça n’a d’importance. »
Mentors, vote préférentiel et parlement hybride pour faire bouger les lignes
La députée néo-démocrate, dont le parti est le seul à Queen’s Park à atteindre la parité dans les rangs de ses députés (20 femmes, 20 hommes), estime que la société est prête à accepter la parité, mais les partis politiques en revanche se montrent plus résistants à cette idée. Un changement du système de vote pourrait selon elle contribuer à résorber cette fracture de genre en passant du vote uninominal au vote préférentiel, une piste un temps évoquée par le gouvernement Trudeau.
Mme Kusendova juge toutefois qu’on ne peut pas tout attendre des lois et qu’il faut avant tout placer la meilleure personne au meilleur poste, une logique qui favoriserait souvent le choix d’un homme. Contrairement au Nouveau Parti démocratique (NPD), le Parti progressiste-conservateur, pire élève à Queen’s Park en termes de parité, n’impose pas de quota lié au genre.
« Le parti est ouvert aux candidatures féminines », assure-t-elle mais « ce sont aux femmes de prendre la décision de se lancer en politique. Le problème c’est que le niveau d’exigence de l’opinion publique est beaucoup plus haut envers elles ».
« Si on veut avancer, il faut des modèles. On a besoin de voir des femmes déjà en politique et qui inspirent les autres », affirme l’élue de Mississauga-Centre, prenant en exemple l’ascension de Chrystia Freeland, première femme ministre des Finances au niveau fédéral et citant Mitzie Hunter (ex-ministre libérale de l’Éducation) lorsqu’elle disait If you can see me, you can be me (Si tu peux me voir, tu peux être moi). »
Avoir des mentors, c’est aussi le leitmotiv d’Amanda Simard : « J’ai moi-même suivi des exemples de femmes qui ont persévéré dans l’adversité et cela a été une source d’inspiration. On peut, nous aussi, en inspirer d’autres à leur tour, les voir accéder au parlement et, ensemble, plus nombreuses, influencer la culture politique. C’est une question d’entraide et de réseautage, y compris avec les hommes. Ils ont aussi un très grand rôle à jouer en tant qu’alliés. On a besoin de leur soutien et ils sont de plus en plus conscients de nos défis. »
« On a toutes notre perception de la réalité, qui place des priorités dans un ordre bien différent de celle des hommes » – France Gélinas
Se priver de parité en politique, c’est se mettre des œillères regrette Mme Gélinas : « Ma perception de femme est primordiale car nous je perçois des réalités à travers ma lentille de femme francophone en milieu minoritaire. On a toutes notre perception de la réalité, qui place des priorités dans un ordre bien différent de celle des hommes. »
Elle ajoute que les femmes développent des qualités singulières, notamment au sein des comités législatifs : moins d’ego, moins d’agressivité, plus d’équipe et une volonté réelle d’aboutir à un consensus.
Une femme a des atouts que les hommes n’ont pas ou moins, complète Mme Lanthier : les raisons pour lesquelles elles se lancent en politique. « Elles ne cherchent pas à parler fort, à être flamboyantes, à soigner leur statut, ni à chercher la reconnaissance publique comme le font les hommes. Elles sont avant tout motivées par le changement qu’elles peuvent impulser et cherchent les moyens de le réaliser. »
Leur vie de famille est aussi une préoccupation majeure dans la balance. Mme Simard estime qu’une des voies pour inciter les femmes à faire le saut en politique serait de considérer un modèle hybride de participation parlementaire qui permette de mieux concilier le travail et la vie de famille.
« Avoir l’opportunité de participer aux débats en partie à distance serait un avantage », croit-elle. « On a vu que cela a fonctionné au Parlement fédéral. On pourrait très bien faire la même chose à Toronto. Ce serait plus respectueux de la vie de famille, particulièrement pour les élues les plus éloignées. »
Seul un règlement pourrait acter un tel fonctionnement mais la députée craint que cela ne voie jamais le jour car les grandes décisions, selon elle, sont l’apanage des élus de Toronto et du Grand Toronto, proches du Parlement.