Rappel des ex-enseignants : seulement trois francophones acceptent l’offre
TORONTO – Sur 132 000 anciens professionnels priés de revenir en classe, seuls 45 ont accepté de reprendre du service, dont trois francophones, a appris ONFR+ auprès de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (OEEO), à l’origine de cette initiative destinée à lutter contre la pénurie dans la profession. Si l’opération s’apparente à un fiasco, d’autres ralliements pourraient se concrétiser dans les jours à venir. Près de 600 enseignants ont manifesté leur intérêt, sans pour autant franchir le pas.
Le courrier envoyé en septembre s’adressait aux membres en règle qui n’ont pas de tâches d’enseignement, aux membres suspendus pour non-paiement de cotisation, aux nouveaux diplômés et, surtout, aux retraités qui représentent le plus gros contingent sollicité.
Près d’un mois plus tard, le bilan est maigre. « Depuis notre envoi, plus de 600 personnes ont rejoint l’OEEO avec des questions sur la façon de redevenir membre en règle. Jusqu’à maintenant, 45 sont redevenues membre en règle, dont trois francophones, et nous continuons à recevoir des questions en ce sens », indique Gabrielle Barkany, agente de communications principale de l’organisation.
Il faut dire que le procédé, en pleine pandémie, a de quoi surprendre, à l’heure où les messages de santé publique martèlent que les aînés sont la population la plus à risque et alors que la province connaît une augmentation de cas en milieu scolaire, estimés à près d’un millier, selon les derniers chiffres de la Santé publique de l’Ontario.
« Nous vous encourageons fortement à saisir ces nouvelles possibilités d’emploi au sein de votre conseil scolaire local ou d’une école privée », écrivait l’Ordre dans sa lettre pour inciter quelque 132 000 enseignants non actifs à reprendre le chemin de l’école.
« C’est une occasion unique d’apporter une contribution importante au milieu d’apprentissage et de prêter main-forte en situation de crise », croit Mme Barkany.
Ce qui devait être une des réponses à la pénurie d’enseignants de langue française, tant dans les écoles francophones qu’anglophones, tient plutôt de la goutte d’eau dans l’océan de l’éducation ontarienne. Et ce, d’autant plus que la plupart des enseignants venus prêter main-forte ont signé des contrats de courte durée. Si leur contrat de travail dépasse les 50 jours, leur pension s’en trouve affectée.
Une majorité d’enseignants opposés à cette démarche
Le retour d’enseignants retraités n’est pas une pratique nouvelle dans les conseils scolaires de langue française. Si la plupart des enseignants sont plutôt hostiles à ce principe, d’autres ont décidé de revenir en classe, sans attendre la lettre de l’OEEO.
C’est le cas de Sylvie Lamarche-Lacroix, à la retraite depuis juin 2020, qui a recommencé à enseigner, il y a quelques jours, après avoir suivi une autoformation sur les protocoles sanitaires à suivre. « En ces temps de pandémie, il y a un grand besoin », dit-elle. « C’est gagnant-gagnant : j’apporte mon aide, tout en gardant le contact avec les élèves. »
Cette enseignante de Timmins, qui cumule 30 ans de carrière, se déclare plutôt sereine sur les conditions de sécurité : « J’ai un petit contrat de suppléante. Ça me sécurise, car je suis dans une seule école. Je suis inquiète, mais avec la protection qu’on nous offre, ça devrait aller. »
Sonia Roy St-Pierre n’est pas de cet avis. « Je pense à la santé de tous les élèves bien avant la mienne », alerte cette enseignante suppléante qualifiée de l’Est ontarien. Elle est encore loin de la retraite, mais a décidé de prendre ses distances avec le milieu scolaire depuis la pandémie.
« Ce serait inquiétant d’aller d’une école à l’autre au moment où on dit que les bulles-classe (ou cohortes) c’est important. Je n’ai pas remis les pieds dans une école, car j’ai peur d’être porteuse du virus, d’être asymptomatique et de le propager. Je ne veux pas en être tenu pour responsable. »
Si de nombreux suppléants ont trouvé des contrats dans une école, rien n’interdit d’exercer dans plusieurs établissements scolaires. Dans son protocole, le ministère exige que les conseils scolaires « limitent » ces déplacements entre les écoles.
Un fait qui préoccupe Mme Roy St-Pierre, alors que la seconde vague épidémique n’épargne pas les classes. Près d’un millier d’élèves ont contracté la COVID-19, depuis le 5 septembre.
Des mesures de santé « carrément inadéquates »
« Le recrutement du personnel enseignant relève des conseils scolaires », rappelle pour sa part l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO) qui ne comprend pas pourquoi l’Ordre assume un rôle qui ne lui appartient pas.
« D’ailleurs, il a refusé de reconnaître la pénurie du personnel enseignant dans le secteur francophone lorsque nous avons soulevé le drapeau rouge », fait remarquer Anne Vinet-Roy, la présidente du syndicat.
« Ce que nous entendons de la part de plusieurs retraités et anciens membres de l’AEFO, c’est qu’ils ne sont pas intéressés à aller travailler dans une école avec des conditions de travail de plus en plus difficiles et des mesures de santé et de sécurité carrément inadéquates », poursuit-elle.
Des organisations représentant des administrateurs et des gestionnaires de conseils scolaires tentent depuis longtemps de rendre un retour au travail plus flexible pour leurs retraités, mais l’AEFO, sceptique sur la viabilité de cette solution, dit ne pas partager leurs objectifs.
« Si des mesures de santé et de sécurité plus rigoureuses étaient mises en œuvre dans nos écoles, cela contribuerait non seulement à diminuer l’absentéisme potentiel des enseignants, mais encouragerait également les enseignants retraités à se rendre disponible », relève Mme Vinet-Roy.
De son côté, le ministère s’apprête, ce jeudi, à abolir la règle 274 qui oblige les conseils scolaires à recruter parmi un petit nombre d’enseignants selon leur ancienneté sur la liste d’approvisionnement et non selon la personne la mieux adaptée à l’emploi. Ce changement pourrait assouplir les modalités d’embauche.