Pierre Foucher, juriste de l’ombre en droits linguistiques
[LA RENCONTRE D’ONFR]
OTTAWA – Si vous êtes aujourd’hui capable d’envoyer votre enfant dans une école francophone en milieu minoritaire ou dans un des quatre coins de l’Ontario, vous pouvez certainement remercier Pierre Foucher. Juriste et professeur de droit pendant plus de 40 ans, il aura été un travailleur de l’ombre dans les causes ayant impliqué le droit des francophones à avoir des écoles gérées dans leur langue, conseillant les associations de parents ou les avocats qui ont plaidé au cours des années dans ce type de causes. Récemment, une trentaine de collègues du professeur Foucher ont lancé un livre en son honneur, intitulé Droits, langues et communautés et regroupant des écrits sur divers thèmes reliés au droit.
« Vous êtes né à Montréal et y avez fait vos études en droit. Qu’est-ce qui vous a poussé vers le droit linguistique et les minorités francophones?
C’est le dossier scolaire. Quand j’ai décidé d’enseigner, c’était à l’Université Moncton. Là, j’ai pris contact avec l’Acadie puis j’ai vu les problèmes que les gens avaient au niveau de leurs écoles. Ils n’avaient pas d’écoles francophones ou très peu. C’était bilingue et il n’y avait pas de commissions scolaires. Mon premier dossier a été les droits scolaires et, de là, mon intérêt est venu pour les autres domaines des droits linguistiques.
Est-ce que vous envisagiez au départ un avenir dans un tel domaine?
Non. Ni le droit linguistique ni l’enseignement. C’est tout à fait un concours de circonstances. Quand j’étais à la maîtrise à l’Université Queen’s, un professeur est tombé malade et on m’a demandé de donner le cours à sa place. Quand je suis sorti de mon premier cours en salle de classe, ça a été comme Saint-Paul sur le chemin de Damas : une illumination pour me dire : ‘’C’est ça je vais faire’’.
Certains de vos collègues identifient les causes scolaires touchant les francophones comme un de vos principaux legs. Pourquoi?
Après l’adoption de la Charte (canadienne des droits et libertés) en 1982, j’ai eu l’occasion de me promener un peu partout au pays et de rencontrer les groupes de parents, leur expliquer ce qu’ils pouvaient faire, la préparation des causes, etc. Et là, les procès ont commencé. Le premier jugement qui est sorti sur cette question a été en 1984 à la Cour d’appel de l’Ontario qui a commencé à débroussailler un peu le sujet. Puis, il y a eu d’autres causes qui ont commencé en Alberta, au Manitoba, en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et partout au Canada. La première qui est montée en Cour suprême, ça a été la cause Mahé (en Alberta). J’ai « trempé » indirectement dans nombre de ces dossiers-là. Je ne les ai pas plaidés, mais j’étais un conseiller ou une sorte de consultant pour les avocats qui plaidaient.
Vous étiez une sorte de travailleur de l’ombre mais, au bout du compte, qui a eu un impact sur les écoles francophones qui existent au pays aujourd’hui?
J’écrivais beaucoup à l’époque sur ces questions-là et les avocats (qui plaidaient pour les causes scolaires) lisaient ce que je faisais et mettaient ça dans leurs dossiers et ensuite les tribunaux s’en servaient et mentionnaient ce que j’avais écrit.
Parlez-nous de l’impact de la cause Mahé qui est allée en Cour suprême, un dossier dans lequel vous avez été impliqué indirectement, et qui a donné le droit de gestion des écoles aux francophones?
Ça a été énorme. Sans Mahé, tout le reste n’aurait pas déboulé. Vous savez, la jurisprudence est comme un édifice auquel on ajoute des briques. Si tes premières briques sont solidement posées, alors tu es capable de continuer à monter ton édifice.
À vous entendre, vous êtes quasiment une encyclopédie juridique?
Ah! Bien, après 40 ans, on finit par s’en rappeler (Rires)! (…) Mais aujourd’hui, je suis à la retraite et je crois qu’il faut laisser la place aux jeunes. C’est à leur tour.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le droit linguistique?
On est rendu dans une nouvelle phase. Au début, il fallait débroussailler le terrain. Je me souviens des premiers chapitres que j’ai écrits sur les droits linguistiques – à la demande de Michel Bastarache dans son livre -, il n’y avait rien! C’est la première fois qu’on avait des droits linguistiques au Canada alors il fallait se creuser les méninges et avoir de l’imagination pour créer quelque chose de cohérent. Aujourd’hui, c’est réglé avec les règles d’interprétation. Maintenant, c’est plus une question d’exécution des obligations dans la Charte.
Quand vous regardez vos 40 ans de carrière dans le rétroviseur, que retenez-vous?
Ça a été très le fun! C’est certain que les droits linguistiques, ça a été quelque chose. Les deux highlights de ma carrière resteront l’Accord du lac Meech (projet avorté de réforme constitutionnelle négocié en 1987) et le renvoi sur la sécession du Québec. Le jugement. Meech, car j’ai été beaucoup sollicité par les associations de francophones hors Québec pendant trois années pour les aider et je me suis investi corps et âme là-dedans. Et ensuite, le renvoi, j’ai eu la chance d’être analyste sur RDI. Toutes les deux heures, on était en ondes, un de mes très beaux souvenirs de ma carrière professionnelle même si ce n’était pas de l’enseignement.
Quelle a été votre réaction quand vous avez su qu’il y aurait un livre en votre honneur?
Ça m’a fait plaisir. Premièrement, car j’ai pris ma retraite au début de la pandémie et il n’y avait rien eu, pas vraiment de célébration. Deuxièmement, c’est un hommage auquel je ne m’attendais pas. J’ai été surpris, flatté et honoré… J’ai écrit une centaine d’articles. J’ai travaillé fort mais, comme quelqu’un l’a dit dans la préface, tu fais ton travail et tu n’y penses pas. Près de 40 ans plus tard, tu regardes en arrière et tu te dis ‘’OK ouin, j’ai fait ça’’. »
LES DATES-CLÉS DE PIERRE FOUCHER :
1956 : Naissance à Montréal
1980 : Devient professeur de Droit à l’Université de Moncton
2008 : Devient professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa.
2016 : Reçoit l’Ordre de la Pléiade de l’Assemblée législative de l’Ontario.
2017 : Reçoit l’Ordre des francophones d’Amérique en 2017.
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.