Sam Hudecki : dessiner les rêves de Denis Villeneuve
[LA RENCONTRE D’ONFR]
TORONTO – Derrière les films de Denis Villeneuve se trouvent des personnes clés qui ont façonné ses univers. Parmi eux, il y a l’artiste storyboard Sam Hudecki, fidèle complice du réalisateur québécois depuis qu’il s’est lancé dans le cinéma anglophone. Travaillant avec Denis Villeneuve depuis plus d’une décennie, Sam Hudecki se dévoue maintenant à l’épopée futuriste Dune de Frank Herbert, aux côtés d’un des plus grands réalisateurs de sa génération.
« Vous êtes né à Toronto et êtes bilingue. Quelles sont vos racines francophones?
C’est le côté de ma mère qui a des origines francophones de l’île d’Orléans, au Québec. Elle est née à Hamilton de parents québécois mais, quand elle était jeune, c’était très mal vu de parler en français. Donc, la langue s’est perdue avec le temps dans ma famille, mais ça a toujours été important pour moi de redécouvrir mes racines francophones. J’ai fréquenté les écoles d’immersion, mais c’est vraiment mon temps au Québec qui a ravivé cette flamme de vouloir parler en français.
Qu’est-ce qu’un artiste storyboard?
C’est un processus qui commence assez tôt dans la production d’un film. Le storyboard arrive au moment où le scénario est prêt. C’est une manière de traduire les mots en images pour expliquer visuellement la mise en scène de l’histoire. Je travaille beaucoup avec le directeur artistique, Patrice Vermette et, bien sûr, Denis Villeneuve.
Qu’on soit à distance ou qu’on ait l’occasion d’être dans la même ville, nous passons des jours à réfléchir au concept qu’il souhaite concrétiser. Ça devient un très beau processus parce qu’on part essentiellement d’une toile vierge. La capacité de Denis à conserver autant d’images dans sa tête est impressionnante. Bien que nous continuions à développer les dessins au fur et à mesure de la production, ses idées initiales sont toujours suffisamment précises pour que l’équipe comprenne ce qu’il veut.
Votre portfolio comprend essentiellement tous les films de Denis Villeneuve après Incendies : Ennemi, Prisonniers, Sicario, L’Arrivée, Blade Runner 2049 et, évidemment, la série Dune. Comment êtes-vous arrivé là où vous êtes aujourd’hui?
J’ai toujours dessiné. C’était une manière de communiquer avec ma famille, surtout avec ma mère, qui est une peintre exceptionnelle. J’ai fait mes études en cinéma à l’Université Queen’s et, même durant cette période, je continuais de dessiner. J’étais captivé par les images, les photos, la cinématographie, mais encore là, je dessinais. C’était une manière de penser, pour moi. J’ai donc toujours su que je voulais trouver un moyen de marier ces deux intérêts.
La première fois où j’ai travaillé avec Denis, c’était vraiment par chance. J’avais rencontré le directeur artistique, Patrice Vermette, et il avait vu que je faisais des storyboards et que je parlais en français, donc il me l’a présenté. Et ça y est, je me suis embarqué dans son tout premier film anglophone, Ennemi (Enemy).
La suite des choses, nous la connaissons. On a vite réalisé que cette collaboration fonctionnait très bien. C’était un moment de transition pour lui, ayant réalisé Incendies juste avant. Je pense que c’était rassurant pour lui de travailler avec quelqu’un qui comprenait autant le français que l’anglais.
Quels films vous ont poussé vers le cinéma?
Oh, mon Dieu! Il y a beaucoup de films des années 70 et 80 qui m’ont inspiré. Je pense notamment aux films de Star Wars (George Lucas), mais aussi à Rencontres du troisième type (Steven Spielberg) et Alien (Ridley Scott). C’est la première fois où je me suis rendu compte du travail qui pouvait se faire derrière la caméra. Il y avait une magie dans ces films qui était juste inspirante.
En fait, Alien nous a tellement inspirés, Denis et moi, que nous avons réalisé une illustration de deux pages dans l’édition du 40e anniversaire du livre Alien : 40 years 40 artists.
Quel est votre processus créatif pour créer les storyboards de vos films?
Premièrement, si on a un paysage ou un environnement en tête qui existe déjà, on va d’abord explorer ce lieu. On va prendre des photos, faire beaucoup de repérage. Par exemple, quand j’ai commencé à travailler sur Ennemi, on avait pris beaucoup de photos des lieux potentiels pour ce film. Après ça, on se réunit et on commence à créer les séquences.
Dans mon processus, j’essaie d’éviter Internet et de prendre plutôt mon inspiration de la vie autour de moi. En observant les détails, j’étudie la lumière et le mouvement des choses qui m’entourent. Il est surtout important de réfléchir à ces images et à la manière dont elles seront vécues au cinéma.
Denis Villeneuve vous considère comme un ‘prolongement’ de lui-même, voire ‘son arme secrète’. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette synergie que vous semblez avoir tous les deux?
On se comprend énormément. S’il m’explique quelque chose en deux mots, je saisis exactement ce qu’il est en train de me dire, tandis qu’avec quelqu’un d’autre, ça lui aurait pris peut-être 30 minutes pour transmettre ses idées. Je me sens tellement chanceux d’avoir ce genre de complicité avec quelqu’un que je considère comme un grand frère. C’est une expérience très unique de travailler avec un réalisateur qui sait exactement ce qu’il veut tout en restant ouvert à l’expérimentation.
Enfant, Denis Villeneuve avait dessiné lui-même ses propres storyboards quand il imaginait le monde de Dune. Comment s’est déroulée la création des storyboards pour cette série tout en intégrant celles de Denis dans la production?
Curieusement, je ne les avais pas vus avant que nous ayons terminé les storyboards. Il a tout simplement apporté ses idées et nous avons refait les storyboards ensemble. Je pense que c’est parce qu’il a voulu maintenir une certaine continuité des choses. J’ai dessiné ce qu’il m’avait décrit, mais quand il m’a enfin montré ses anciens sketchs, j’ai vu que ce que j’avais conçu n’était quand même pas si différent!
Quels ont été les défis à relever pour créer les storyboards d’un film basé sur un livre?
J’avais 13 ans quand j’ai lu Dune pour la première fois. L’une des premières choses que j’ai faites avant de lire le scénario, c’était de relire le livre. J’ai eu l’impression de retrouver un vieil ami. Nous avons vraiment voulu recréer l’environnement. On ne pouvait évidemment pas raconter tous les aspects du livre, donc on a voulu laisser des indices dans le film qui faisaient référence à des aspects clés de l’histoire.
Je dirais que la partie la plus difficile a été de déterminer comment nous allions interpréter le ver, et même d’interpréter des détails plus petits mais à la fois importants comme le stilltent, un essentiel de survie dans le désert d’Arrakis.
La production a fait appel à des experts en Kali, un type d’arts martiaux philippins, pour chorégraphier les scènes de combat au couteau. Comment avez-vous consolidé la vision de Denis avec les conseils des experts lors de la création des storyboards pour les scènes de combat?
L’une des principales questions était de savoir à quoi ressembleraient les scènes de combat dans le film. J’ai donc fait beaucoup de recherches en ligne, ce qui m’a permis de les sélectionner avec beaucoup de soin. Nous avons fini par dessiner certaines des sessions d’entraînement pour aider à créer, par exemple, le combat d’anniversaire du personnage Feyd-Rautha Harkonnen.
À quoi ressemble l’environnement de travail d’une production qui compte à la fois des anglophones et des francophones?
Quand on tournait à Budapest en Hongrie, il y avait plusieurs langues sur le plateau de tournage. Mais en général, ça dépendait vraiment du jour et de l’équipe de laquelle tu étais entouré. Quand c’était Patrice, moi et Denis, c’était souvent en français.
Qu’est-ce que ça fait pour vous de collaborer avec un réalisateur qui valorise autant ce que vous faites?
C’est tout simplement la meilleure chose. C’est incroyable de dessiner avec quelqu’un comme Denis qui invite tout le monde à table pour trouver des solutions aux questions qu’il se pose. C’est quelqu’un qui a un sens de soi-même, il est authentique et c’est quelqu’un qui a un bon cœur. Je travaille vraiment avec un gentleman qui exemplifie ce que c’est d’être un bon leader.
Denis Villeneuve a confirmé que Dune Messiah est déjà en préparation. Que pouvez-vous nous dire par rapport à votre rôle?
Eh ben, disons que j’attends l’appel. J’ai hâte de travailler sur Dune Messiah, mais j’espère surtout que Denis se trouve un moment de repos pour prendre soin de lui-même avant de replonger dans ce prochain chapitre.
LES DATES-CLÉS DE SAM HUDECKI :
1979 : Naissance à Toronto
2002 : Obtient son diplôme de l’Université Queen’s
2011 : Rencontre le réalisateur Denis Villeneuve et le concepteur de production Patrice Vermette pour la première fois
2021 : Sortie de Dune, puis en 2024 de Dune 2
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.