
« La fin d’une époque » : la Superstack disparaîtra du ciel de Sudbury

SUDBURY – Les travaux de démolition de la tour emblématique de Sudbury, la Superstack, ont bien débuté dans le cadre du projet de Vale Base Metals visant à réduire les émissions atmosphériques. Pour plusieurs Sudburois, cette disparition évoque des souvenirs et tourne la page d’un chapitre important de l’histoire industrielle de la ville.
Construite en 1972, la Superstack, supercheminée de la fonderie de Copper Cliff, était à l’époque la plus haute structure de son type au monde. S’élevant à 381 mètres au-dessus de la ville du nickel, celle-ci domine encore le paysage et atteint une hauteur comparable à celle de l’Empire State Building à New York.
Monument industriel emblématique, elle symbolisait alors la puissance et l’essor de l’exploitation minière dans la région, tout en jouant un rôle pratique : sa hauteur permettait de disperser les importantes émissions de dioxyde de soufre et d’autres gaz produits par la fonderie d’Inco, afin de réduire les effets de la pollution sur la ville et ses environs.
« La Superstack a toujours été un symbole de prospérité pour la ville. Quand on voyait de la fumée sortir de la cheminée, cela signifiait que les mines allaient bien, que l’on produisait du nickel », explique Paul Guénette, chef de projet pour la démolition chez Vale.

Pour Serge Dupuis, historien, cette construction représentait également une avancée technologique majeure.
« On présentait l’industrie minière comme une grande victoire de l’homme sur la nature. C’était un succès que l’on cherchait à célébrer jusqu’aux années 50, début 60 », raconte-t-il.
La pollution et ses impacts
Même si la Superstack a été construite pour limiter les impacts locaux de la pollution, les résidents de Sudbury ont malgré tout ressenti les contrecoups de l’industrie minière.
« L’augmentation de l’extraction voulait aussi dire une augmentation de la pollution. C’est assez ironique parce qu’à l’époque on appelait Sudbury ‘’Ste-Anne des Pins’’, car ça ressemblait beaucoup à la région de la Rivière des Français, avec un environnement un peu rocheux (…) mais avec des pins blancs majestueux », note le Sudburois d’origine, rappelant que les relâchements de soufre pouvaient endommager les potagers et teinter l’air en jaune.

Donald Dennie, enseignant à la retraite, se souvient : « C’était pas très agréable des matins de vent d’ouest avec la fumée de soufre qui nous rentrait dans la gorge. »
La construction de la Superstack, qui permettait de disperser les émissions à une plus grande hauteur, a toutefois eu des impacts au-delà de Sudbury, selon M. Dupuis. La pollution a touché les terres agricoles de Nipissing Ouest et même, plus loin encore, a eu un impact sur l’agriculture dans le Midwest américain.
Marcel Vaillancourt, ancien employé d’Inco, se souvient des pluies acides qui frappaient Sudbury, mais retient : « C’est malgré tout une histoire marquante, puisqu’elle illustre la convergence entre le secteur industriel, le gouvernement et la recherche scientifique pour réduire la pollution. »
La fin d’une époque
Pour Paul de La Riva, auteur de l’ouvrage Mine de rien : les Canadiens français et le travail minier à Sudbury, 1886-1930, la Superstack faisait partie du paysage quotidien.
« Pendant longtemps, la Superstack a été une source de fierté. On aimait dire qu’elle était plus haute que la Tour CN à Toronto. Elle faisait partie de l’identité visuelle et industrielle de Sudbury. »
Ce retraité du secteur de la communication voit la démolition comme le reflet de l’évolution de Sudbury : « La ville a évolué vers une économie plus diversifiée. On ne sent plus autant que c’est une ville minière. »

Marcel Vaillancourt, au milieu des années 2000, avait déjà prédit que la grande cheminée finirait par disparaître : « Je me souviens de m’être arrêté, avoir garé ma voiture et m’être placé juste en dessous pour l’admirer, conscient qu’un jour, elle disparaîtrait ».
« C’est la fin d’une époque et d’une saga d’un demi-siècle. La cheminée a été un symbole touristique et industriel, mais il était temps de la démonter », conclut-il.
« C’est une page qui se tourne. La nouvelle génération, probablement heureuse de voir cette structure disparaître, voit la Superstack comme un symbole de l’aspect environnemental : l’industrie minière avait vraiment dévasté le paysage de Sudbury », confie de son côté Paul Guénette.

Un record mondial
La démolition se fait de manière progressive et minutieuse, sans recourir à des explosifs.
« On commence par le haut avec une machine qui broiera le béton en descendant, en contrôlant les débris qui tombent. Ensuite, le béton sera retiré et acheminé vers un site d’enfouissement sur la propriété », souligne M. Guénette.
Et d’ajouter : « C’est un record mondial : c’est la plus haute structure qui ait jamais été démolie de cette façon. »
La démolition de la Superstack devrait s’étaler sur environ cinq ans, tandis que la Copperstack, plus petite, est déjà en cours de démantèlement. Le projet s’inscrit dans le cadre de l’initiative Clean AER de Vale, qui vise à réduire les émissions atmosphériques grâce à de nouvelles technologies plus efficaces.
Dans ce cadre, la Superstack a été mise hors service en 2020, remplacée par deux cheminées plus petites et plus performantes.
« Depuis 2020, les émissions (de gaz) sont maîtrisées par des procédés modernes, avec moins de pollution que dans les années 70. On a fait beaucoup de recherches. Nous avons étudié les effets de la poussière, du bruit, des vibrations, et nous ne prévoyons aucune perturbation en dehors de la zone du projet », précise M. Guénette.
Aujourd’hui, la hauteur officielle de la Superstack est maintenant de 1141 pieds (345 m), avec un total de 105 pieds (35 m) retirés cette année, selon les dernières informations de Vale.

Un hommage à l’histoire de la ville
Plusieurs s’entendent sur l’importance de laisser une trace de ce monument. « Il faudrait avoir une plaque ou une mini-statue pour rappeler l’histoire de la cheminée, mais il n’est pas nécessaire de la maintenir intacte », estime Paul de La Riva.
Marcel Vaillancourt suggère : « On pourrait construire une mini-stack avec une plaque pour que les touristes puissent voir et lire l’histoire de la Superstack. »
Pour Donald Dennie, cette initiative est essentielle : « J’espère que la compagnie va établir une plaque ou quelque chose pour que l’on se souvienne, à l’avenir, de la cheminée. »
De son côté, Paul Guénette fait savoir que Vale prévoit d’ériger un monument et d’installer une plaque en ville afin de conserver le souvenir de la Superstack, même si l’emplacement exact n’a pas encore été déterminé.