Serment du roi : l’Ontario pourrait-il emboiter le pas au Québec?
OTTAWA – Le serment du roi, cette pratique héritée de la Grande-Bretagne, a-t-il encore du sens dans les instances politiques canadiennes? Alors que le Québec l’a rendu optionnel, et a quelques jours du couronnement du roi Charles III, des députés provinciaux et fédéraux sont favorables à plus de souplesse.
Historiquement, le serment du roi demeure une allégeance au monarque. Les membres du Sénat, de la Chambre des communes, de l’Assemblée législative, les juges de Paix et même les nouveaux citoyens, doivent prêter serment au roi et non pas au Canada ou à la Constitution canadienne. En tout cas, c’est ainsi que la formule l’entend.
« Je, (nom du député), déclare et affirme solennellement, sincèrement et véritablement que je serai fidèle et porterai vraie allégeance à Sa Majesté le roi Charles III. »
En fait, cela concernait surtout le Parlement britannique en raison des conflits politiques et religieux du 16e siècle. Ce serment devait simplement affirmer la primauté du monarque britannique et empêcher les catholiques d’occuper des postes gouvernementaux. Au Canada, le serment est légèrement moins antipapauté.
Il faut d’abord comprendre que ce n’est pas en prêtant serment qu’on devient député puisque l’assermentation doit succéder à l’élection. De plus, c’est à la Chambre de décider si le serment est violé de la part d’un ou d’une députée.
Pour autant, prêter serment est obligatoire pour siéger. Le député autochtone de Kiiwetinoong Sol Mamakwa, en entrevue avec ONFR+, explique que selon lui, « la monarchie est un système très colonial, mais d’un autre côté, les Premières Nations ont une relation très spécifique avec la couronne grâce aux traités ».
« C’est le gouvernement qui ne respecte pas les traités », accuse le néo-démocrate qui ne souhaite pas prêter serment au roi. « J’ai prêté le serment à la reine, il n’y a pas moyen de contourner cela. Mais j’ai ajouté des choses, comme une clause de non-responsabilité à mon serment. »
D’ailleurs, pour la politologue et professeure Geneviève Tellier, « dans les recommandations de la Commission de vérité et de réconciliation, même les Premières Nations ne demandent pas l’abolition du serment. Ils demandent un changement de serment dans lequel on reconnaîtrait les traités ».
Aux yeux de Lucille Collard, député d’Ottawa-Vanier, prêter allégeance à Charles III ne signifie pas « faire la courbette devant le roi ». « Je reconnais que la monarchie a eu un rôle important dans la façon dont on se gouverne », argumente-t-elle. « C’est un pan de l’histoire qu’on ne peut pas ignorer. »
La députée libérale explique aussi que depuis le décès de la reine Élisabeth II, il a été possible de prêter à nouveau serment, mais au roi, cette fois-ci. Pour autant, elle n’a pas voulu le refaire.
« J’ai porté allégeance à la reine quand j’ai été élue. Le sens de mon serment, c’est vraiment envers la population, envers la communauté, pas nécessairement envers la monarchie, même si on le fait à travers eux. »
D’ailleurs, si le serment devait être modifié pour refléter le rôle, la responsabilité et les obligations des députés, Mme Collard n’y verrait pas d’objection. « Pour respecter les convictions de chacun, ça ne serait pas une mauvaise chose de donner différentes options pour le serment, qui pourrait être plus orienté vers un service envers la population ou s’engager au respect de notre Constitution. »
« Il faudrait qu’il y ait une volonté politique de le faire », nuance-t-elle. Ce qui ne semble pas être vraiment le cas.
L’Ontario reste proche de la monarchie
« En Ontario, ce n’est pas un grand débat », acquiesce la politologue Geneviève Tellier. « En 2023, ce n’est pas Charles III qui va nous obliger à faire des choses. » Mais « c’est le symbole, le message qui est envoyé, justement, qui a lieu d’être modifié », pense-t-elle.
Pourquoi ce serment ne suscite-t-il pas plus d’intérêts? questionne-t-elle. « Ce qui s’est produit au Québec aurait pu faire boule de neige et on aurait pu voir ça ailleurs au Canada, notamment en Ontario. »
Pour l’experte, si l’on cherche à abolir le serment au roi, finalement, la prochaine étape serait d’abolir la monarchie. « Il faut être cohérent avec soi-même. »
Elle émet aussi l’hypothèse que si l’Ontario n’est pas encore arrivé à cette réflexion, c’est peut-être que la province est liée à ces protocoles.
En effet, la façon de gouverner au Canada ressemble encore à un parlementarisme britannique. « On parle de la couronne, du conseil de la reine, du conseil du roi. Ce sont des choses qui sont dans nos traditions, comme le fait d’avoir un gouverneur général, etc. »
Sol Mamakwa fait d’ailleurs les frais de ces traditions. Il explique à ce titre que, lors de chaque session, le premier lundi du mois à l’Assemblée législative « les députés chantent God Save The Queen et je m’assois. Personne ne dit rien, mais je reçois de méchants courriels ».
Si l’on en croit le récent sondage de la firme Angus Reid, la monarchie est en berne au pays, mais concernant le couronnement du roi Charles III, ce 6 mai, l’Ontario reste la province indiquant le plus d’intérêt. Pour le reste, et à l’échelle du pays, 60% des sondés sont contre la pratique d’un serment ou même d’avoir une monnaie à son effigie.
Un serment optionnel comme meilleur compromis?
Francis Drouin, député de la colline parlementaire, considère que ce débat n’est pas sa priorité. « J’ai porté allégeance en pensant à ceux qui m’ont élu et à ceux qui ne m’ont pas élu. Une affaire qui dure trois minutes tous les quatre ans, ça m’importe peu. »
Darell Samson, député libéral de la Nouvelle-Écosse, se dit ouvert à l’idée d’un serment optionnel. « Je crois que les individus ont le droit de s’exprimer de la façon qu’ils veulent. Je suis ouvert à cela. »
De même pour René Arseneault, député du Nouveau-Brunswick, qui pense que la solution idéale et celle qui respecte « toutes les sensibilités », soit, un serment optionnel.
« Pour ceux qui sont monarchistes, ils pourront choisir de le faire. Puis ceux qui ne le sont pas pourraient ne pas le faire », a-t-il déclaré en mêlée de presse ce mercredi.
D’après René Arseneault, ce dossier « bouillonne » de plus en plus. « Il y a assurément des collègues au parti qui ne veulent pas prêter serment au roi. »
« J’ai espoir qu’il deviendra optionnel. Il le faut pour respecter tout le monde. »
Il existe deux thèses en concurrences à propos de l’abolition de ce serment.
– L’une permettant l’abolition du serment de la législature provinciale et peut donc s’effectuer par l’adoption d’une simple résolution provinciale.
– L’autre, concerne la charge de la reine (du roi), celle du gouverneur général et celle du lieutenant-gouverneur qui relève de la formule de modification unanime et exige donc le consentement unanime du Sénat, de la Chambre des communes et de l’Assemblée législative de chaque province.
Le Québec a aboli l’obligation de serment selon le premier principe. Si les tribunaux s’y intéressent, il pourrait toujours contester la validité de la loi.