Quatre éclosions à l’Hôpital Montfort : des masques mis en cause
OTTAWA – Tension maximale à l’Hôpital Montfort : pas moins de quatre éclosions de COVID-19 se sont déclarées en une semaine et sévissent sur trois étages. Des membres du personnel au contact de patients contaminés sous respirateur Airvo allèguent avoir été équipés de masques non conformes, durant les jours qui ont précédé la vague d’éclosions. Dans un communiqué, la direction affirme suivre les protocoles de surveillance et de dépistage.
La première éclosion, déclarée le 21 avril au niveau 6C (une aile de médecine spécialisée dans le traitement des patients COVID-19) et toujours non maîtrisée, touche cinq patients et deux membres du personnel. La deuxième est intervenue quatre jours plus tard, le 26 avril au 4CR (étage de réadaptions court terme). Deux autres ont été signalées au troisième (3C) et au quatrième niveaux (4A), le 27 avril.
Dans une lettre de la direction aux employés qu’a pu se procurer ONFR+, la direction identifie la dernière éclosion en date dans le secteur 4A (et non 4C comme communiqué initialement) et a demandé au personnel des 3e et 4e niveaux de se faire dépister, hier. Une lettre antérieure sollicitait la même démarche pour le personnel du 6e niveau.
« C’est la panique à tous les étages : aucun patient ne peut sortir de sa chambre, ni aucun visiteur ne peut entrer », révèle sous couvert d’anonymat une membre du personnel de l’hôpital. « On commence à paniquer parce que notre stock de masques N95 diminue. »
« Ils ont recommandé les mauvais masques », affirme une source interne
Selon cette même source, cette série d’éclosions ne serait pas étrangère à un port de masque non conforme au cours de la semaine précédente. Le personnel au contact de patients sous respirateur Airvo était alors équipé de masques chirurgicaux et non de N95. Une situation qui aurait été corrigée en milieu de semaine dernière, lorsque les premiers cas positifs de COVID-19 sont apparus.
« Il y a eu un gros fuck up la semaine passée : ils ont recommandé les mauvais masques avec des patients COVID-19 sous ventilation Airvo (…) et l’hôpital est la cause de plusieurs staffs infectés », confie la lanceuse d’alerte. « Plusieurs patients l’ont attrapé à cause de ça aussi… mais ils ne le diront pas aux familles. »
« Plusieurs employés ont demandé s’il fallait porter ces masques et ils se sont fait dire que ce n’était pas nécessaire. » – employée anonyme
Les experts recommandent en effet l’usage du masque N95 auprès des patients jeunes placés sous Airvo car cet appareil, qui supplémente et humidifie l’air chez les patients en détresse respiratoire, crée des particules de COVID-19 « airborne ». Le personnel n’est donc plus confronté à des gouttelettes contaminées qui retombent au sol rapidement mais à des particules en suspension, contre lesquelles seuls les N95 démontrent leur efficacité.
« Le personnel n’a pas porté ces masques et les chambres avec Airvo étaient grandes ouvertes car on a trop de patients alors qu’il est recommandé dans beaucoup de travaux scientifiques de fermer ces chambres et de porter des N95 », allègue l’employée. « Plusieurs employés ont demandé s’il fallait porter ces masques et ils se sont fait dire (par la direction) que ce n’était pas nécessaire. »
Pourtant des millions de masques N95 dormiraient dans des entrepôts de la province, selon le Syndicat canadien de la Fonction publique (CUPE/SCFP) qui explique difficilement comment l’hôpital ait pu se retrouver à court de stock et ne pas fournir de tels masques à son personnel exposé. Jointe par ONFR+, la porte-parole du syndicat rappelle que « tout employé en contact d’un cas ou d’un cas présumé de COVID-19 peut demander à son hôpital un masque N95 et doit le recevoir ».
La crainte de congés de maladies non payés
La lanceuse d’alerte qui a eu le courage de témoigner décrit un envers du décor peu reluisant dans les couloirs de Montfort, propice à accélérer la contamination : « Il manque continuellement du personnel à chaque étage, dans les shifts de jour comme de nuit. Quand une infirmière ou une préposée tombe malade, on n’arrive pas à la remplacer car les employés affectés à un étage ne peuvent pas en changer. »
Pire : la tentation pour une infirmière ou une préposée malade serait de venir tout de même au travail de peur de perdre une partie de sa paye. « C’est difficile de prouver que tu as contracté le virus à l’ouvrage parce que tu n’avais pas les bonnes pratiques. Ce n’est pas l’hôpital qui va payer le congé de maladie. Et il peut arriver que ce congé de COVID-19 (que tu as attrapé à l’hôpital à cause d’un mauvais équipement) dépasse le nombre de jours auxquels tu as droit et que tu te retrouve sans solde. Sans compter toutes les infirmières qui, parce qu’elles ne sont pas à temps plein, n’ont pas de congés de maladie payés. »
Au-delà des répercussions sur le personnel, elle craint que « ces mauvaises pratiques » aient de graves conséquences sur les patients qui, cloitrés dans leur chambre et privés de visite, courent des risques de perte de mobilité qui, pour certains, pourraient s’avérer irréversibles.
Ni Santé publique Ottawa, ni le Groupe de prévention des infections à l’hôpital, ni la direction n’ont encore répondu aux questions d’ONFR+ au moment d’écrire ces lignes. Dans son dernier communiqué, en date du 27 avril, le service de communication indique veiller à ce que tout membre de son personnel présentant des symptômes se fasse dépister et se place immédiatement en auto-isolement. « Nous surveillons aussi tous nos patients afin de détecter les symptômes de la COVID-19. Un patient qui démontre des symptômes est immédiatement placé en isolement et soumis à un test de dépistage », assure par voie de communiqué le service des communications de l’hôpital universitaire francophone de l’Ontario.
Toute personne qui aurait été en contact non-protégé avec une personne qui a par la suite reçu un diagnostic positif de COVID-19 est contactée, soit par l’Hôpital Montfort ou par Santé publique Ottawa, précise la missive, ajoutant qu’aucun visiteur n’est permis dans un secteur en éclosion.
Au cours de l’année précédente, sept autres éclosions se sont produites au sein de l’hôpital ottavien en avril, septembre, octobre et novembre 2020, selon les données de Santé publique Ottawa.
On compte 18 éclosions de COVID-19 en cours dans l’ensemble des établissements de soins de santé, contre 8 dans les services de garde et 16 dans la communauté. La région de la Capitale nationale a franchi la barre des 500 décès et son nombre total de cas depuis le début de la pandémie se rapproche de jour en jour des 24 000.
Cet article a été actualisé le jeudi 29 avril 2021, à 13h15.