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Racisme anti-noirs dans les écoles canadiennes : une urgence en mal de solutions

En démontrant que plus de 40% des étudiants l'ont vécu, cette étude annule l'hypothèse que le racisme survient dans des cas isolés. Photo : Getty Images

À l’Université d’Ottawa, une toute nouvelle étude visant à quantifier les incidents de racisme afin d’en démontrer leur étendue révèle les liens entre le racisme et la santé mentale de la jeunesse noire, dans un système d’éducation où les pédagogues et le personnel baignent dans un climat permissif. Pour la Semaine de la santé mentale, la nécessité d’une réforme demeure pressante, pour aujourd’hui comme pour demain.

C’est à travers une approche quantitative que le professeur et chercheur Jude Mary Cénat a trouvé que plus de 40 % des étudiants noirs rapportent avoir vécu un incident de racisme à l’école. Il établit d’ailleurs la corrélation directe entre les troubles de stress post-traumatique (TSPT), d’anxiété et de dépression avec ces incidents.

Quand racisme et traumatisme ne font qu’un

Cette étude succède à d’anciennes recherches plus qualitatives sur lesquelles le professeur s’était déjà penché. « La discrimination raciale explique mieux les symptômes du TSPT que d’autres évènements traumatiques, pourtant l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ne l’a toujours pas intégré comme un facteur », déplore le directeur du Centre Interdisciplinaire pour la santé des Noir.e.s de l’Université d’Ottawa.

Ce dernier explique que, comparativement à un évènement traumatique à part entière, le racisme, plus incisif, vient dévaloriser autrui sur la base d’attributs dont il ne peut se départir, ainsi que sur sa propre existence, telle une contestation à sa capacité de continuer à vivre dans cette société.

Jude Mary Cénat a piloté la première étude qui montre que le racisme a des effets négatifs concrets sur la santé mentale des étudiants noirs. Photo : Gracieuseté : Jude Mary Cénat

La professeure agrégée à l’Université de York, Agnès Berthelot-Raffard, a travaillé sur le sujet pendant 5 ans. Selon elle, les étudiants racialisés sont inégalement plus exposés aux troubles de santé mentale.

« Quand la société ne vous laisse pas le choix de travailler deux fois plus fort, ça crée un stress qui leur donne plus de risques de tomber dans une maladie mentale grave », affirme la philosophe politique.

Le choc des victimes de racisme tend à se traduire par une hypervigilance et des comportements d’évitement, ce qui réduit leur capacité à faire face et à résoudre ces adversités. « Quand vous avez entre 15 et 24 ans, vous avez moins de ressources pour pouvoir faire face à ça. » regrette Jude Mary Cénat.

La recherche démontre la corrélation entre les problèmes de santé mentale intériorisés et la discrimination raciale dans l’éducation. Source : Springer Publishing

Déconstruire les biais du corps enseignant

En Ontario, de la maternelle à la 12e année, la proportion de directeurs d’école noirs représente seulement 2%. Qu’elles soient implicites ou explicites, les idées reçues avec lesquelles certains professeurs entrent en poste peuvent les amener à moins encourager leurs étudiants noirs.

« Si vous n’avez jamais eu un enseignant ou un prof racialisé, c’est normal que vous interprétiez que ces personnes-là doivent être un peu moins intelligentes que les autres », signale Agnès Berthelot-Raffard.

Ces fausses interprétations systématiques affectent leur rendement scolaire, dans la mesure où ces étudiants sont orientés vers des débouchés moins valorisants. Supposer qu’un garçon noir ne va pas être compétent en mathématiques, mais plutôt dans des disciplines plus sportives constitue l’exemple de ces biais implicites.

Elle explique également qu’au sein des classes, la tendance d’invisibiliser ces étudiants découle directement de ces biais. « Ça va être un phénomène de whitesplaining qui va faire qu’on va dire à un enfant blanc ‘c’est super ce que tu viens de dire là’, alors qu’il vient juste de répéter ce que l’enfant noir vient de dire », explique-t-elle.

Selon Agnès Berthelot-Raffard, lorsqu’il lui a été demandé de prendre en charge des étudiants noirs, le manque d’outillage et la bonne volonté du corps enseignant global s’est traduit ouvertement. Photo : Gracieuseté Agnès Berthelot-Raffard

Par ailleurs, la manière dont l’histoire est enseignée dans les classes a de plus en plus d’implications quant à la lutte contre le racisme systémique.

Au sein du campus de l’Université de l’Ontario français (UOF) à Toronto, le président de l’association étudiante de l’université Espoir Masiala, est désireux de voir l’histoire être enseignée sous un nouveau jour.

« Des fois, j’aimerais qu’on parle de l’Afrique ou de la communauté africaine au Canada et comment elle a évolué. Même si on sait qu’on est sous développement au pays, il ne s’agit pas de rester concentré sur cet aspect de critique. Ça nous touche des fois, mais on ne le dit pas », confie l’étudiant de 2ème année en économie.

Comme président d’association étudiante à l’UOF, Espoir Masiala (en bleu à gauche) apporte des conseils et des activités d’unification entre les étudiants. Photo : Gracieuseté : Espoir Masiala

Éviter la mise aux oubliettes

Avec l’impératif de sensibilisation, mais surtout de solutions qui devient central au système éducatif, la Commission des droits de la personne (CODP) a déployé, fin mars, un plan d’action qui totalise une vingtaine de mesures censées contrer ces enjeux qui font la réalité des étudiants noirs dans les écoles publiques ontariennes.

Toutefois, les lacunes fréquentes notamment sur l’aspect coercitif de ce genre de mesures, font consensus au sein des chercheurs. « On a besoin d’un plan au niveau ministériel, c’est-à-dire que les ministères puissent exiger des réformes dans les écoles et universités et non pas des bouts de formation en coin de table », avertit Jude Mary Cénat, qui souligne que la tâche revient au ministère de l’éducation.

Dans une réponse de la CODP par courriel, elle affirme que « La CODP publiera un plan de surveillance et d’évaluation afin d’assurer un suivi sur le travail effectué pour mettre en œuvre les actions du Plan d’Action », sans préciser de calendrier. Néanmoins, elle ajoute que des consultations auprès du grand public seront de vigueur.

Un autre consensus se partage autour du manque de formation initiale que les professeurs reçoivent dans leur parcours académique. Cependant, la présidente de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO), Gabrielle Lemieux, souligne qu’il s’agit bien d’un travail collectif.

« Ça ne repose pas uniquement sur les écoles des enseignants. C’est un problème profondément ancré dans les structures, les politiques, les pratiques institutionnelles, donc ça va prendre un mouvement où chacun reconnaît son rôle à jouer », soutient la présidente.

Elle affirme également que la grande diversité du système francophone nécessite encore plus d’une attention particulière, afin de s’assurer que les mesures en cours pour reconnaître le racisme systémique en sont adéquates.

Le racisme est la lutte de chacun

Un système scolaire où des jeunes ressortent victimes de racisme au lieu d’en sortir avec plein potentiel montre des failles qui nuisent au développement d’une société autant socialement qu’économiquement.

« Aujourd’hui, on peut devenir enseignant sans avoir suivi un cours ni sur la culture, ni sur les enjeux racistes au Canada. C’est totalement inacceptable. », martèle Jude Mary Cénat.

D’après le chercheur, les volets ou programmes de soutien spécifiquement faits pour les noirs ne constituent pas tellement des moyens de lutte. En effet, c’est l’intégration plutôt que la catégorisation qui peut œuvrer comme un moyen puissant contre le racisme.

« Tout le monde peut avoir ce niveau de conscience, d’action, de remise en question et de déconstruction », conclu Agnès Berthelot-Raffard.