Peter Hominuk, une décennie aux commandes de l’AFO
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
LIMOGES – L’ancien patron de La Clé d’la Baie en Huronie dirige l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) depuis dix ans, jour pour jour. De père ukrainien et de mère canadienne-française, ce natif de Welland revient sur les moments marquants de son mandat mais aussi sur le rapport qu’il entretient avec la langue française depuis son enfance, entre insécurité linguistique et désir de faire avancer, coûte que coûte, la cause franco-ontarienne.
« À quoi ressemblait l’AFO il y a dix ans, lorsque vous en avez pris les rênes?
C’était un organisme très différent de celui que l’on connaît aujourd’hui. L’AFO comptait une équipe de cinq-six personnes et un conseil d’administration de 24 membres, avec un réseau de partenaires bien moins développé.
Quels ont été les moments charnières, selon vous, au cours de cette décennie à la tête de l’organisme porte-parole des Franco-Ontariens?
Il y a eu la refonte de la gouvernance en 2013 qui a consisté à réduire de moitié la taille du conseil d’administration. On a par la suite investi dans des structures de consultation et conçu des tables de concertation provinciales et régionales en 2014. Mais ce que je retiens surtout, c’est notre engagement dans les célébrations du 400e (anniversaire de la présence francophone en Ontario) en 2015 et la Résistance en 2018. Et enfin, notre travail pour obtenir et distribuer des fonds COVID-19 aux organismes en difficulté, ainsi que pour aboutir à la modernisation de la Loi sur les services en français.
Pourquoi le 400e anniversaire de la présence francophone en Ontario vous a-t-il autant touché?
Ces célébrations de la première rencontre entre les chefs Hurons-Wendats et Samuel de Champlain ont été des journées de grande fierté pour moi, car ce sont nos ancêtres qui ont bâti le Canada et qui ont fait ce qu’il est devenu. C’est notre héritage, en tant que Franco-Ontariens. On a beaucoup travaillé à l’AFO pour que cet anniversaire soit réussi et entre dans notre histoire commune.
Comment avez-vous vécu l’onde de choc du Jeudi noir, en 2018, et le mouvement de la Résistance qui s’en est suivi?
Ça été un choc personnel et professionnel, car on était allé chercher l’indépendance du commissaire aux services en français en 2014 (afin qu’il réponde directement à la législature) et l’engagement du gouvernement libéral de créer une université francophone en Ontario (future Université de l’Ontario français, UOF). Et tout à coup, ces deux gros acquis disparaissaient du jour au lendemain. Ce qui était d’abord très difficile est devenu un des points les plus motivants de ma carrière, lorsque j’ai vu la communauté répondre à l’appel à la mobilisation et ces milliers de manifestants dans les rues, deux semaines plus tard. Ça a été un moment stressant et, en même temps, un déclic qui a amené la cohésion de la communauté à un autre niveau.
Comment avez-vous œuvré en coulisse pour obtenir l’acquis le plus récent de la francophonie ontarienne, la modernisation de la Loi sur les services en français (LSF)?
L’AFO a travaillé sur ce dossier pendant cinq ans. On a regardé ce qu’on voulait comme changement dans la Loi en sondant la communauté car, si je suis convaincu d’une chose, c’est bien de l’intelligence du terrain qui est souvent d’une grande richesse. Des gens ont parfois des idées incroyables auxquelles personne d’autre ne pense. On a ensuite dégagé des priorités, mis en place un groupe d’experts, mené des discussions avec le gouvernement et impliqué des avocats de l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario (AJEFO), parce qu’on pensait qu’en proposant quelque chose de complet on avait de meilleures chances que ça passe.
À travers toutes ces péripéties, considérez-vous que l’influence de l’AFO s’est étendue?
À mon avis, oui, si on regarde le nombre de nos membres, notre présence sur les réseaux sociaux et la popularité de nos listes d’envoi. On voit plus de français dans le débat public et les gouvernements nous écoutent plus qu’avant. Les concertations et plans stratégiques communautaires ont aussi donné de la consistance à la voix de l’AFO, qui est celle d’une vision globale partagée de ce vers quoi on veut aller, en tant que communauté.
Comment avez-vous vécu les attaques de racisme systémique à l’encontre l’AFO, ces dernières années, jugée pas assez inclusive et représentative des minorités raciales?
Ça m’a fait de la peine. Quand j’entends des gens dire qu’ils se sentent exclus de la communauté, ça me dérange, après tous les efforts que j’ai entrepris pour bâtir des structures plus inclusives à l’AFO. On aide les personnes à être capables de s’intégrer et faire en sorte que la communauté soit plus forte en réglant cette problématique. Mais il est certain que le sous-financement gouvernemental nuit encore à la mise en place de ces groupes de minorités raciales. Il reste du chemin à faire en Ontario.
Que retenez-vous de votre passage à La Clé d’la Baie en Huronie, organisme francophone du comté de Simcoe, basé à Penetanguishene, dont vous avez été le directeur général durant 11 ans?
Je suis arrivé à la tête d’un organisme relativement neuf, né de la fusion de trois autres structures qui survivaient à peine : le Centre d’activités françaises, l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO) Huronie et la Radio-Huronie. Au départ, on avait six employés. Quand je suis parti, ils étaient plus de 60. Au fil des années, on a ajouté des programmes à la petite enfance et des travailleurs sociaux. Je suis très fier du travail accompli là-bas. Réinstaurer des garderies francophones dans cette région à forte insécurité linguistique a été certainement ma plus grosse satisfaction.
Est-il vrai que vous écriviez les discours du patron de TFO dans vos précédentes fonctions?
Oui, avant d’arriver à Penetanguishene, j’étais agent de planification stratégique et de liaison communautaire à TFO, à Toronto, à une époque où le grand chef était Jacques Bensimon. Mes tâches consistaient à écrire ses discours et à communiquer avec les organismes franco-ontariens. La chaîne était encore dans la structure de TVO. Le TFO d’aujourd’hui a tellement plus de potentiel. Ça montre que lorsque les francophones ont le contrôle de leur propre destin, que ce soit pour les écoles, les universités ou les médias, ils font preuve d’une attitude entrepreneuriale avec les ressources qu’on leur donne.
À quoi ressemblait votre enfance à Welland, votre ville natale?
Mon père est d’origine ukrainienne et ma mère est canadienne-française, de Lamarre. Leurs familles ont quitté l’Ukraine et le Québec au début du XXe siècle pour venir travailler dans la région de Niagara, à l’usine de coton Wabasso, principal employeur des francophones dans les années 1900. Ma mère enseignait dans une école de Welland. J’ai donc toujours été plus proche du côté francophone. On parlait français et anglais à la maison. Je suis né et j’ai grandi dans cette ville qui a une belle communauté avec de la vitalité et des écoles. J’ai commencé à m’impliquer au secondaire dans des organismes en tant que bénévole, notamment à l’ACFO provinciale, au conseil des élèves de mon école et au conseil étudiant.
Est-ce que cette vitalité a changé à Welland?
Les choses n’ont pas changé tant que ça aujourd’hui pour les jeunes. On parlait anglais dans les corridors des écoles et je pense que les choses n’ont pas changé tant que ça. Mon expérience n’est pas si différente que ce que les gens vivent dans le Centre-Sud-Ouest de l’Ontario, très exposés à l’anglais et à l’insécurité linguistique.
Éprouvez-vous cette insécurité linguistique, encore aujourd’hui?
Mon français est 100 fois mieux qu’il l’était quand j’étais jeune car plus tu parles la langue, plus tu l’améliores. Mais l’insécurité linguistique reste toujours avec toi.
Vous êtes père de deux enfants. Est-ce que le français est la langue parlée à la maison?
Oui, les discussions avec les enfants sont en français. Ils sont probablement beaucoup plus francophones que je ne l’étais à leur âge. On vit à Limoges, à quelques minutes d’Ottawa. Pour moi qui ai vécu à Welland, Toronto et Penetanguishene, vivre à Ottawa est moins difficile. Avoir des services en français est plus naturel même si tout cela reste fragile.
Que représente la concrétisation de l’Université de l’Ontario français, à vos yeux?
L’AFO est allé chercher cette université deux fois : une première fois avec le gouvernement Wynne et une deuxième fois avec le gouvernement Ford. C’est un moment unique dans l’histoire de l’AFO et des Franco-Ontariens. C’est un dossier dont on parle depuis les années 1980, à un moment où on réclamait des conseils scolaires de langue française. Ça a été une grande fierté et j’ai hâte de voir comment cette institution va évoluer.
Rêvez-vous d’une province bilingue?
Oui, je rêve d’une province où, quel que soit l’endroit où on vit, on aurait accès aux mêmes services en français. Quand je regarde l’évolution qui s’est produite depuis la première Loi sur les services en français, des années 1980 à aujourd’hui, je comprends que ça va prendre du temps. Ça n’avance pas toujours de la façon qu’on voudrait mais, avec la nouvelle Loi, on va voir quelque chose qui répond plus aux besoins des gens. C’est à chacun d’en prendre l’avantage.
Quels sont vos projets?
À l’AFO, on est en train de mettre en place des services payants pour nos membres en communication, comptabilité et représentation politique. On veut que les organismes se développent et adoptent un état d’esprit entrepreneurial. Ils sont une force économique et il faut capitaliser là-dessus. On travaille aussi sur une plateforme présentant les aspirations franco-ontariennes en vue des élections provinciales de juin prochain.
Attendez-vous avec impatience la modernisation de la Loi sur les langues officielles, promise dans les cent premiers jours au pouvoir du gouvernement fédéral?
Absolument. Ce sera un grand pas en avant pour les francophones du Canada.
Devrait-on reconnaître les langues autochtones comme langues officielles?
C’est aux autochtones de décider ce qui est la bonne formule pour eux, comme les francophones essayent le faire pour eux-mêmes, en prenant leurs propres décisions. Je pense que ce respect qu’on est capable de mettre en place est quelque chose de clé. Je souhaite la même chose aux communautés autochtones qu’à la communauté franco-ontarienne, pour trouver ce qui est le mieux pour elles. »
LES DATES-CLÉS DE PETER HOMINUK :
1968 : Naissance à Welland, dans la région de Niagara
2000 : Nommé directeur général de la Clé d’la Baie en Huronie
2012 : Devient directeur général de l’AFO
2013 : Reçoit l’ordre de la Pléiade
2019 : Devient membre de la Compagnie des cent associés francophones
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.