Polémique sur le français de Peter MacKay
OTTAWA – Le niveau de français de Peter MacKay fait débat. Candidat à la direction du Parti conservateur du Canada (PCC), ce dernier promet de s’améliorer, mais cet engagement suscite des doutes.
« J’ai sera candidate à la chefferie du Parti conservateur », a lancé l’ancien ministre de la Défense et des Affaires étrangères sous le gouvernement de Stephen Harper en annonçant officiellement sa candidate à la direction du PCC, samedi, au Musée de l’industrie de Stellarton, en Nouvelle-Écosse.
Dans son discours d’une vingtaine de minutes, et malgré deux télésouffleurs, ses difficultés à s’exprimer dans la langue de Molière ne sont pas passées inaperçues.
L’ancien porte-parole aux langues officielles du PCC et ex-député de Beauport-Limoilou, Alupa Clarke, qui sera de nouveau candidat aux prochaines élections, n’a pas encore décidé qui il appuiera à la direction du parti. Mais il se prononce fermement.
« Il est impératif que le futur chef soit bilingue, n’ait aucune hésitation et qu’il puisse en faire la preuve pendant la campagne à la direction », dit-il, tout en se montrant ouvert à un candidat qui s’engagerait à améliorer son français, à condition qu’il en fasse la preuve concrètement.
« C’est une question de respect pour tous les Canadiens français dans un pays bilingue où nous avons deux langues officielles! »
Ancienne députée conservatrice de Beauport-Côte-de-Beaupré-Île d’Orléans-Charlevoix, Sylvie Boucher a côtoyé M. MacKay à Ottawa. Elle milite pour que le prochain chef du PCC parle les deux langues officielles, mais se montre indulgente envers ce dernier.
« Je me souviens que quand il était ministre, à chaque fois qu’il prenait la parole en français à la Chambre des communes, le Bloc québécois riait de M. MacKay. Comment voulez-vous qu’il apprenne dans ces conditions-là? Comme francophone, on veut que le prochain chef ait cette sensibilité-là, qu’il soit capable de comprendre et de parler le mieux possible. Mais le français ne s’apprend pas aussi facilement que l’anglais », dit-elle, confiante en la capacité de M. MacKay de suivre des cours de français.
Des exemples de progrès
Plusieurs exemples, comme celui de l’ancien vérificateur général du Canada Michael Ferguson, montrent que la tâche n’est pas impossible.
« C’est sûr qu’il va devoir mettre les bouchées doubles, car aujourd’hui, le standard quant au niveau de bilinguisme semble plus haut », estime le codirecteur de l’Observatoire national en matière de droits linguistiques, Frédéric Bérard, qui juge « méprisant » le ton moqueur de certains commentaires.
« Il faut souvenir que le français de Stephen Harper, au départ, était presque catastrophique et qu’il a fait des progrès remarquables, débutant tous ses discours en français. »
La politologue au Collège militaire royale du Canada, Stéphanie Chouinard, se montre dubitative.
« C’est trop peu, trop tard! Il a été chef de parti, député fédéral pendant 18 ans, ministre… Il avait toutes les ressources à Ottawa pour apprendre le français et il ne l’a pas fait. Cela semble démontrer que pour lui, c’est un enjeu de seconde zone. »
La question du français, un enjeu?
À l’heure actuelle, M. MacKay semble être le favori de cette course à laquelle se présentent les députés ontariens Marilyn Gladu et Erin O’Toole et le Québécois Richard Décari. D’autres noms pourraient s’ajouter d’ici au 27 février.
La question du bilinguisme sera-t-elle décisive dans la campagne?
« Même si certains vont soulever la question, je ne pense pas », prédit le professeur de sciences politiques à l’Université de l’Alberta, Frédéric Boily. « Les conservateurs sont surtout pressés de se choisir un chef. »
En réflexion quant à une éventuelle candidature, l’élue conservatrice de Calgary Nose Hill, Michelle Rempel Garner, a estimé, vendredi, que la langue française prend trop de place dans la course à la direction de son parti.
« Ça m’a fâché de lire ça », dénonce Mme Boucher qui invite l’élue albertaine, qui possède des origines franco-manitobaines par son père, à apprendre le français.
Un avis que partage M. Clarke.
« C’est navrant d’entendre ça et ça nuit à nos chances! »
Gagner sans le français
Car c’est également ce qui se dessine en filigrane derrière la polémique sur le français de M. MacKay et sa place au sein du parti : les chances de battre M. Trudeau aux prochaines élections.
« Le français d’Elizabeth May, malgré sa bonne volonté, l’a pénalisé au Québec », pense M. Bérard.
Et celui de M. Scheer, hésitant lors des débats, a aussi eu un impact, pense M. Clarke.
« Son manque d’aisance en français l’a empêché de se sortir de questions difficiles, comme sur la question de l’avortement. Il n’a pas été capable de contre-attaquer. »
Un avis que ne partage pas Mme Boucher : « Ce qui a dérangé, ce n’est pas son français, mais le fait qu’il ne réponde pas à ces questions. »
La situation actuelle au sein du PCC pourrait relancer les critiques de ses adversaires contre le manque supposé de sensibilité du parti à la francophonie et aux deux langues officielles, malgré une plateforme électorale très ambitieuse en 2019.
« Le Parti conservateur aurait dû se préparer et la question du bilinguisme du chef devrait être réglée. Mais peut-être que l’aliénation de l’Ouest encourage certains à remettre en cause le bilinguisme. Peut-être que leur calcul est qu’ils n’ont pas besoin du Québec pour gagner, et qu’il vaut mieux se concentrer sur l’Ontario et l’Ouest du pays », s’interroge M. Boily.
Tourner le dos au français comporte son lot de risques, selon Mme Chouinard.
« Le Québec compte 78 sièges et il y a plusieurs circonscriptions ailleurs où les francophones ont la balance du pouvoir », rappelle-t-elle.
M. Bérard ne veut pas tirer de conclusions trop hâtives.
« Je ne suis pas sûr que Mme Rempell soit représentative de son parti et de manière générale, dans les hautes sphères du parti, je pense qu’ils savent qu’il leur faut un chef bilingue s’ils veulent gagner, non seulement pour séduire le Québec et les francophones, mais aussi parce que c’est très important pour beaucoup d’anglophones qui considèrent le français comme une langue officielle et un fondement du Canada. »
Les militants conservateurs éliront leur nouveau chef le 27 juin, à Toronto.