Rachid Hachi ou l’exil du Commandant
Ancien officier des forces armées de Djibouti, dans la Corne de l’Afrique, Rachid Hachi n’a eu d’autre choix que de s’exiler loin de chez lui et des siens, et ce en empruntant le moins certain des chemins, celui de la clandestinité. La cause? Une histoire fictive! Portrait d’une destinée à la Yasmina Khadra*, le nom d’emprunt en moins.
« Ce n’est pas toujours la plume, mais souvent le fusil qui rédige la loi. » Si on devait résumer la vie antérieure de Rachid Hachi en une phrase, ce serait ce proverbe hongrois qui s’y appliquerait à merveille, à la différence près que ce Djiboutien possédait les deux!
Installé au Canada depuis 2018, puis à Ottawa depuis 2021, ce quarantenaire, ancien militaire est également un romancier, et plutôt bon romancier, puisqu’il a été nommé meilleur écrivain de Djibouti en 2016.
« Je suis né en 1977 à Djibouti. J’ai fait l’école primaire, secondaire et le lycée là-bas, puis mes études universitaires en psychologie, en France. Après, j’ai embrassé un parcours atypique en m’engageant dans l’armée de mon pays. J’y est passé 15 ans durant lesquels j’ai gravi les échelons jusqu’au grade de commandant en charge du service des transmissions », se souvient-il.
Et d’ajouter : « Parallèlement, et contrairement à l’écrivain Yasmina Khadra*, j’ai publié des romans sous mon vrai nom. Le premier, L’enfant de Balbala, est paru en 2006 aux éditions l’Harmattan. D’autres romans, des policiers notamment, ont suivi. Mais, malheureusement, en 2018, tout s’est arrêté brusquement. »
Jeté en prison pour avoir écrit une fiction!
À vrai écrire, M. Hachi n’a pas immigré au Canada, il a fui Djibouti. Et pour cause, l’écrivain en treillis a été arrêté, démis de son grade et de ses fonctions au sein de l’armée pour être jeté en prison pendant une dizaine de jours.
Les charges retenues contre lui? Avoir écrit une histoire fictive. Or, si la trame du livre intitulé Les Al Capone du lait était imaginaire et en phase de finalisation, elle s’inspirait néanmoins de la réalité, et c’est bien là où le bât blessait, car le régime djiboutien a vu dans ce roman, non encore publié, un pamphlet politique et non une fiction. Il a fallu quelques extraits qui avaient fuité dans les réseaux sociaux pour que l’écrivain prolifique se retrouve dans la case prison.
« Le gouvernement actuel, qui est une dictature, a instauré un embargo sur le lait parce que le fils du président avait construit une usine à lait que les citoyens ne voulaient pas acheter parce qu’il était de mauvaise qualité. Donc, pour contrer cela, le gouvernement n’a pas trouvé mieux que d’interdire l’importation de toute sorte de lait étranger afin d’obliger les gens à acheter le lait du fils du président. Je me suis inspiré de cela dans mon roman », raconte-t-il.
Puis, les choses se sont accélérées. Un procès bancal à l’issue duquel il est remis en liberté sans jugement final faute d’éléments dans le dossier, car une fiction n’est pas condamnable aux yeux de toute loi œuvrant avec bon sens.
« La question que le juge m’a posée était pourquoi j’ai choisi de parler du lait précisément. Je lui ai répondu : qu’est-ce que cela aurait changé si j’avais parlé de tomates. C’était un procès qui s’apparentait à une farce. Ils m’avaient libéré provisoirement sans verdict, mais je savais qu’ils n’allaient pas me lâcher. J’ai décidé donc de m’exiler », se rappelle-t-il, l’émotion à peine perceptible dans le timbre de sa voix.
Le parcours du combattant
Alors, ce fut le début du parcours du combattant. L’ambassade canadienne étant inexistante à Djibouti, le futur réfugié a d’abord obtenu un visa américain sur place, avant de passer par les États-Unis pour, enfin, entrer clandestinement au Canada où il a obtenu le statut de réfugié.
Le parcours du combattant ne s’arrête pas là pour autant : « Ce qui est difficile, c’est l’intégration dans une nouvelle culture. Cela change tout. Par exemple, les diplômes en psychologie que j’ai obtenus en France ne sont pas valides ici. Il faut faire une évaluation comparative qui est, parfois, revue à la baisse. Sans oublier qu’il faut avoir une expérience canadienne approuvée », déplore-t-il.
Et d’insister : « Cette situation laisse chez les nouveaux arrivants qui la vivent une impression d’être de la chair à canon, car, bien souvent, ils font des boulots qui ne correspondent pas à leurs qualifications, leur formation et/ou leur expérience professionnelle accumulées dans leur pays d’origine. Moi, par exemple, je ne vis ni de ma plume ni de ma formation académique aujourd’hui. »
L’autre obstacle qui se dresse devant ce travailleur chez Bell est son statut de réfugié, car, pandémie oblige, il attend toujours sa résidence permanente, alors que cela fait quatre ans qu’il est sur le territoire canadien, ce qui, inexorablement, ferme bien des portes au niveau de l’emploi pour ne citer que ce secteur.
La patience, mère de toutes les vertus
Cependant, M. Hachi en a bien vu d’autres et sait à ce titre que la patience est une alliée fiable.
« Il faut s’armer de patience parce que le chemin est difficile. J’ai des amis qui n’ont pas eu de problèmes dans leur pays, mais qui veulent venir ici, parce qu’ils pensent que l’herbe y est plus verte. Je leur explique le parcours du combattant qui les attend, et, s’ils veulent quand même tenter l’aventure, je les préviens qu’il faut sacrifier au moins cinq ans de sa vie pour y parvenir. Donc patience, patience », conseille-t-il aux nouveaux arrivants.
Du reste, le romancier continue d’écrire toutes les voix de son cœur depuis sa terre d’accueil. Et, comme un souffle d’indépendance et de liberté, il y a créé sa propre maison d’édition, les Éditions Khamsin, en référence à ce vent chaud venu du désert qui soufflait, jadis, sur sa terre natale.
*Pseudonyme utilisé par l’écrivain et ex-officier algérien Mohammed Moulessehoul pour des raisons de censure militaire.
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