Patrimoine et climat extrême

L’église Saint-Hugues de Sarsfield après le passage dévastateur de la tempête en mai dernier.
L’église Saint-Hugues de Sarsfield après le passage dévastateur de la tempête en mai dernier. Archives ONFR+

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.

[CHRONIQUE]

L’image a fait le tour de la toile et des médias. Rapidement, elle est devenue tristement le symbole malgré elle de toute la force destructrice du derecho du 21 mai dernier qui a fait rage dans plusieurs localités et a privé d’électricité des milliers abonnés. Cette image, c’est celle du clocher arraché et jeté sur le sol du stationnement de l’église Saint-Hugues de Sarsfield, petite localité rurale et francophone au sud-est d’Orléans, dans l’Est d’Ottawa.

Le clocher arraché de l’église franco-ontarienne a suscité beaucoup de réactions émotives sur les réseaux sociaux, signe d’un attachement pour ce bâtiment historique construit en pierre calcaire. Bien que l’église ne jouisse pas encore d’une protection en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario, elle figure depuis de nombreuses années sur le Registre du patrimoine de la Ville d’Ottawa.

Avec son toit et son clocher d’un blanc éclatant distinctifs, visibles depuis des kilomètres à la ronde dans les champs autour, Saint-Hugues de Sarsfield est le véritable monument de la localité. Elle est la plus ancienne église franco-ontarienne et la seule qui date du 19e siècle à l’Est de la rivière Rideau, à Ottawa.

Normalement, le fait que la paroisse soit prospère, ne soit pas menacée d’une fermeture annoncée ou prévisible et qu’elle se trouve dans un milieu majoritairement francophone où continueront de s’établir d’autres familles, aurait dû faire en sorte que l’avenir de l’église Saint-Hugues de Sarsfield ne nous préoccupe pas dans un avenir rapproché. Pourtant, l’image du clocher arraché faisait trop penser aux nombreuses démolitions que les défenseurs du patrimoine sont habitués à déplorer, lorsque qu’un joyau du patrimoine tombe sous le pic des démolisseurs.

C’est que la situation à l’église Saint-Hugues de Sarsfield vient d’apprendre aux défenseurs du patrimoine franco-ontarien qu’une nouvelle menace, peut-être encore plus virulente et inattendue que les traditionnelles menaces de négligence ou de démolition, guette le patrimoine. En effet, le climat extrême s’ajoute désormais aux menaces qui mettent le patrimoine en danger.

Le changement climatique, un danger planétaire

À l’échelle internationale, l’évidence s’est déjà imposée : le changement climatique est désormais aujourd’hui la principale menace au Patrimoine mondial naturel plutôt que les espèces envahissantes comme jadis, selon un rapport publié en 2020 par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), l’organe officiel consultatif sur la nature auprès du Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO.

Globalement, l’UICN indique que c’est un tiers des 252 sites naturels du Patrimoine mondial qui sont menacés par le changement climatique. À cela s’ajoute le patrimoine culturel, qui n’est pas épargné.

Prenant la parole à l’ouverture en 2019 d’une conférence internationale sur les conséquences du changement climatique sur le patrimoine culturel, le président à l’époque de la Grèce, Prokópis Pavlópoulos, mettait déjà en garde : « Malheureusement notre patrimoine culturel n’est pas resté intact, mais a subi les effets néfastes du changement climatique. Les derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat illustrent avec clarté que si nous n’agissons pas dans l’immédiat, les dégâts causés à l’ensemble des Monuments les plus importants du monde peuvent devenir irréparables. »

C’est le changement climatique qui met en péril le plus grand nombre de monuments et sites selon l’organisme sans but lucratif World Monuments Fund qui a dévoilé, en mars dernier, une liste des 25 sites historiques et culturels les plus menacés au monde, dans 24 pays répartis sur six continents.

D’ailleurs, le thème de cette année de la Journée internationale des monuments et des sites (le 18 avril) tel que choisi par le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS) était justement « Patrimoine et climat ».

Au pays, en réaction à la menace que pose le changement climatique pour le patrimoine culturel, Parcs Canada a amorcé des études et des discussions sur les stratégies à adopter pour préserver le patrimoine canadien : « Ces transformations sont préoccupantes pour un grand nombre de lieux patrimoniaux du Canada, en particulier pour ceux qui se trouvent dans les régions nordiques et côtières et qui sont maintenant en péril. Certains lieux patrimoniaux du Canada risquent de plus en plus d’être gravement endommagés ou détruits » écrit l’agence du gouvernement fédéral.

Le patrimoine franco-ontarien n’y échappe pas

Dans l’immédiat, c’est la situation à l’église Saint-Hugues de Sarsfield qui est devenue l’exemple concret du patrimoine franco-ontarien victime de la dégradation du climat. En plus des tempêtes déchaînées qui peuvent déboucher en orages violents, en derecho ou tornades, dans un territoire parsemé de cours d’eau comme l’Ontario, les inondations posent un autre risque au patrimoine au même niveau que les vents destructeurs.

Par exemple, le dernier des chalets qui subsistait de l’époque où l’illustre famille franco-ontarienne Grandmaître était autrefois propriétaire privé de l’île Petrie, à Orléans, a été emporté par l’inondation de 2017 des berges de la rivière des Outaouais.

Plusieurs ont rappelé dans leurs commentaires sur les réseaux sociaux que ce n’était pas la première fois que l’église Saint-Hugues de Sarsfield était amputée d’une partie de sa tour centrale, ce qui n’est pas faux, mais précisons qu’à la différence de 2011 où un incident similaire s’était produit suite à un autre orage violent, ce n’était que la flèche qui s’était effondrée, contrairement à tout le clocher qui a été emporté cette fois-ci par le vent.

Les dégâts sont visiblement plus importants après le derecho de cette année mais il est souhaitable, par respect du patrimoine religieux (bien que peu probable), que le clocher de l’église de 1895 soit rétabli à l’identique, selon les plans des architectes de l’époque, les prolifiques Victor Roy (1837-1902) et Louis-Zéphirin Gauthier (1842-1922). Pour ces messieurs, il s’agit d’une autre de leur église plus que centenaire dans l’Est de l’Ontario qui résiste mal au climat extrême de notre époque.

En 2016, l’église de Saint-Isidore était incendiée après que la foudre se soit abattue à côté d’elle, réduisant en poussière et amas de ruines le bâtiment religieux franco-ontarien datant de 1879. Cet incendie provoqua une autre menace inattendue pour le patrimoine franco-ontarien alors que l’archidiocèse d’Ottawa a voulu profiter de l’occasion pour fermer une église située dans une localité voisine, Saint-Bernard de Fournier, afin de financer la reconstruction à Saint-Isidore.

« Le changement climatique constitue un danger certain pour l’avenir, mais il laisse également planer une grande menace sur notre passé »

Les paroissiens et les défenseurs du patrimoine franco-ontarien ont dû se mobiliser pour sauver de la fermeture Saint-Bernard de Fournier, victime collatérale de la foudre qui a ravagé Saint-Isidore. Ne spéculons pas davantage sur le sort qui sera réservé à l’église Saint-Hugues de Sarsfield de peur de donner des idées à l’archidiocèse ou de provoquer la colère du ciel…

En 2016, suite à l’incendie qui a décimé l’église de Saint-Isidore, je terminais un texte publié dans le quotidien Le Droit avec la phrase suivante : « Avec les changements climatiques, notre patrimoine religieux est-il en sécurité face au climat devenu extrême? » Force est de constater que la question demeure toujours aussi inquiétante aujourd’hui car, au fur et à mesure que le climat se réchauffera, notre fragile patrimoine sera une fois de plus en danger de destruction.

Les lieux historiques et patrimoniaux sont d’une importance cruciale pour comprendre le présent et en apprendre davantage sur le passé, mais l’avenir de ces bâtiments, qui sont souvent demeurés intacts pendant des siècles, semble maintenant plutôt incertain. Le changement climatique constitue un danger certain pour l’avenir, mais il laisse également planer une grande menace sur notre passé.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.