Rassembler la francophonie des Amériques, le leitmotiv de Sylvain Lavoie

Sylvain Lavoie, président-directeur général du Centre de la francophonie des Amériques
Sylvain Lavoie, président-directeur général du Centre de la francophonie des Amériques. Crédit image: Rudy Chabannes

[LA RENCONTRE D’ONFR+] 

TORONTO – De passage dans la Ville reine ce mois-ci, le président-directeur général du Centre de la francophonie des Amériques, une organisation soutenue par le gouvernement du Québec, s’est évertué à faire connaître des aspects insoupçonnés de la langue française sur le continent et à prôner le partage des expertises pour la développer. Qui est cet Acadien, avocat de la diversité et du dialogue entre les cultures?

« Quel rôle jouez-vous au sein du Centre de la francophonie des Amériques?

Mon rôle est de rassembler les communautés, renforcer leurs liens et leur donner des outils pour faire en sorte qu’elles se développent à leur plein potentiel. On amène des gens de différents horizons dans un colloque, un congrès, un concours, ou encore plusieurs programmes phares : que ce soit le forum des jeunes ambassadeurs, l’université d’été ou le parlement jeunesse. Ça fait partie de notre ADN de tisser des liens entre les communautés.

Que représente pour vous le fait d’être Acadien à la tête d’une telle organisation?

C’est certainement un vote de confiance du conseil des ministres du Québec qui démontre son intérêt marqué pour ce qui se passe à l’extérieur du Québec. C’est tout à son honneur car ça met en perspective la diversité. Peu importe où on se trouve dans les Amériques, on a tous en commun cette fierté d’appartenir à la grande famille de la francophonie. Je suis fier d’y contribuer.

Combien de francophones et francophiles vivent sur le continent?

On est 33 millions! C’est le fruit d’une présence francophone qui dure depuis plus de 400 ans. Cela comprend 14 millions de locuteurs de français en Amérique du Nord si on englobe le Canada, les États-Unis, Saint-Pierre-et-Miquelon et le Mexique. En Amérique centrale, on recense 420 000 apprenants. Au Costa Rica par exemple, l’enseignement du français est obligatoire depuis plus d’un siècle.

La langue française est aussi vivante dans les Antilles – depuis les origines de la colonisation – et en Amérique du Sud, où elle est prisée des élites espagnoles et portugaises. Toutes ces communautés partagent une réalité historique et géographique, dont on retrouve des témoignages dans le nom donné à des localités et des rivières. Cela recouvre des situations très diverses.

Sylvain Lavoie défend le développement de la formation, de la recherche et des occasions de réseautage pour favoriser le rapprochement des communautés partout sur le continent. Gracieuseté

En quoi la diversité culturelle constitue-t-elle le socle de cette francophonie?

Il y a actuellement un changement net de qui sont les francophones qui composent nos communautés. Tout l’enjeu est de comprendre ce changement-là pour favoriser la cohésion sociale et répondre à leurs besoins pour faire rayonner cet espace de 33 millions de francophones.

La langue française est le plus beau véhicule qui témoigne d’une vision du monde d’inclusion, de diversité et de solidarité. Elle exprime qui nous sommes. La francophonie n’est pas un tout unique : elle est diverse, changeante et se nourrit des différences et des accents des autres. C’est le sens qu’on a voulu donner à notre initiative Amérique autochtone qui invite au respect et à la rencontre de l’autre.

La jeunesse est à l’avant-garde de ce changement. Comment la mobilisez-vous?

Les jeunes font preuve d’un engouement extraordinaire. On l’a vu lors de notre dernier Forum des jeunes ambassadeurs car on a reçu 500 inscriptions et dû en retenir que 150. Voir cette jeunesse allumée, engagée venir échanger sur les vécus de chacun créer des réseaux qui vont nécessairement aboutir à des projets autour d’une vision commune. Et les premiers jeunes ambassadeurs qui sont maintenant dans des organisations publiques en situation d’influence ont toujours en tête cette vision. On les mobilise à travers d’autres programmes comme le Parlement francophone des jeunes des Amériques, dans laquelle ils délibèrent dans l’enceinte d’un parlement régional.

Le recul du poids démographique des francophones au Canada vous inquiète-t-il?

Je réponds par une question : comment nous tous, collectivement, on peut faire en sorte que la présence francophone augmente.

Et vous avez certainement une réponse…

Il faut travailler ensemble pour que la langue française soit plus qu’une simple matière qu’on apprend à l’école mais fasse partie de l’identité des gens. La prochaine étape est de mettre ensemble nos expériences et nos expertises pour faire fructifier des pratiques gagnantes qui vont attirer des francophones, mieux intégrer les immigrants et susciter de l’intérêt pour la langue française. Je suis conscient des chiffres mais la question que je me pose est : qu’est-ce que, moi à mon niveau, je peux faire pour me retrousser les manches et aller à la rencontre des gens?

Sylvain Lavoie s’inspire des pratiques gagnantes et innovantes pour rassembler les communautés. Gracieuseté

Quels enseignements tirez-vous de votre passage au ministère de l’Éducation, au début de votre carrière?

J’ai toujours aimé la politique. Après avoir fini des études en sciences politiques à l’Université de Moncton, je suis arrivé à Fredericton tout jeune stagiaire au ministère. Les premiers dossiers que j’ai eu entre les mains portaient sur la valorisation de la langue française comme la Semaine provinciale de la fierté française qui promeut la langue dans les écoles. Ça a été mon premier point de départ professionnel, non seulement avec l’engagement linguistique au niveau du gouvernement, mais aussi avec la société civile qui appuie ces initiatives.

Pourquoi avoir sauté le pas dans la société civile en rejoignant par la suite l’Association des enseignantes et des enseignants francophones du Nouveau-Brunswick (AEEFNB)?

Afin de lutter, à mon niveau, pour les droits des francophones dans une période de discussion avec le gouvernement sur l’enveloppe égalitaire et négocier un financement équitable pour l’enseignement du français dans les écoles du Nouveau-Brunswick. Ça m’a apporté à la fois cette sensibilité à la promotion et à la lutte, quand il le faut, pour les droits des francophones en contexte minoritaire. J’ai collaboré entre autres avec Me Ronald Caza et Me Gabriel Poliquin – que vous connaissez bien Ontario – sur une réalité qui n’est pas si loin de celle de nos cousins franco-ontariens.

Quel parallèle peut-on établir entre Acadiens et Franco-Ontariens en la matière?

Ce sont des réalités différentes mais complémentaires. Et je me rends compte à quel point, maintenant que je suis au Centre de la francophonie des Amériques, il est important de créer des ponts entre ces complémentarités pour en faire un tout et avancer ensemble, avec le mandat qui est le nôtre.

Sylvain Lavoie était l’invité du Club canadien de Toronto en novembre. Gracieuseté

L’école est souvent le point de départ de la francophonie mais c’est une institution fragile en milieu minoritaire qui évolue ou régresse au gré des gouvernements...

Je ne veux pas faire de politique mais cela illustre l’importance et l’urgence de se rapprocher, de se comprendre et d’apprendre pour rayonner ensemble. La francophonie est forte quand elle est unie.

Quand une crise touche justement une communauté francophone dans une province, y a-t-il assez de compréhension et de solidarité de la part des autres francophones au pays et sur le continent?

Ce dont je suis sûr c’est qu’il faut entamer l’ouverture vers l’autre, travailler davantage à mieux se connaître, miser sur ce qui nous unit plutôt que ce qui nous sépare. Et le centre à ce rôle d’appui à jouer.

Faut-il bannir l’expression « hors Québec » quand on désigne les francophones qui vivent à l’extérieur de la Belle Province?

Quand je suis à Québec, on ne dit pas de moi que je suis un francophone hors Québec, mais un Acadien. Je suis qui je suis : un fier Acadien comme il existe de fiers Franco-Ontariens et des francophones de tous horizons qui ont ensemble la volonté de bâtir et grandir ensemble. Ceci dit, soyons inclusifs! On veut faire rapprochement avec les gens, donc il ne faut pas non plus s’arrêter à la virgule ou au mot.

En quoi la recherche en français et sur la francophonie est-elle vitale pour mieux saisir la complexité de cette langue dans les Amériques?

Il faut favoriser la diffusion de la recherche en français et sur la francophonie des Amériques car, pour la développer, il faut la cerner, la quantifier, la comprendre. Quand on a lancé un appel à contribution pour un numéro spécial de la revue Francophonies d’Amérique, afin de mieux percevoir les contrastes et similitudes qui caractérisent les différentes manifestations de l’expression en français dans le continent américain, on a reçu une cinquantaine de copies!

Ça témoigne d’un fort intérêt à étudier la présence francophone à travers tout le continent. Faire de la recherche en français, c’est un geste politique : c’est croire au multilinguisme car c’est bon pour le monde d’avoir de multiples pensées.

Avant d’être PDG du Centre de la francophonie des Amérique, M. Lavoie a participé à la lutte des enseignants au Nouveau-Brunswick pour une meilleure éducation en milieu minoritaire. Crédit image : Rudy Chabannes

Comment expliquer la surprenante présence du français en Amérique latine?

C’est le fruit d’une longue histoire culturelle et diplomatique. C’est aussi une langue de prestige. Au Costa Rica, l’enseignement du français est obligatoire. Au Brésil, c’est une langue très utilisée dans le domaine professionnel. Apprendre le français dans ces pays traduit un désir d’atteindre un idéal du monde qui n’est pas enfermé dans la pensée unique. Il y a cette volonté de s’accrocher au monde de façon différente dans un esprit de contre-culture.

Au-delà du prestige et de la culture qu’elle porte en elle, cette langue n’offre-t-elle pas un potentiel économique sous-estimé?

Si, mais qui va oser explorer cette occasion et peut-être gagner le gros lot? De plus en plus de gens d’affaires voient la valeur ajoutée du multilinguisme pour leurs enfants, pour eux-mêmes et pour leurs affaires. Quand on sait qu’aux États-Unis, le quart des entreprises ne maximisent pas leur revenu car elles ne sont pas en mesure d’offrir des services multilingues sur leur marché intérieur, il y a des occasions à saisir. On essaye de favoriser le réseautage entre acteurs économiques.

Sur quels projets planchez-vous actuellement?

On travaille sur les préparatifs du 22 mars qui est la nouvelle journée québécoise de la francophonie canadienne, ainsi que l’Université d’été sur la francophonie des Amériques dont la 6e édition se déroulera l’été prochain à Lafayette en collaboration avec l’Université de Louisiane. »


LES DATES-CLÉS DE SYLVAIN LAVOIE :

1979 : Naissance à Edmundston, AU Nouveau-Brunswick

2001 : Entre au ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance du Nouveau-Brunswick

2003 : Devient président du conseil d’administration de Radio Fredericton 

2015 : Devient directeur des communications stratégiques et des affaires publiques à l’Association des enseignantes et des enseignants francophones du Nouveau-Brunswick

2020 : Est nommé PDG du Centre de la francophonie des Amériques

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.