Ronald Cormier, coureur acadien pour la bonne cause
[LA RENCONTRE D’ONFR]
GRANDE-DIGUE – Des dix personnes les plus influentes dans la francophone en milieu minoritaire, Ronald Cormier est peut-être le moins connu. Cet Acadien de Grande-Digue se trouve parmi la « cuvée 2020 » des influenceurs, dévoilée début janvier par Francopresse. Pour obtenir cette reconnaissance, « Pépère Boite à lunch », son surnom tiré de l’organisme de bienfaisance dont il est le fondateur, a surtout couru. Depuis cinq ans, le marathonien de 66 ans met à profit son endurance pour amasser des fonds destinés à offrir des repas aux élèves de la région du Sud-Est du Nouveau-Brunswick.
« Le 4 janvier, Francopresse a dévoilé la liste des dix francophones les plus influents en contexte minoritaire. Aux cotés notamment de Linda Cardinal, ou encore des Acadiens Michel Doucet et Xavier Gould, vous étiez présent dans cette liste. Quelle fut votre première réaction?
J’ai été vraiment touché, c’est tout une expérience. Au début, lorsque la journaliste a communiqué avec moi pour me l’annoncer, je pensais que c’était une blague. Je lui ai dit de m’envoyer un courriel, car je voulais vérifier. J’avais vraiment chaud au cœur.
Les neuf autres personnes qui ont été choisies, je les connaissais des nouvelles. Mais d’être à côté de Michel Doucet, ce grand défenseur de la langue française, ça fait quelque chose.
Pourquoi avoir créé cette association « Pépère Boite à lunch », et quel est son objectif?
Je suis membre des Chevaliers de Colomb, et en 2016, j’ai appris que certains élèves arrivaient le matin dans les écoles de la région sans avoir déjeuné et parfois, arrivaient même avec une boite à dîner vide.
Lorsque je préparais mon premier marathon à New York, j’ai appris qu’il y avait un besoin alimentaire immédiat pour les enfants à l’école de Grande-Digue. J’ai donc demandé à courir avec un chandail assez visible pour me faire remarquer où il était inscrit le nom de l’organisme. À côté de ça, on a lancé la campagne de financement et amassé 7 000 $ d’argent, puis une fois sur place à New York, des étrangers m’ont fait des dons jusqu’à 750 $.
Est-ce que ces initiatives d’amasser des fonds ont continué?
Oui! Aujourd’hui encore, il y a des dons pour permettre aux enfants d’avoir un repas. Nous avons même élargi l’initiative à cinq écoles de la région l’an passé, et présentement, on propose d’aller même vers dix écoles. Je dois dire aussi que l’épidémie de COVID-19 a sûrement joué un rôle important pour la demande.
Comment cela?
J’ai récemment parlé avec la directrice de l’école de Grande-Digue. Il y a une grosse augmentation des jeunes dans le besoin. Les parents pour des causes multiples ont un manque financier, et ce sont malheureusement les enfants qui en subissent les conséquences.
Comment fait-on pour remarquer un élève qui n’a pas assez à manger durant la journée?
Les profs passent généralement leurs heures de dîner avec les étudiants, et on leur a demandé de faire attention à ce qu’il y a dans les boîtes à lunch, ou s’il y a un manque de nutrition essentielle. Si un manque est observé, la direction de l’école communique avec les parents.
Par la suite, les dîners chauds et les collations sont donnés très discrètement pour que les enfants dans le besoin ne soient pas pointés du doigt. On ne veut pas que ce jeune-là soit pointé avec des problèmes.
Pensez-vous qu’outre la COVID-19, il y a des conditions économiques propices à ces manques?
Disons qu’en 2021, ça ne devrait pas être une question au Canada, un pays si riche. C’est un problème qui est global et national. Or, la pression n’est pas assez mise sur les politiciens sur le sujet. Il faut que ce soit discuté dans les départements d’éducation. Malheureusement, nos politiques n’essayent pas de trouver des solutions.
Pour amasser des fonds, vous utilisez vos jambes à titre de marathonien. Mais pourquoi la passion des marathons?
(Rires). J’ai acheté ma première paire d’espadrilles à 58 ans. Ma fille m’a demandé de joindre un club de coureurs. J’ai donc commencé à courir à la fin de l’année de mes 58 ans, puis j’ai fait mon premier marathon à Fredericton à 61 ans. Je l’ai fini en 3 heures et 46 minutes. Cette performance m’a permis de me qualifier pour le marathon de Boston, dans ma catégorie d’âge, tout en amassant des fonds.
Comment se déroulent vos entraînements avec la COVID-19?
C’est difficile! Quand je cours présentement avec les gens de mon club, je suis distancé, et je dois porter le masque. Dimanche matin, j’ai couru 17 kilomètres avec le masque, mais cela hausse mon pouls, et me demande beaucoup trop d’énergie. Pour préparer un marathon, il faut pourtant courir 1 200 kilomètres sur au moins quatre mois. Il faut donc s’entraîner autant que possible.
Je vise le prochain marathon de Boston à l’automne 2021. C’est en tout cas à cette date qu’il a été reporté. Il s’agirait de mon quatrième marathon de Boston d’affilée. J’aimerais de nouveau aller sous les quatre heures.
Comment parvenez-vous à être identifiable lors de vos courses, et obtenir des fonds?
C’est surtout grâce à ma page Facebook, cela se passe très bien, mais il y a aussi dans les salons funéraires de la région où l’on demande de faire les dons à « Pépère Boite à lunch ». Les journaux locaux aident aussi beaucoup. Les postes radio sont aussi très réceptifs à notre cause.
Un jour, un grand brun barbu est arrivé, par exemple, à ma porte. J’avais peur de le faire rentrer. Il m’a dit qu’il voulait faire un don, et m’a sorti 100 $ direct de son portefeuille. Ce genre de choses-là me touchent particulièrement.
Vous êtes aujourd’hui retraité. Est-ce que votre parcours professionnel reflétait un engagement de la sorte?
Pas tellement. J’ai été d’abord bijoutier, puis j’ai eu un accident cérébral en 2007 qui m’a contraint à être arrêté pendant 18 mois. Le docteur m’a demandé de changer de vie, sinon je risquais de me retrouver vite à l’horizontale. J’ai décidé de changer de vie et je suis retourné à l’école pour travailler dans le domaine des technologies civiles. Parfois, les malchances dans la vie peuvent être une chance.
On ne peut faire cette entrevue sans évoquer votre identité acadienne. Que représente-t-elle pour vous?
C’est bien sûr très important. Lorsque je cours mes marathons, je le fais avec deux drapeaux sur le chandail, le drapeau du Canada, et le drapeau acadien.
En fait, j’ai été un supporter du droit des Acadiens beaucoup plus dans ma seconde partie de vie. Auparavant, j’ai été un peu plus ignorant de ce sujet, mais je me suis finalement réveillé pour défendre la cause de nos ancêtres.
Je suis marié à l’une des nièces de Louis Robichaud [premier ministre du Nouveau-Brunswick de 1960 à 1970]. Après 45 ans de mariage, il est impossible pour moi d’oublier les droits des Acadiens. C’était une famille très politisée, avec une grande connaissance des valeurs acadiennes et du droit.
Cette francophonie en Acadie, comment évolue-t-elle?
Je suis content que de grands Acadiens fassent la bataille pour continuer nos droits. Si on ne se bat pas pour nos droits, on ne peut pas être traité comme les autres. C’est une lutte constante, surtout avec le changement récent de gouvernement. La lutte devient de plus en plus dure, et il faut que nos droits soient préservés et qu’on soit traité comme nos collègues anglophones.
Pour terminer, parlez-nous un peu de ce village de Grande-Digue, où vous êtes résident?
J’aime cette question! Moi je suis originaire de Sainte-Marie-de-Kent, qui est un village avec une mentalité semblable. Je suis juste déçu du constat qu’aujourd’hui, l’histoire acadienne dans les écoles ne soit pas assez enseignée. On a survécu ici en Acadie, tout comme nos cousins en Louisiane et au Québec. Nous, les francophones, sommes un peuple qui n’avons pas lâché! »
LES DATES CLÉS DE RONALD CORMIER
1954 : Naissance à Sainte-Marie-de-Kent (Nouveau-Brunswick)
1972 : Diplômé de l’École secondaire Clément-Cormier
2007 : Victime d’un accident cérébral
2014 : Prend sa retraite
2016 : Fondation de l’organisme Pépère Boite à lunch, lequel sera désigné organisme de bienfaisance par l’Agence du revenu du Canada en 2020
2021 : Nommé par Francopresse parmi les dix personnes les plus influentes de la francophonie hors Québec
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.